CHAPTER TWO
Second Chapter (Version M: Second Printed Version, Amsterdam 1742)
Chapitre II.
De l’Existence de Dieu.
§. 18.
1[40] Paragraph summary: L’étude de la Physique nous conduit à la connaissance d’un Dieu. L’Etude de la Nature nous élève à la connaissance de l’Etre suprême; cette grande vérité est encore plus nécessaire, s’il est possible, à la bonne Physique qu’à la Morale, & elle doit être le fondement & la conclusion de toutes nos recherches.
2 Paragraph summary: Précis des preuves de cette grande vérité. Je crois donc indispensable de commencer par vous mettre sous les yeux un précis des preuves de cette importante vérité, par lequel vous puissiez juger par vous-même de son évidence. [41]
3 §. 19. 1°. Quelque chose éxiste, puisque j’éxiste.
4 2°. Puisque quelque chose éxiste, il faut que quelque chose ait éxisté de toute éternité, sans cela il faudroit que le néant qui n’est qu’une négation eût produit tout ce qui éxiste, ce qui est une contradiction dans les termes, car c’est dire qu’une chose a été produite, & ne reconnaitre cependant aucune cause de son éxistence.
5 3°. L’Etre qui a éxisté de toute éternité doit éxister nécessairement & ne tenir son éxistence d’aucune cause, car s’il avoit reçu Read: son existence sont éxistence d’un autre Etre, il faudroit que cet autre Etre éxistât par lui-même, & alors c’est lui dont je parle, & c’est Dieu, ou bien il tiendroit encore son éxistence d’un autre: on voit aisément qu’en remontant ainsi à l’infini, il faut arriver à un Etre nécessaire qui éxiste par lui-même, ou bien admettre une chaîne infinie d’Etres, lesquels pris tous ensemble, n’auront aucune cause externe de leur existence (puisque tous les Etres entrent dans cette chaîne infinie) & qui, chacun en particulier, n’en auront aucune cause interne, puisqu’aucun n’existe par lui-même, & qu’ils tiennent tous l’éxistence les uns des autres dans une gradation à l’infini. Ainsi, c’est supposer une chaîne d’Etres qui séparément ont été produits par une cause, & qui tous ensemble n’ont été produits par rien, ce qui est [42] une contradiction dans les termes. Il y a donc un Etre qui éxiste nécessairement, puisqu’il implique contradiction qu’un tel Etre n’éxiste pas.
6 4°. Tout ce qui nous environne naît & périt successivement; rien ne jouit d’un état nécessaire, tout se succède, & nous nous succédons nous-mêmes les uns aux autres; il n’y a donc que de la contingence dans tous les Etres qui nous environnent, c’est-à-dire, que le contraire est également possible, & n’implique point contradiction, (car c’est ce qui distingue un Etre contingent d’un Etre nécessaire).
7 5°. Tout ce qui éxiste a une raison suffisante de son éxistence, ainsi il faut que la raison suffisante de l’éxistence d’un Etre soit dans lui, ou hors de lui: or la raison de l’éxistence d’un Etre contingent ne peut être dans lui, car s’il portoit la raison suffisante de son éxistence en lui, il seroit impossible qu’il n’éxistât pas, ce qui est contradictoire à la définition d’un Etre contingent; la raison suffisante de l’éxistence d’un Etre contingent doit donc nécessairement être hors de lui, puisqu’il ne sauroit l’avoir en lui-même.
8 6°. Cette raison suffisante ne peut se trouver dans un autre Etre contingent, ni dans une suite de ces Etres, puisque la même question se retrouvera toujours au bout de cette chaîne quelque loin qu’on la puisse étendre: Or puisque cet Univers porte des marques vi [43] sibles d’une éxistence contingente (N°. 4°), il ne peut contenir la cause de son éxistence, ainsi il faut en venir à un Etre nécessaire qui contienne la raison suffisante de l’éxistence de tous les Etres contingens, & de la sienne propre, & cet Etre c’est Dieu.
9 Paragraph summary: Les attributs de Dieu. §. 20. Les atributs de cet Etre suprême sont une suite de la nécessité de son éxistence.
10 Paragraph summary: Il est éternel. Ainsi il est éternel, c’est-à-dire, qu’il n’ a point eu de commencement, & qu’il n’aura jamais de fin, car si l’Etre nécessaire avoit commencé, il faudroit ou qu’il eût agi, avant que d’être, pour se produire, ce qui est absurde, ou bien que quelque chose l’eût produit, ce qui est contre la définition de l’Etre nécessaire.
11 Il ne peut avoir de fin, parce que la raison suffisante de son éxistence résidant en lui, elle ne peut jamais l’abandonner; de plus, il implique contradiction qu’un Etre nécessaire n’éxiste pas, (N°. 3°): or ce qui implique Contradiction est impossible; il est donc impossible que l’Etre nécessaire cesse d’éxister, de la même façon qu’il est impossible que trois fois 3. fassent 8.
12 Paragraph summary: Immuable. Il est immuable, car s’il changeoit, il ne seroit plus ce qu’il étoit, & par conséquent il n’auroit pu éxister nécessairement: il faut de plus que chaque état successif ait sa raison suffisante dans un état précédent, celui-là dans un autre, & ainsi de suite: or comme dans [44] l’Etre nécessaire on ne parviendroit jamais au dernier état, puisque l’Etre n’ jamais commencé, un état successif quelconque seroit sans raison suffisante, s’il étoit susceptible de succession; ainsi, il ne peut point y avoir de changement, ni de succession dans l’Etre nécessaire.
13 Paragraph summary: Simple. Il suit clairement de ce que je viens de dire, que l’Etre nécessaire ne sauroit être un Etre composé, qui n’éxiste qu’autant que ses parties sont liées ensemble, & qui peut être détruit par la dissociation de ces mêmes parties, & que par conséquent l’Etre éxistant par lui-même est un Etre simple.
14 §. 21. Ces attributs de l’Etre nécessaire fournissent encore de nouvelles preuves que la matière ne peut éxister nécessairement, car vous venez de voir (§. 20) que l’Etre nécessaire ne peut éprouver d’états successifs, parce que comme on ne peut remonter au prémier état de cet Etre, puisqu’il n’a jamais commencé (§. 20), tous les états successifs qu’il éprouveroit, seroient sans raison suffisante: or la matière éprouve une vicissitude continuelle d’états qui naissent les uns des autres, & qui seroient tous sans raison sufisante, si le prémier état dans lequel ils étoient tous renfermés, n’avoit pas eu sa raison sufisante dans la volonté de l’Etre nécessaire qui lui a donné l’éxistence; la matière n’est donc pas l’Etre qui éxiste nécessairement. [45]
15 Notre Ame ne peut point être non plus cet Etre nécessaire, car ses perceptions changeant continuellement, elle est dans des variations perpétuelles; mais vous venez de voir que l’Etre nécessaire ne peut varier, notre Ame n’est donc point l’Etre nécessaire.
16 L’Etre éxistant par lui-même est donc un Etre différent du Monde que nous voyons, de la Matière qui compose ce Monde, & de notre Ame ; & cet Etre contient en lui la raison suffisante de son éxistence, & de celle de tous les Etres qui éxistent.
17 Paragraph summary: L’Etre nécessaire, c’est-à-dire Dieu, doit être unique. §. 22. Vous voyez aisément par tout ce qui vient d’être dit, qu’il ne peut y avoir qu’un Etre nécessaire, car s’il étoit possible que deux Etres éxistassent nécessairement, & indépendamment l’un de l’autre ; il seroit possible que chacun existât seul, & par conséquent ni l’un ni l’ autre n’éxisteroit nécessairement.
18 §. 23. Tout ce qui est possible n’éxiste pas, & il y a une infinité de choses qui pourroient arriver, qui n’arrivent point. Aléxandre, par exemple, au-lieu de détruire l’Empire des Perses, pouvoit tourner ses armes contre les Peuples de l’Occident, ou bien vivre paisiblement dans son Royaume: il pouvoit prendre enfin une infinité de partis différens de celui qu’il a pris, qui auroient tous fait naître une infi [46] nité de combinaisons qui étoient possibles alors, & qui auroient produit des évènemens différens de ceux qui sont arrivés; les évènements que contiennent les Romans sont dans le même cas; ils pourroient arriver si une autre suite de choses avoit lieu, ce sont des histoires d’un Monde possible auquel il manque l’actualité, car chaque suite de choses constitue un Monde qui seroit différent de tout autre par les évènemens qui lui seroient particuliers; ainsi, l’on peut concevoir une telle suite de causes qui auroit fait naître les évènemens qui sont dans Zaïde, ou ceux de la Reine de Navarre, car ces évènemens sont possibles, & il ne leur manque que d’être actuels; de même, on peut concevoir des Univers possibles, dans lesquels il y auroit d’autres Etoiles & d’autres Planètes, que celles de notre Univers; & comme les différens rapports de ces Univers peuvent être combinés d’une infinité de manières, il y a une infinité de Mondes possibles, dont un seul éxiste actuellement. Ce qui est encore une preuve contre l’éxistence nécessaire du Monde; car si ce Monde étoit nécessaire, il seroit impossible qu’un autre Monde pût éxister, ainsi il n’y auroit qu’un seul Monde possible, mais on vient de voir qu’il y en a une infinité, ce Monde n’est donc pas l’être nécessaire.
19 Lorsqu’il n’y avoit rien de produit, & qu’aucun des Mondes possibles n’éxistoit [47] encore, ils étoient tous également en pouvoir de parvenir à l’éxistence, & ils attendoient, pour ainsi dire, qu’une puissance externe les y appellât, & les rendît actuels; car ce qui n’éxiste point, ne peut contribuer à son éxistence qu’idéalement, c’est-à-dire, entant qu’il renferme certaines déterminations, que le reste ne renferme pas, lesquelles peuvent déterminer un Etre Intelligent à le choisir pour lui donner l’éxistence.
20 Il faut qu’il y ait une raison suffisante de l’actualité du Monde que nous voyons, puiqu’une infinité d’autres Mondes étoient possibles: or cette raison ne peut se trouver que dans les différences qui distinguent ce Monde-ci de tous les autres Mondes: il faut donc que l’Etre nécessaire se soit représenté tous les Mondes possibles, qu’il ait considéré leurs arrangemens divers, & leurs différences, pour avoir pu se déterminer ensuite à donner l’actualité à celui qui lui plaisoit le plus.
21 Paragraph summary: Dieu est un Etre Intelligent. La représentation distincte des choses fait l’entendement, or l’Etre nécessaire qui a dû se représenter tous les Mondes possibles avant de créer celui-ci, est donc un Etre intelligent, dont l’entendement est infini, car tous les Mondes possibles renferment tous les arrangemens possibles de toutes les choses possibles; ainsi, cet Etre que nous nommons Dieu, est un Etre intelligent, qui voit non-seulement tout ce qui arrive actuellement, mais encore [48] tout ce qui arriveroit dans quelque Combinaison des choses possibles que ce puisse être, car tout ce qui est possible entre dans les Mondes qu’ il contemple sans cesse, & qui se jouent, pour ainsi dire, devant lui.
22 §. 24. Comme la succession est une imperfection attachée au fini, il n’y a point de succession dans les perceptions de Dieu, qui se représente à la fois tous les Mondes possibles avec tous les changemens possibles; & comme il y a dans nos idées une infinité de choses confuses, & que nous ne distinguons point à cause de leur multiplicité, les idées que Dieu a des choses étant infiniment distinctes, elles sont infiniment différentes des nôtres, comme seroit à peu près l’idée que nous avons de la Lune d’avec celle qu’en auroit un homme qui auroit demeuré longtems dans cette Planète. La façon dont Dieu voit & se représente toutes les choses possibles, est donc incompréhensible pour nous. Ainsi nous ne pouvons nous former d’idée distincte de l’entendement Divin, il est comme la Création, au nombre des choses qu’il nous est impossible de comprendre & de nier. Souvenons-nous toujours quand nous voudrons comprendre l’entendement de Dieu, de cet Enfant que Saint Augustin vit au bord de la mer, qui essayoit de mettre l’Océan dans une coque de Noisette, & nous aurons par-là une faible idée de la [49] présomption d’un Etre, dont l’entendement est fini, & qui veut se faire une idée claire de l’entendement du Créateur.
23 §. 25. Dieu s’étant déterminé à choisir, parmi tous ces Mondes possibles qu’il se représente sans cesse, le Monde que nous voyons pour lui donner l’éxistence, le choix du Créateur est la raison suffisante de l’éxistence de ce Monde.
24 Paragraph summary: Infiniment sage.Mais ce choix lui-même a eu sa raison suffisante, car l’intelligence suprême ne se conduira pas sans intelligence: or puisque nous jugeons ici-bas qu’un Etre est plus ou moins intelligent, suivant qu’il se détermine par des raisons plus ou moins suffiantes, Dieu étant le plus parfait de tous les Etres, aucune de ses actions ne peut être sans raison suffisante: il a donc eu une raison pour se déterminer à créer un Monde, & cette raison est la satisfaction qu’il a trouvée à communiquer une partie de ses perfections: or cette satisfaction est d’autant plus grande que le monde qu’il a créé, est plus parfait, car la contemplation de la perfection est la source du plaisir dans les Etres intelligens, la plus grande perfection de ce monde est donc la raison suffisante qui a déterminé l’Etre suprême à lui donner l’éxistence par préférence à tous les autres mondes possibles qui lui étoient inférieurs en perfection.
25 Cette raison n’est point hors de Dieu, ni [50] antécédente à lui, mais il la trouve dans lui même, car tous les mondes possibles avec tous leurs changemens, & toutes leurs différences, se représentant à la fois dans l’entendement divin (§. 24), c’est dans lui-même que Dieu les contemple, & c’est en les contemplant, qu’ il s’est déterminé à donner l’éxistence au plus parfait, c’est à dire à celui dans lequel toutes les parties tendent avec le plus d’harmonie à une fin générale, l’être nécessaire est donc infiniment sage, car il n’apartient qu’à un Etre dont la sagesse est infinie, de choisir le plus parfait.
26 §. 26. C’est de cette Sagesse infinie du Créateur que les Causes finales, ce principe si fécond dans la Physique, & que quelques Philosophes en ont voulu bannir bien mal-à-propos, tirent leur origine; tout marque un dessein, & c’est être aveugle, ou vouloir l’être, que de ne pas appercevoir que le Créateur s’est proposé dans le moindre de ses Ouvrages des fins, qu’il obtient toujours, & que la Nature travaille sans cesse à exécuter: ainsi, cet Univers n’est point un Read: chaos cahos, une masse desordonné, sans harmonie & sans liaison, comme quelques déclamateurs voudroient le persuader; mais toutes les parties y sont arrangées avec une sagesse infinie, & aucune ne pourroit être transplantée ni ôtée de sa place, sans nuire à la perfection du tout. [51]
27 En étudiant la Nature, on découvre quelque partie des vues, & de l’art du Créateur, dans la construction de cet Univers: ainsi, Virgile a eu raison de dire: Felix qui potuit rerum cognoscere causas; puisque la connoissance des causes nous élève jusqu’au Créateur, & nous fait entrer dans le mystère de ses desseins, en nous faisant voir l’ordre admirable qui règne dans l’Univers & les rapports de ses différentes parties, qui ne sont pas seulement des rapports nécessaires de situation, comme d’être en haut ou en bas; mais des rapports d’un dessein dont tout porte l’empreinte; & plus le Monde vieillit, plus les hommes poussent loin leurs découvertes, & plus on trouve un dessein marqué dans la fabrique du Monde, & de la moindre de ses parties.
28 Paragraph summary: Ce Monde-ci est le meilleur des Mondes possibles. §. 27. Ce Monde-ci est donc le meilleur des Mondes possibles, celui où il règne le plus de variété avec le plus d’ordre, & où le plus d’effets sont produits par les Loix les plus simples. C’est l’Univers qui occupe la pointe de la Note at the bottom of the page: * Mr. de Leibnits continuant dans sa Théodicée le Dialogue entre Boëce & Valla, introduit le Prêtre d’Apollon, qui veut savoir l’origine des malheurs de Sexte Tarquin, & qui cherche cette origine dans le Palais des destinées, qui étoit une piramide composée de tous les Mondes possibles, dans laquelle le meilleur, qui étoit celui-ci, où Tarquin commettoit les crimes qui ont été la cause de la liberté Romaine, occupoit la pointe. piramide*, & qui n’en a point au-dessus de lui, mais bien une infinité au des [52] sous qui décroissent en perfection, & qui n’étoient point dignes par conséquent d’être choisis par un Etre infiniment sage.
29 Toutes les objections tirées des maux qu’on voit régner dans ce Monde s’évanouissent par ce principe, Dieu les Read: souffre fouffre dans l’Univers entant qu’ils entrent dans la meilleure suite des choses possibles, dont ils ne sauroient être ôtés, sans ôter quelques perfections au tout, car tout l’Univers est lié ensemble, le moindre évènement tient à une infinité d’autres qui l’ont précédé, & une infinité d’autres tiennent à lui & en naîtront. Pour juger donc d’un événement, il n’en faut pas juger en particulier, & hors de la liaison, & de la suite des choses; mais il en faut juger par rapport à l’Univers entier, & par les effets qu’il produit dans tous les lieux, & dans tous les tems. Car de vouloir juger par un mal apparent de la perfection de l’Univers, c’est juger d’un tableau entier par un seul trait, & c’est une chimère de s’imaginer que toutes les imperfections puissent être ôtées, & le tout rester le même, ou devenir plus parfait: l’imperfection dans la partie contribue souvent à la perfection du tout; car lorsqu’il faut satisfaire à plusieurs règles à la fois pour arriver à une perfection générale, les règles se contredisent souvent, & forcent à des exceptions qu’il est impossible d’éviter, d’où naissent les imperfections dans la partie, lesquelles ne [53] laissent pas de contribuer au tout le plus parfait qu’il soit possible d’éxécuter. L’oeil humain, par exemple, ne pourroit voir les moindres parties d’un objet sans perdre la vue du tout; nous verrions quelques points très distinctement, si nos yeux étoient des Microscopes, mais nous en perdrions l’ensemble. Il faut donc que notre vue soit moins distincte pour se proportionner à nos besoins, puisque la distinction des moindres parties, & la vue totale de l’ensemble ne peuvent être réunis; car il nous est plus utile de voir l’objet entier, que de distinguer tous ses points les uns après les autres: ainsi c’est une chimère de croire que l’oeil de l’homme eût été plus parfait, s’il eût distingué les moindres parties des choses, puisqu’au contraire une telle vue nous eût été presque inutile.
30 Il en est de l’homme entier comme de son oeil, toute imperfection ne peut lui être ôtée, l’homme par son essence est un Etre limité, or combien de maux ne nous arrive-t-il pas, parce que nous ne pouvons pas tout savoir, tout entendre, ni nous trouver partout, où notre présence seroit nécessaire, mais ce sont là des facultés que l’homme ne pourroit avoir sans devenir Dieu, ainsi ces imperfections sont des imperfections nécessaires.
31 On ne peut dire que Dieu étant le maître des règles qu’il a établies, il les pouvoit faire telles, qu’il pût arriver à la perfection du [54] tout, sans être assujetti aux imperfections partiales que j’ai dit que ces différentes règles entrainent, car l’actualité des choses dépend de Dieu, mais leur possibilité n’en dépend pas.
32 Vous êtes sans doute un peu étonné de cette assertion, que la possibilité des choses ne dépend Read: pas de la volonté de Dieu par de la volonté de Dieu, mais quand vous aurez fait attention aux principes dont elle est tirée, vous verrez, que vous ne pouvez vous dispenser d’y souscrire.
33 Vous avez vu (§. 5) que le possible est ce qui n’implique point contradiction, or si la possibilité des choses dépendoit de la volonté de Dieu, il s’ensuivroit qu’une chose impossible deviendroit possible si Dieu le vouloit, & que par conséquent ce qui implique à présent contradiction pourroit cesser de l’impliquer, c’est-à-dire que toutes les choses seroient possibles & impossibles en même tems, ce qui est visiblement absurde.
34 Si l’on accordoit que la possibilité des choses dépendît de la volonté de Dieu, il s’ensuivroit encore une autre absurdité bien palpable, car l’entendement de Dieu consistant dans la représentation des possibles, si la possibilité des choses dépendoit de sa volonté, il faudroit dire que Dieu étoit sans entendement pendant que sa volonté étoit occupée à créer des possibles, or il n’y auroit point eu alors de raison suffisante par laquelle il eût pu se dé [55] terminer à accorder la possibilité à de certaines choses plutôt Read: qu’à d’autres qu’a d’autres, puisqu’étant sans entendement il ne pouvoit les connaitre, ainsi c’est comme si l’on disoit, que l’entendement ou la représentation des choses étoit dans Dieu, avant l’entendement ou la représentation des choses, ce qui est une contradiction dans les termes, ainsi Dieu n’en est pas moins tout-puissant, quoique la possibilité des choses ne dépende pas de sa volonté, car dire que Dieu ne peut pas faire qu’une chose possible soit impossible, c’est dire seulement, qu’il ne peut pas les contradictoires, ce qui n’est pas une négation de puissance.
35 Il suit donc de cette vérité, que lorsque l’Etre suprême décerne de donner l’éxistence à une suite de choses qui étoit seulement possible, il s’assujetit en même tems aux conditions qui la rendent possible, car vouloir qu’une chose éxiste, sans vouloir en même tems les conditions par lesquelles elle est possible, ce seroit en effet ne rien vouloir; ainsi, Dieu ayant résolu de donner l’éxistence à cette suite de choses que nous voions, il lui étoit impossible d’en ôter les imperfections partiales, & de laisser en même tems subsister cette même suite de choses, car ces imperfections entrent dans les conditions qui rendent cette suite de choses possible.
36 Ainsi, l’on peut dire que la volonté générale de Dieu va au bien & à la perfection de [56] chaque chose en particulier; mais sa volonté conséquente, qui est le résultat de toutes ses volontés antécédentes & qui peut seule s’éxécuter, va au bien, & à la plus grande perfection du tout, à laquelle la perfection des parties doit céder.
37 Il est vrai que nous ne pouvons voir tout ce grand tableau de l’Univers, ni montrer en détail comment la perfection du tout résulte des imperfections apparentes que nous croyons voir dans quelques parties, car il faudroit pour cela se représenter l’Univers Note at the bottom of the page: * On prend ici, & dans tout ce qui a été dit précédemment les mots de Monde, & d’Univers pour simonimes. entier*, & pouvoir le comparer avec tous les autres Univers possibles, ce qui est un attribut de la Divinité (§. 23). Mais notre impuissance sur cela ne peut nous faire douter que l’Intelligence suprême n’ait choisi le meilleur des Mondes pour lui donner l’éxistence; car l’Etre nécessaire qui se suffit à lui-même, & qui n’a besoin d’aucune chose hors de lui, n’a pu se proposer d’autres fins dans la création de cet Univers, que de communiquer une partie de ses perfections à ses Créatures, & de faire un ouvrage digne de lui, puisqu’il se seroit manqué à lui-même, & qu’il auroit dérogé à ses perfections, s’il avoit produit un Monde indigne de sa sagesse.
38 §. 28. Ainsi, le choix que Dieu a fait du [57] meilleur des mondes possibles pour lui donner l’éxistence, est une preuve de sa liberté, loin de la détruire comme quelques-uns l’avoient objecté à Mr. de Leibnits, car Dieu en donnant l’actualité à une suite de choses qui ne contribuoit en rien par sa propre force à son éxistence, a exercé une liberté parfaite, puisqu’il n’y avoit aucune raison qui pût l’empêcher de donner l’actualité à quelque autre suite, s’il l’avoit voulu, toutes les suites possibles étant dans le même cas, quant à la possibilité. Read: Dieu a donc choisi Dieu à donc choisi la suite des choses qui compose cet Univers, parce qu’elle lui plaisoit le plus, ainsi il a été le maitre absolu de son choix; mais Dieu étant infiniment sage, ce monde n’a pu lui plaire plus que tous les autres mondes possibles, qu’à cause de la plus grande perfection qu’il renferme (§. 25). Le choix que Read: Dieu a fait Dieu à fait du meilleur des mondes possibles, pour lui donner l’éxistence, prouve donc sa liberté, car agir suivant le choix de sa propre volonté, c’est être libre.
39§. 29. Ce monde-ci étant le meilleur des mondes possibles, le choix que Dieu en a fait pour le faire éxister, est une preuve que l’Etre suprême est infiniment bon, car s’étant Paragraph summary: L’Etre suprême est infiniment bon. déterminé à créer un monde pour communiquer une partie de ses perfections infinies, il a accordé l’actualité à la meilleure suite de choses possibles, il a donné à chaque chose en parti [58] culier autant de perfection Read: essentielle esssentelle qu’elle en pouvoit recevoir, & il a dirigé par sa sagesse les maux qui étoient inévitables, dans cette suite de choses, à de plus grands biens.
40 Paragraph summary: Son entendement est le principe de la possibilité ; & sa volonté , la source de l’actualité des choses. §. 30. Enfin, l’Etre suprême est infiniment puissant, car rien ne pouvant jamais devenir possible que ce qu’il a conçu comme tel, & rien n’étant actuel que ce à quoi il a bien voulu accorder l’éxistence, il est le principe de la possibilité, & de l’actualité de tout ce qui est actuel & possible.
41 §. 31. Dieu est donc le maître absolu de cette suite de choses à laquelle il a accordé l’éxistence, il peut la changer & l’anéantir; car un Etre contingent ne peut se conserver un moment l’éxistence par sa propre force, par la même raison que vous avez vu Read: (§.19.) §. 19.), qu’il ne peut se la donner, ainsi la raison de l’éxistence continuée ne peut être dans la Créature, qui ne peut ni commencer, ni continuer d’être, que par la volonté du Créateur, dont elle a besoin à tout moment pour se soutenir dans l’actualité qu’il lui a donnée.
How to cite:
CHAPTER TWO, Version M. In: Du Châtelet, Émilie: Institutions de physique. The Paris Manuscript BnF Fr. 12265. A Critical and Historical Online Edition.
Edited by Ruth E. Hagengruber, Hanns-Peter Neumann, Aaron Wells, Pedro Pricladnitzky, with collaboration of Jil Muller. Center for the History of Women Philosophers and Scientists, Paderborn University, Paderborn.
Version 1.0, April 4th 2024, URL: https://historyofwomenphilosophers.org/dcpm/documents/view/chapter_two/version/m/rev/1.0