Translation of Mandeville’s The Fable of the bees

Electronic edition provided by the Center for the History of Women Philosophers and Scientists, University of Paderborn, in cooperation with the National Library of Russia, Saint Petersburg, and the Centre international d’étude du XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire.

Transcription, encoding, annotations by Andrew Brown, Ulla Kölving, Stefanie Ertz.

Published 2020-12-14.

Content

Émilie Du Châtelet appears to have started work on her translation of Bernard Mandeville‘s The Fable of the bees (1714) in 1735, several of the manuscripts being dated thus. [A] Using the third edition of The Fable of the bees [B], she translated or adapted “The preface” (sig. A2-A8), left untranslated the poem itself (p. 1-24), translated “The introduction” (p. 25-26), “An enquiry into the origin of moral virtue” as “Chapitre 1er. De l‘origine des vertus morales” and “Remarks” A though L (there being no remark J) as the remaining eleven chapters. Du Châtelet inserted a number of remarks of her own, indicated by running quotation marks in the manuscript and by an indentation in the present edition. Some of the passages indicated by running quotation marks are in fact translations, not original remarks.

Sources

MS1. Scribal copy with holograph corrections of the complete text. National Library of Russia, Saint Petersburg, Voltaire Library, 5-240, vol. 9, f. 153-216.

Composed of five gatherings, a total of 64 leaves, paginated 1-127, 20.5 x 16 cm. On f. 153r, indication in the hand of Wagnière “de mad.e Du chatelet”.

MS2. Scribal copy with holograph corrections of the “Préface du traducteur”. National Library of Russia, Saint Petersburg, Voltaire Library, 5-240, vol. 9, f. 229-239.

This isolated copy of the “Préface du traducteur” predates MS1. It is made up of one sheet folded into two to serve as a cover (f. 229 and 239, 21 x 16.5 cm) for 9 leaves (f. 230-238, 20.5 x 16 cm). On f. 229r, Voltaire has noted: “preface de made la marquise du chastellet, a la tete de sa traduction de la fable des abeilles, et dissertation sur la liberté”.

MS3. Scribal copy of the complete text. National Library of Russia, Saint Petersburg, Voltaire Library, 5-240, vol. 9, f. 240-285.

Composed of a total of 45 leaves paginated 1-89, 23 x 18.3 cm. The copy incorporates the changes made in MS1 and includes a number of errors and omissions some of which have been corrected by an unknown hand. These various divergences, being of no textual value, have not been recorded in the critical apparatus of this edition. On f. 240r, Wagnière has noted: “mad.e Du chatelet”.

G: Letter from Françoise de Graffigny to François-Antoine Devaux, 23-25 December 1738, Correspondance de madame de Graffigny, ed. English Showlater et al., vol. 1, p. 246-247.

Mme de Graffigny was able to copy the beginning of the translation and two short passages in this letter to Devaux. Minor variations from the text published below are recorded in the critical notes.

Edition

Wade 1947, p. 131-187.

References

Bernard Mandeville, The Fable of the bees: or, private vices, publick benefits. With anm essay on charity and charity-schools. And a search into the nature of society. The third edition, London, J. Tonson, 1724.

Bernard Mandeville, The Fable of the bees or, private vices, publick benefitsed. F. B. Kaye, London, Oxford University Press, [1924] 1966.

Elena Muceni, “Mandeville and France: the reception of The Fable of the bees in France and its influence on the French Enlightenment”, French studies 69, 2015, p.s 449–461.

Elena Muceni, “‘De la mauvaise éducation des filles’. L’adaptation de La Fable des abeilles par Émilie Du Châtelet”, La Lettre clandestine 27, 2019, p. 215-237.

Abbreviations

BVBibliothèque de Voltaire. Catalogue des livres, ed. M. P. Alekseev and T. N. Kopreeva, Moscou, Leningrad, Éditions de l‘Académie des sciences de l‘URSS, 1961.

CNM Voltaire, Corpus des notes marginales, ed. T. Voronova and S. Manevitch, Berlin, Akademie Verlag, 1969-1994.

Kaye Bernard Mandeville, The Fable of the bees or, private vices, publick benefitsed. F. B. Kaye, London, Oxford University Press, [1924] 1966.

OCV Voltaire, Œuvres complètes, ed. Th. Besterman et al., Genève, Banbury, Oxford, 1968-.

Wade 1947 Ira O. Wade, Studies on Voltaire with some unpublished papers of Mme Du Châtelet, Princeton, Princeton University Press, 1947.

Wade 1958 Ira O. Wade, The Search for a new Voltaire. Studies on Voltaire based upon material deposited at the American Philosophical Society, Philadelphia, American Philosophical Society, 1958 (Transactions of the American Philosophical Society, n. s. 48, part 4.

[A]See also her letter to Algarotti of 20 [April 1736], E70: “Je traduis the fable of the bees de Mandeville; c’est un livre qui mérite que vous le lisiez, si vous ne le connaissez pas; il est amusant et instructif.”[B]The Fable of the bees: or, private vices, publick benfits. With an essay on charity and charity-schools. And a search into the nature of society, London, J. Tonson, 1724. Voltaire‘s library includes a copy of this edition, devoid of marks of readership, BV 2300.

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1 [1 | f. 153r] MS2: 1735. Preface du traducteur.Preface Du traducteur.
1735.

2Depuis que j’ay commencé à vivre avec MS2: moy meme [add. sup. EDC]moy, et à faire attention au prix du tems, à la brieveté de la vie, à l’inutilité des choses auxquelles on la passe dans le monde[,] je me suis MS2: <eronnée> étonnée [corr. EDC]étonnée MS1: d’avoir perdu tant de tems a des choses si inutilles, [omitted, eye skip, corr. eds. from MS2]d’avoir perdu tant de tems a des choses si inutilles, d’avoir eu un soin extreme de mes dents, de mes cheveux, et d’avoir negligé mon esprit et mon entendement. J’ay senti que l’esprit se roüille plus aisément que le fer, mais qu’il est bien plus difficille de luy rendre son premier poli.

3Des reflections si sensées, ne rendent pas à l’ame, cette flexibilité que le manque d’exercice luy otte quand on MS1: <passe> a passé [corr. sup. EDC]a passé la premiere jeunesse. Les fackirs des Indes, perdent l’usage des muscles de leurs bras, à force de les laisser dans la mesme posture, et de ne s’en point servir. Aussi perd t-on ses idées quand on neglige de les cultiver. C’est un feu qui meurt si on n’y jette pas continuellement le bois qui sert à l’entretenir.

4MS1: [marker for new paragraph]MS2: [no new paragraph]Voulant donc reparer, s’il est possible, une [2 | f. 153v] si grande faute, et tacher de replier cet arbre desia MS1: <tres> trop [corr. sup. EDC]trop avancé, et de luy faire porter MS1: <le fruit> les fruits [corr. EDC]MS2: le fruitles fruits qu’on peut encor s’en promettre, j’ay cherché quelque genre d’occupation, qui pust en fixant mon esprit, luy donner cette consistance MS1: [parentheses add. EDC]MS2: si je puis m’exprimer ainsi [del.](si je puis m’exprimer ainsi) qu’on n’acquiert jamais, en ne se proposant pas un but dans ses etudes. Il faut MS2: <se> s’y [corr. EDC]s’y conduire comme dans la MS1: <vie civile> vie civile [corr. sup. EDC, repetition]vie civile, bien savoir, ce qu’on veut estre[,] l’irresolution MS1, MS2: <produit> produisant [corr. EDC]produisant dans l’une les fausses demarches, MS1: <[...]> et [corr. EDC]et dans l’autre les idées confuses.

5Ceux qui ont recû de la nature un talent bien decidé, n’ont qu’à se laisser aller à l’impulsion de leur genie, mais il est peu de ces ames, qu’elle conduit par la main, dans le champ qu’elles doivent defricher, ou embellir. Il est encor moins de ces genies sublimes, qui ont en eux, le germe de tous les talents, et dont la superiorité embrasse et execute tout. Ceux qui pouroient pretendre le plus à cette monarchie universelle des baux arts, MS1, MS2: <assignent> atteignent [corr. sup. EDC]atteignent cependant la perfection d’un seul avec plus de facilité, et en font leur favori. MS1: <Mr. de V....> Mr. de Voltaire [corr. sup. EDC]Mr. de Voltaire MS1, MS2: par exemple [add. EDC]par exemple quoy que [3 | f. 154] grand metaphysicien, MS2: grand poëte, grand historien [add. EDC]grand historien[,] grand philosophe MS2: &c [del.]&c a donné la preferance à la poesie, et l’epithete du plus grand poete français, sera aussi bien son caractere distinctif, que celuy d’homme universel.

6MS1: [marker for new paragraph]Il arive quelques fois que le travail et l’etude, forcent le genie à se declarer, comme ces fruits que l’art fait eclore dans un terrain pour lequel, la nature ne les MS1: <a> avoit [corr. EDC]avoit pas faits, mais ces efforts de l’art sont presque aussi rares, que le genie naturel. Le plus grand nombre des gens pensans, car les autres sont une espece à part, sont ceux qui ont besoin de chercher en eux, leur talent. Ils connoissent les difficultés de chaque art, et les fautes de ceux qui en courent la cariere, mais le courage qui n’en est pas rebuté, et cette superiorité qui les fait franchir, leur a esté refusée. La médiocrité est, mesme parmi les elus, le partage du plus grand nombre. Les uns s’occupent à arracher les épines qui retarderoient les vrais genies dans leur course, et c’est ce qui procure tant de dictionaires, et d’ouvrages de cette espece, qui sont d’un si grand secours [4 | f. 154v] dans la litterature. Il faut bien broyer les couleurs des grands peintres. Les autres rendent compte periodiquement au public de tout ce qui se passe dans la republique des lettres. Enfin d’autres transmettent d’un pays à un autre les decouvertes et les pensées des grands hommes, et remedient autant qu’il est en eux, à ce malheur de la multiplicité des langues, tant de fois MS1, MS2: <deployé> deploré [corr. sup. EDC]deploré par MS1, MS2: <ces> les [corr. EDC]les vrais amateurs.

7Je scais que c’est rendre un plus grand service à son pays, de luy procurer des richesses, tirées de son propre fonds, que de luy faire part des decouvertes etrangeres, et que MS1: <celuy qui a etabli la manufacture des draps de Varobes> Van Robés [corr. sup. EDC]MS2: celuy qui a etabli la manufacture des draps de VanrobezVan Robés [1] a esté plus utille à la France, que celuy qui a fait venir le premier des draps d’Angleterre. Mais il faut tacher de faire valoir le peu qu’on a receu en partage et ne pas entrer en desespoir, parce qu’on n’a que deux arpents à cultiver et qu’il y a des gens qui ont dix lieües de pays.

8On peut appliquer aux arts ce passage MS1, MS2: <de Virgile> de l’evangile [corr. EDC]de l’evangile, sunt plures mansiones [5 | f. 155] in domo patris mei[.] [2] MS1: <et il est> Il est [corr. sup. EDC]MS2: et il estIl est certain qu’il vaut mieux donner une bonne traduction d’un livre anglais ou italien estimé, que de faire un mauvais livre français.

9Les traducteurs sont les negocians de la republique des lettres, et ils meritent du moins cette louange, qu’ils sentent et connoissent leurs forces, et qu’ils n’entreprennent point de produire d’eux mesmes, et de porter un fardeau sous lequel ils succomberoient. D’ailleurs si leur ouvrage ne demande pas ce genie createur, qui tient sans doute le premier rang dans l’empire des baux arts, il exige une application dont on doit leur savoir d’autant plus de gré, qu’ils en attendent moins de gloire.

10De tous les ouvrages, ceux de raisonement me semblent les plus susceptibles d’une bonne traduction. La raison et la morale sont de MS2: toustout pays. Le genie de la langue[,] ce fleau des traducteurs, se fait bien moins sentir dans des ouvrages où les idées sont les seulles choses qu’on ait à rendre, et où les graces du stile, ne sont pas le [6 | f. 155v] premier MS1: merite. <Mais> Au lieu que les ouvrages <Les ouvrages> [corr. EDC]MS2: merite. ¶Les ouvragesmerite. Au lieu que les ouvrages d’imagination peuvent estre rarement transmis de peuple à peuple, car pour bien traduire un bon poëte, il faudroit estre presque aussi bon poete que luy [3].

11Mais s’il est impossible d’avoir des memoires bien fidels de l’imagination des hommes, il ne l’est pas d’en avoir de leur raison, et c’est une des obligations qu’on a aux traducteurs. Ainsi si la nature humaine en general, est redevable au sage mr Lock, de luy avoir appris à connoitre la plus belle partie d’elle mesme, son entendement, les Français le sont sans doute à mr Coste, de leur avoir fait connoitre ce grand philosophe [4]. Car combien de gens, mesme parmi les lecteurs de Lock, ignorent la langue anglaise, et combien peu parmi ceux qui ont appris cette langue de la philosophie moderne, seroient en etat d’entendre mr. Lock en anglais, et de surmonter en mesme tems les difficultés de la langue, et celles de la matiere.

12Il faut, sans doute, pour se resoudre à [7 | f. 156] traduire, se bien persuader que c’est aux commentateurs, et non aux traducteurs qu’on a fait dire dans le Temple du goût:

13Le goût n’est rien, nous avons l’habitude
de rediger au long, de point en point
ce qu’on MS1, MS2: <pense> pensa [corr. EDC]pensa, mais nous ne pensons point [5].

14Le judicieux autheur de ce charmant ouvrage a bien senti la difference qu’il y a de composer de gros volumes sur un passage de Dictis de Crete [6] qu’on n’entend point, et dont on n’a que faire, ou de rendre propres à son pays, les travaux et les decouvertes MS2: <de tous les autres> des autres peuples [corr. EDC]de tous les autres.

15Mais comme on abuse de tout, l’envie de gagner de l’argent, et d’estre imprimé a produit presques autant de mauvaises traductions, que de mauvais livres.

16Si une bonne traduction n’est pas sans quelque difficulté, il sembleroit du moins, qu’il deveroit estre aisé de choisir un bon livre pour MS1: <objet> l’objet [corr.]MS2: objetl’objet de son travail[.] Cependant on voit souvent paroitre des traductions, dont l’original est desia MS1, MS2: <publié> oublié [corr. sup. EDC]oublié. Les Anglais tombent encor plus souvent que nous dans cet inconvenient. Il n’y a gueres de [8 | f. 156v] mauvais MS2: livre<s>livres français qu’ils ne traduisent, temoin Sethos [7] et tant d’autres. MS1: Cependant [add. EDC]MS2: [absent]Cependant le genie profond des Anglais MS2: <deveroit> devroit [corr. sup. EDC]deveroit les rendre moins avides de nos livres qui sont frivoles pour la plus part, en comparaison des leurs.

17MS1: [marker for a new paragraph]MS2: [no new paragraph]Il me semble qu’on pouroit appliquer aux livres français ce que le comte de MS2: Roscomon<e> [corr. EDC] Roscomon a dit MS1, MS2: <des> de nos [corr. EDC]de nos vers: que tout l’or d’une MS1, MS2: <line> ligne [corr. sup. EDC]ligne anglaise tirée à la filiere française rempliroit plusieurs MS1, MS2: <volumes> pages [corr. sup. EDC]pages[.]

18The weigthi bullion, of one sterling line
draun MS1: to [add. sup. EDC]to a french wire would trough all MS1, MS2: <plages> pages [corr. sup. EDC]pages shine [8].
Le mot line en anglais signifie MS2: egalement ligne et vers <egallement> [corr. sup. EDC]ligne et vers egallement[.]

19Je crois que ce qui rend les traductions si communes ches MS1, MS2: <eux> les Anglais [corr. sup. EDC]les Anglais, c’est que l’etude MS2: <des> du [corr. sup. EDC]du français faisant partie de leur education, il y a plus de gens parmi eux à portée de traduire.

20Il y a bien des traducteurs MS1: <infidelles> infidels [corr. EDC]infidels, les uns traduisant mot à mot le deviennent crainte de l’estre. Les autres par la difficulté de saisir le sens de leur autheur donnent à costé, et rendent obscurément une pensée lumineuse que leur esprit n’a fait qu’entrevoir. Pour [9 | f. 157] ceux qui mettent leurs sotises à la place de celles de l’autheur qu’ils traduisent[,] je les regarde comme MS2: <les> ces [corr.]les voyageurs qui abusent du proverbe: a beau mentir qui vient de loin [9]. Il n’y a gueres je crois, que les traducteurs des ouvrages en langue orientalle, qui soient tombés dans cet excés.

21Les difficultés de chaque art sont pour les artistes, ce que les circonstances des plus petits evenements sont pour les contemporains. L’interest qu’ils y prennent et le point de veüe dans lequel ils les envisagent, grosissent aux uns et aux autres les objets. La posterité et le public en jugent bien differement. Ainsi quoy qu’il soit vrai de dire, qu’une bonne traduction demande de l’application et du travail, il est certain cependant que la meilleure est MS2: toujours unun ouvrage tres mediocre.

22Cependant tout mediocre que soit MS1, MS2: <le> cece genre de litterature, on trouvera peutestre MS2: qu’il est encorencor qu’il est bien hardi à une femme d’y pretendre. Je sens tout le poids du [10 | f. 157v] prejugé qui MS1: <les> nous [corr. sup. EDC]MS2: lesnous exclud si universellement des sciences, et c’est une des contradictions de ce monde, qui m’a toujours le plus etonnée, car il y a de grands pays, dont la loy nous permet de regler la destinée, mais, il n’y en a point où nous soyions elevées à penser.

23Une reflection MS1: <qui est encor assés singuliere> sur <un> ce préjugé [...] singuliere [corr. sup. EDC]MS2: qui est encor assés singulieresur ce prejugé, qui est assés singuliere, c’est que la comedie est la seulle profession qui exige quelque etude, et quelque culture d’esprit, dans laquelle les femmes soient admises, et c’est en mesme tems la seulle qui soit declarée infame. [10]

24Qu’on fasse un peu reflection pourquoy depuis tant de siecles, jamais une bonne tragedie, un bon poëme, une histoire estimée, un beau tableau, un bon livre de physique, n’est sorti de la main des femmes? Pourquoy MS1, MS2: <des> ces [corr. sup. EDC]ces creatures dont l’entendement paroit en tout si semblable à celuy des hommes, semblent pourtant arrestées par une force invincible en deça de la bariere, et qu’on m’en donne la raison, si l’on peut. Je laisse aux naturalistes à en chercher une phisique, mais jusques [11 | f. 158] à ce qu’ils l’ayent trouvée, les femmes seront en droit de reclamer contre leur education. Pour moy j’avoüe que si j’etois roy, je voudrois faire cette experience de physique. Je reformerois un abus qui MS1: <retrancheroit> retrancheretranche, pour ainsi dire[,] MS2: unela moitié du genre humain. Je ferois participer les femmes à tous les droits de l’humanité, et sur tout à ceux de l’esprit. Il semble qu’elles soient nées pour MS1, MS2: <ramper> tromper [corr. EDC]tromper, et on ne laisse gueres que cet exercice à leur ame. Cette education nouvelle, feroit en tout un grand bien à l’espece humaine. Les femmes en vaudroient mieux MS1: et [add. sup. EDC]MS2: [absent]et les hommes y gagneroient un nouveau sujet d’emulation, et nostre commerce qui en polissant leur esprit l’affoiblit et le retrecit trop souvent, ne serviroit alors qu’à étendre leurs connoissances. On me dira sans doute que je deverois prier mr. l’abbé de St. Pierre de joindre ce projet aux siens. [11] Il poura paroitre d’une execution aussi difficille, quoy qu’il soit peutestre plus raisonable.

25[12 | f. 158v] Je suis persuadée que bien des femmes ou ignorent leurs talents, par le vice de leur education, ou les enfoüissent par prejugé, et faute de courage dans l’esprit. Ce que j’ay éprouvé en moy, me confirme dans cette opinion. Le hazard me fit connoitre de gens de lettres, qui prirent de l’amitié pour moy, et je vis avec un etonnement extreme, qu’ils en faisoient quelque cas. Je commencai à croire alors que j’etois une creature pensante. Mais je ne fis que l’entrevoir, et le monde, la dissipation, pour lesquels seuls je me croyois née, emportant tout mon tems et toute mon ame, je ne l’ay crû bien serieusement, que dans un age où il est encor tems de devenir raisonable, mais où il ne l’est plus d’acquerir des talents.

26Cette reflection ne m’a point decouragée. Je me suis encor trouvée bien heureuse d’avoir renoncé au milieu de ma course aux choses frivoles, qui occupent la plus part des femmes toute leur vie. Voulant donc employer ce qui m’en reste à cultiver mon ame, et sentant que la [13 | f. 159v] nature m’avoit refusé le genie createur MS1: <qui fait trouver des verités nouvelles, je> [repeated sup. EDC]qui fait trouver des verités nouvelles, je me suis rendüe justice, et je me suis bornée à rendre avec clarté, celles que les autres MS1: <avoient> ont [corr. sup. EDC]MS2: avoientont decouvertes, et que la diversité des langues rendent inutilles pour la plus part des lecteurs.

27M’etant determinée à ce genre de travail, mon estime pour les Anglais, et le goût que j’ay toujours eu pour la façon libre et masle de penser et de s’exprimer de ce peuple philosophe, m’ont fait preferer leurs livres, à ceux des autres nations, et j’ay choisi MS1: <la Fable des abeilles> le livre qui [...] abeilles [corr. sup. EDC]MS2: la Fable des abeillesle livre qui a pour titre la Fable des abeilles parmi tous MS1: <ceux> <les livres> ceux [corr. EDC]ceux que j’aurois pû traduire parce qu’il me semble que c’est un des MS1: <livres> ouvrages [corr. EDC]MS2: livresouvrages du monde, qui est le plus fait pour l’humanité en general. C’est je crois le meilleur livre de morale, qui ait jamais esté fait, c’est à dire celuy qui ramene le plus les hommes à la veritable source des sentimens auxquels ils s’abandonnent presque tous sans les examiner. MS1: [add. EDC](Note I.) Mandeville MS1: <Le petit fils [...] et un fils d’un Hollandois> [add. del. marg. EDC]MS2: note *(Note I.) MS2: C’etoit un François refugiéC’etoit le petit-fils d’un François refugié [12]. Il prouve par son exemple que les esprits françois ont besoin d’etre transplantés en Angleterre pour acquerir de la force. qui en est [14 | f. 159v] l’autheur, peut estre appellé le Montagne des MS1: <philosophes> Anglois [corr. sup. EDC]MS2: philosophesAnglois, à cela pres qu’il a plus de methode, et des idées plus saines des choses, que Montagne.

28Je n’ay point pour mon autheur le respect idolatre de tous les traducteurs. J’avoüe qu’il est assés mal ecrit en anglais, MS1: <et> qu’il [corr. EDC]MS2: et qu’ilqu’il est quelques fois plein de MS1: et qu‘il passe [...] suites dangereuses [add. marg. with marker EDC]MS2: longueurs. Aussi ai-je pris la libertélongueurs et qu’il passe quelque fois le but come quand il dit par exemple qu’un voleur est aussi utile à la societé qu’un eveque qui done l’aumone [13], et qu’il ni a point de merite à sauver des flammes un enfant pret à en etre devoré [14], et dans bien d’autres MS1: endroits, <cela n’est point vray> il avance [...] etre dangereuses. J’ay eu soin [corr. sup. EDC]endroits, il avance plusieurs choses qui ne sont pas vraies et qui pouroient etre dangereuses[.] J’ay eü soin de mettre un correctif à ces endroits MS1: <qui pouroient avoir un sens dangereux> afin d’empecher [...] suite dangereuses [corr. sup. EDC]afin d’empecher qu’ils n’ayent des suites dangereuses. [15] J’ay pris la liberté MS1: <de l’elaguer en> d’elaguer son style en [corr. sup. EDC]MS2: de l’elaguer end’elaguer son style en plusieurs endroits, et de retrancher tout ce qui n’etoit fait que pour les Anglais, et qui avoit un raport trop unique à leurs coutumes.

29J’ay pris aussi la liberté d’y ajouter mes propres reflections, quand la matiere sur laquelle je travaillois m’en suggeroit, MS1, MS2: <et> que [corr. EDC]que je croyois meriter la peine d’estre ecrites. Mais affin que le lecteur puisse les discerner, j’ay eu soin de les marquer par des guillemets.”. [16]

30On trouvera dans MS2: <le> cece livre des pensées qui pouront paroitre un peu hardies, mais il ne s’agit, je crois, que d’examiner si elles sont justes, car si elles sont vraies, et si elles apprennent aux hommes à se connoitre, elles ne peuvent manquer d’estre utilles [15 | f. 160] aux gens qui pensent, et c’est pour ceux là seullement que ce livre est destiné. Odi prophanum vulgus et MS1: <artes arceo> arceo [corr. sup. EDC]MS2: <artes> arceo [corr.]arceo. [17]

31J’avoüe qu’ayant eu la temerité d’entreprendre cet ouvrage, j’ay celle de desirer d’y reussir. Je me crois d’autant plus obligée d’y donner tous mes soins que le succés seul peut me justifier. Il faut du moins que l’injustice que les hommes ont eu de nous exclure MS1: <de la litterature> des sciences [corr. sup. EDC]MS2: de la litteraturedes sciences, nous serve à nous empecher de faire de mauvais livres. Tachons d’avoir cet avantage sur eux, et que cette tyranie soit une heureuse necessité pour nous, de ne MS1: leur [add. sup. EDC]MS2: [absent]leur laisser que nostre nom à condamner dans nos ouvrages.

32MS1: [title and text add. EDC]MS2: [absent]Avertissement du traducteur

33Je n’ay point traduit la Fable des abeilles qui a donné lieu aux remarques, parceque il faudroit que cette traduction fut en vers et que je n’en fais point, d’ailleurs elle me paroit peu necessaire, chaque remarque est un petit traité de morale[.] J’y ay mis des titres aulieu des vers de la [16 | f. 160 ] fable qui sont dans l’original anglais, et je crois que ce livre n’en sera pas moins utile et moins agreable au public[.]

34[17 | f. 161r] Preface de l‘autheur.

35Les loix sont à la societé, ce que la vie est au corps humain. Ceux qui connoissent l‘anatomie, savent que les os, les nerfs, la peau et les autres parties du corps qui affectent le plus nos sens, et qui nous paroissent les plus considerables, ne sont pas ce qui conserve nostre vie, mais qu‘elle depend de lineaments deliés dont le vulgaire ne soupçonne pas mesme l‘existence. De mesme ceux qui etudient l‘anatomie de l‘esprit humain, G: s‘il est permis desi l‘on peut s‘exprimer ainsi, et qui dans cette recherche n‘ont aucun egard aux prejugés de l‘education, savent que ce n‘est G: paspoint le bon naturel, la pitié, ny les autres qualités aimables, qui rendent les hommes sociables, mais les vices qui G: echaufent laechaufent le plus la bile des predicateurs. C‘est ce que j‘ay taché de developer dans l‘ouvrage suivant.

36Ce livre essuya bien des contradiction quand il parut. Quelques uns se meprenant au dessein de l‘autheur, ou voulant [18 | f. 161v] l‘empoisoner, crierent que c‘etoit la satyre de la vertu, et l‘eloge du vice. Cette calomnie m‘a fait prendre le parti d‘instruire le public des veües que je me suis proposées en l‘ecrivant.

37Mon principal but a esté de faire voir combien l‘innocence et les vertus du pretendu age d‘or, sont incompatibles avec les richesses et la puissance d‘un grand etat, et de montrer l‘inconsequence de ceux qui jouissant avec un plaisir extreme, des commodités de la vie, et de tous les autres avantages dont on ne peut joüir que dans un etat puissant, ne cessent cependant de declamer contre les inconvenients qui en sont inseparables.

38J‘ay voulu montrer aussi dans ce que j‘ay dit sur les differentes professions combien les ingredients qui composent une societé puissante, sont pour la plus part meprisables et viles, et faire G: voir l‘habilitévoir la sagesse et l‘habilité des legislateurs, qui ont construit une machine si admirable, de materiaux si abjets, et qui ont trouvé le moyen de faire servir au bonheur de la societé les vices de ses [19 | f. 162r] differents membres.

39Enfin ayant fait voir les inconvenients auxquels seroit necessairement exposée une nation dans laquelle les vices seroient inconnus, et dont tous les particuliers seroient pleins d‘honnesteté, d‘innocence, et de toutes sortes de vertus, je demontre que si les hommes cessoient d‘estre ce qu‘on appelle MS1: <vitieux> vicieux [corr.]vicieux, si l‘on pouvoit guerir la nature humaine de tous ses defauts, et de toutes ses foiblesses[,] aucun des grands empires et des societes polies et florissantes dont les histoires nous parlent, et que nous voyons de nos jours, n‘auroit pû subsister.

40Si MS1: <vous me demandés> on me demandoit [corr. sup. EDC] on me demandoit pourquoy je me suis appliqué à prouver toutes ces choses et quel avantage les hommes retireront de MS1: <cet> mon [corr. sup. EDC] mon ouvrage, je MS1: <vous> repondrois [corr. EDC]repondrois avec naïveté que je sens assés combien il est difficille de les corriger, pour craindre que les verités qu‘il renferme, ne MS1: leur<s> [corr. EDC] leur soient inutilles.

41Mais si vous me demandiés quel fruit il deveroit produire, je repondrois bien differement. Je vous dirois alors que ceux qui trouvent toujours à reprendre [20 | f. 162v] dans les autres, apprendront en lisant ce livre, à descendre dans eux mesmes et à voir combien ils sont injustes, de murmurer sans cesse contre des abus qui sont la source, et le fondement de toutes les commodités, et de tous les avantages dont ils joüissent.

42Mais s‘il y auroit trop de vanité à esperer, que la gloire de corriger les hommes me fust reservée, MS1: <et a trop> et à trop [corr. sup. repetition EDC] et à trop presumer de ce petit ouvrage, il y auroit de la lacheté à l‘abandonner aux calomnies dont on l‘a noirci. Ainsi je me suis crû obligé de prouver qu‘il ne peut produire aucun mauvais effet, car il faut au moins que ce qu‘on presente au public ne luy soit pas MS1: <prejudialable> prejudiciable [corr. EDC] prejudiciable.

43Ceux qui croyent qu‘il est criminel de supposer la necessité du vice, en quelque cas que ce soit, ne pouront jamais, sans doute, approuver cet ouvrage, mais les gens sensés sentiront bien que cette proposition ne peut paroitre dangereuse qu‘à ceux qui en tireroient de fausses consequences, et c‘est à leurs yeux seullement que je pretends me justifier, car je sens à [21 | f. 163r] merveille que toutes mes raisons ne pouroient rien sur les autres, et que les plus belles apologies sont inutilles quand les hommes sont prevenus.

44Quand j‘avance par ex. que le vice est inseparable de la grandeur et de la puissance d‘un etat, je n‘entends pas par là, que les particuliers MS1: <vitieux> vicieux [corr. EDC] vicieux, qui troublent l‘ordre de la societé, ne doivent estre rigoureusement punis.

45Il y a peu de personnes à Londres, surtout de ceux qui vont à pied, qui, s‘ils n‘avoient egard qu‘à leur commodité, ne desirassent que les rües fussent plus propres qu‘elles ne le sont. Mais quand ils penseront que ce qui leur cause cette petite incomodité c‘est la suite necessaire de la quantité de peuple qui habite cette cité immense, du prodigieux commerce qui s‘y fait, et de l‘abondance qui y regne, il y aura je crois, peu de citoyens qui osent alors se plaindre de la malpropreté des rües.

46“Tout a des details immenses, auxquels peu de gens font attention. On glisse sur la surface des choses, les gens du [22 | f. 163v] monde qui se levent à midy, ignorent les travaux que le disner qu‘on leur sert a couté, et combien il faut qu‘il entre dans la ville, de charettes, de bestiaux, et de personnes de la campagne pour qu‘on puisse à leur reveil, leur servir un repas delicieux. Ils ne voyent dans tout cela qu‘une aisance devenüe trop ordinaire pour estre remarquée. Mais le philosophe y voit l‘industrie et les travaux de tout un peuple, qui a travaillé à MS1: <leurs> ses [corr. sup. EDC] ses plaisirs. Le bourgeois de son costé, ne voit que la crote qui luy gâte ses souliers, et ne pense pas que dans les villes où les rües sont propres, on ne joüit d‘aucune des commodités que l‘abondance de Londres luy procure jusques dans MS1: <leur> sa [corr. sup. EDC] sa mediocrité.”

47Il est certain qu‘il n‘y a personne qui en faisant ces reflections, ne soit obligé de convenir, que Londres ne pouroit estre moins crotée, sans estre moins florissante et que la malpropreté des rües, est un inconvenient attaché necessairement à l‘abondance qui y regne. Cet inconvenient mesme est utile à plusieurs. C‘est ce qui fait vivre les decroteurs, les balayeurs, [23 | f. 164r] les boueux, qui malgré la basesse de leur profession, sont membres de la societé.

48Cependant si on demandoit simplement à un homme dans quel lieu il aime le mieux se promener, il choisiroit un beau jardin dans la MS1: <contrée> campagne [corr. sup. EDC] campagne, par preferance aux rües de Londres. De mesme que si on ne consideroit que l‘innocence des moeurs, et les avantages de la vertu, on prefereroit une petite societé dans laquelle les hommes seroient sans passions, à une vaste multitude dont la puissance et la gloire sont fondées sur le vice. Mais ce n‘est pas là, l‘etat de la question, et nous devons voir par cet exemple combien on juge mal des choses quand on ne les considere pas sous tous les points de veüe qu‘elles renferment.

49Il [18] me semble MS1: de plus [add. sup. EDC] de plus que ce qui fait que si peu de gens se connoissent MS1: eux memes [add. sup. EDC] eux memes c‘est que tous les moralistes se sont appliqués à enseigner aux hommes ce qu‘ils doivent estre, et n‘ont presque jamais songé à leur faire connoitre ce qu‘ils sont.

50Nostre ame est composée de passions [24 | f. 164v] differentes, comme nostre corps l‘est d‘os, de chair, de muscles &c. Ces passions nous gouvernent tour à tour et sont la source de nos vertus et de nos vices. C‘est ce que j‘ay taché de prouver dans le premier chapitre de cet ouvrage. On y verra d‘où le bien et le mal moral ont pris leur naissance, et j‘espere convaincre le lecteur, que l‘homme ne doit point les idées qu‘il a, à aucune religion.

51MS1: [marker for new paragraph] Il est bon d‘avertir icy une fois pour toutes, que je n‘entends parler dans cette recherche, ny des juifs, ny des MS1: <On ne donne point la traduction de la fable des abeilles. Elle doit etre en vers. Elle n‘est point necessaire au sens des notes, dont j‘ai fait autant de chapitres.> [del. EDC] chretiens. [19]

[25 | f. 165r] [blank page]

[26 | f. 165v] [note deleted “On ne donne point [...] chapitres.”]

52[27 | f. 166r] Chapitre 1er.
De l‘origine des vertus morales.

53Tout animal desire son bonheur sans égard à celuy des autres. Ainsi ceux qui ont le moins de desirs semblent devoir estre les plus capables de vivre ensemble.

54L‘homme etant de tous les animaux celuy qui paroit avoir le plus de passions et le plus de desirs, paroit estre par cette raison celuy qui MS1: <sans le frein des loix seroit le moins sociable> est le moins propre à la societé [corr. sup. EDC] est le moins propre à la societé, et cependant c‘est par le secours de ces mesmes passions qu‘il est le seul capable de MS1: <le devenir, et Lucrece avoit bien raison quand il disoit à Venus: nec sine te quicquam dias in luminis oras exoritur.> devenir sociable. [corr. sup. EDC] devenir sociable.

55MS1: <Donc> <Car> [marker for new paragraph] L’amour paroit avoir dû estre le commencement de toute societé. MS1: Car [add. sup. EDC] Car l‘homme comme MS1: <la plupart des> tous les autres [corr. sup. EDC] tous les autres animaux a un penchant invincible à la propagation de son espece. [28 | f. 166v] Un homme etant devenu amoureux d‘une femme, en aura eü des enfans, le soin de leur famille aura fait subsister leur union au dela de leur goût. Deux familles auront eu besoin l‘une de l‘autre des quelles auront esté formées, et ces besoins mutuels auront donné naissance à la societé. [20] MS1: Ainsi Lucrece [...] exoritur. ¶L‘amour et ensuite [add. marg. with marker EDC]Ainsi Lucrece avoit raison quand il disoit à Venus nec sine te quicquam dias in luminis oras, exoritur. [21]

56MS1: L‘amour et ensuite [add. marg. EDC] L‘amour et ensuite les besoins MS1: mutuels [add. supp. EDC] mutuels ayant rassemblé les hommes[,] les plus adroits d‘entre eux, s‘apercûrent que l‘homme etoit né avec un orgueil indomptable, et c‘est de l‘empire que cette passion a sur luy, que les premiers legislateurs, ont tiré les plus grands secours, pour parvenir à MS1: <les civiliser> civiliser les homes. [corr. EDC] civiliser les homes. [22]

57Il auroit esté impossible de persuader aux hommes de sacrifier leur interest particulier au bien de la societé, si on ne leur avoit montré un équivallent pour la violence qu‘on éxigeoit d‘eux. L‘orgueil fournit cet equivallent MS1: <à ceux qui les premiers ont songé à faire vivre les hommes ensemble, et à les gouverner> aux legislateurs [corr. sup. EDC] aux legislateurs . Ils ont examiné les forces et les foiblesses de nostre nature, et remarquant qu‘il n‘y a personne assés meprisable pour suporter le mepris ny assés sauvage pour estre insensible à la louange, ils ont conclu avec justesse [29 | f. 167r] que la flatterie etoit l‘argument le plus puissant sur les hommes. Ainsi faisant joüer ce grand ressort, ils les ont amenés à leur but en donnant des louanges sans bornes à l‘excellence de leur nature, et à leur preëminence sur tous les autres animaux. Etant parvenus par cette adresse à se faire ecouter, ils ont donné aux hommes les idées de l‘honneur et de la honte, peignant l‘un comme le plus grand bien auquel l‘homme puisse aspirer, et l‘autre comme le plus grand de tous les maux.

58Ils ont ensuite taché de leur persuader que leur entendement, cette faculté qui MS1: <enleve> eleve [corr. sup. EDC] eleve l‘homme au dessus de tous les etres visibles, devoit commander à leurs sens, et reprimer leurs desirs; que c‘etoit agir comme les betes, que de s‘y abandonner sans reserve, et que les difficultés que nous trouvons à les contenir devoient exciter nostre émulation, loin de nous décourager.

59Pour introduire cette émulation parmi les hommes, ils les diviserent en deux classes. Ils composerent la premiere des gens grossiers, qui n‘etant occupés [30 | f. 167v] que MS1: <des soins> du soin [corr. sup. EDC] du soin de satisfaire leurs desirs sont incapables de rien sacrifier au bien de la societé, et au bonheur commun. Cette multitude MS1: <vilet> vile et [corr. sup. EDC] vile et rampante, est disoient ils, l‘ecume et la honte de l‘humanité, n‘ayant que la figure d‘homme, pour les distinguer des bestes. Mais l‘autre classe etoit formée de ceux qui connoissant la dignité de nostre nature, savent mettre un frein à leurs passions, et les subordoner au bien de la societé et de l‘humanité. [23]

60Fortior est qui se, quamqui
fortissima moenia vincit. [24]

61Ces derniers etoient regardés comme les seuls dignes de representer nostre sublime espece, ayant plus de superiorité sur ceux de la MS1: <seconde> premiere [corr. sup. EDC] premiere classe, que ceux là n‘en ont sur les brutes.

62Comme dans chaque espece d‘animaux les plus parfaits sont les plus fiers, aussi l‘homme le plus parfait des animaux est il le plus orgueilleux, et cette passion est si inseparable de son estre, quelque effort qu‘il fasse pour la déguiser, que sans elle il manqueroit d‘un de ses principaux ingredients.

63[31 | f. 168r] Ainsi les legislateurs ayant mis par cette division des deux classes l‘orgueil des hommes dans leur interest, il n‘est pas etonnant, que leurs leçons ayent tant fait d‘impression sur eux. Car ceux mesme dont le coeur etoit le plus corrompu, contraignoient leurs desirs, et MS1: <crierent> crioient [corr. sup. EDC] crioient mesme plus haut que les autres, qu‘il falloit tout immoller au bien public. Ainsi tous voulurent et veullent encor estre de la MS1: premiere [corr. eds.] seconde classe, quoyque dans le fonds du coeur, ils soient tous de la MS1: seconde [corr. eds.] premiere. [25]

64C‘est, ou du moins ce peut estre MS1: [add. sup. EDC] la facon dont les hommes ont esté civilisés, MS1: ce [add. sup. EDC] ce qui prouve bien que les premieres regles de morale ont esté inventées par les politiques, affin de pouvoir gouverner la multitude avec plus de sureté. Mais ces fondemens de la politique une fois posés, il etoit impossible que les hommes ne se civilisassent pas, et que tous ne sentissent pas, que le moyen le plus sur de satisfaire leurs desirs, etoit de les moderer. Les hommes se sont donc accordés à nommer toute action prejudiciable à la societé du nom de vice et MS1: <de> à [corr. sup. EDC] à donner [32 | f. 168v] celuy de vertu à toutes celles que la raisonable ambition d‘estre juste, fait faire.

65“Voila pour quoy ces MS1: <mots> noms [corr. sup. EDC] noms de vice et de vertu sont donnés quelques fois à des actions opposées dans differents pays, car les besoins de la societé sont differents en differents climats. Mais dans tous les pays on appelle vertu ce qui est conforme aux loix etablies, et vice ce qui leur est opposé, [26] car aucune societé n‘a pû subsister sans avoir des loix, de mesme qu‘on ne peut joüer, s‘il n‘y a des regles du jeu. [27] Mais de mesme que ce qui est une faute au piquet, n‘en est pas une au reversi; [28] aussi ce qui est vice à Paris, est vertu à Constantinople. Mais tous les hommes s‘accordent à observer les loix etablies ches eux, et à regarder les actions comme bonnes ou mauvaises selon leur relation ou leur opposition à ces loix.” [29]

66“Il y a une loi universelle pour tous les hommes que dieu a luy mesme gravée dans leur coeur. [30] Cette loy est, ne fais pas à autruy ce que tu ne voudrois pas qui te fust fait, et je crois que le sage Lock a esté trop loin, quand apres avoir [33 | f. 169r] detruit les idées innées, il a avancé qu‘il n‘y avoit point d‘idées de morale universelle. Il n‘y a point de peuple, quelque barbare qu‘il soit, chés qui, dès qu‘il y aura une apparence de societé, il soit permis de manquer à sa parolle. [31] Le besoin de la societé éxige cette loy comme son fondement, et les besoins qui sont differents dans les differents pays, se reunissent tous dans cette maxime, ne fais pas à autruy ce que tu ne voudrois pas qui te fust fait. MS1: <et> LeLe bien de la societé est MS1: <le> à la verité, le [corr. EDC] à la verité, le seul criterium du vice et de la vertu. [32] Mais cette maxime est non seullement indispensable dans toute societé civilisée, mais tout homme l‘a imprimée dans son coeur. Elle est une suitte necessaire de la bienveillance naturelle, que nous avons pour nostre espece: bienveillance que le createur a mis dans nous, et dont nous sentons les effets MS1: <volontairement> involontairement [corr.] involontairement, comme la faim et la soif. C‘est de quoy je parlerai bientost plus amplement. Il est vray que sans le secours des loix et des chatimens qu‘elles infligent à ceux qui nuisent aux autres, l‘interest personel l‘emporteroit souvent sur MS1: <le> ce [corr. EDC] ce dictamen de la nature. [34 | f. 169v] Car l‘amour propre est avec raison plus fort que MS1: <cette> la [corr. sup. EDC] la bienveillance pour nostre espece, [33] mais quand nostre interest ne nous y porte pas, il n‘y a aucun homme[,] MS1: <de bon sens> à moins qu‘il n‘ait perdu le sens [corr. sup. EDC] à moins qu‘il n‘ait perdu le sens[,] MS1: qui aille assasiner son voisin pour son plaisir. [add. EDC] qui aille assasiner son voisin pour son plaisir[.][34]

67On objectera peut estre qu‘aucune societé n‘a pû se former avant que les hommes ne se soient accordés sur quelque sorte de culte rendu à un pouvoir supreme, et consequament que la notion du bien et du mal, du vice et de la vertu, ne sont point l‘ouvrage des politiques, mais de la religion. J‘ose assurer que les superstitions des nations, qui ne connoissent point le vrai dieu, et les notions pitoyables qu‘ils avoient de l‘estre supreme, n‘etoient point capables d‘exciter les hommes à la vertu. MS1: Cependant [add. EDC] Cependant l‘histoire nous fait voir que quelques ridicules, qu‘ayent esté les idées que les hommes avoient de la divinité, la nature humaine a fourni au milieu de ces erreurs des exemples [35 | f. 170r] de toutes les vertus morales.

68L‘Egypte dont les habitans adoroient les monstres et les oignons, etoit en mesme tems le berceau des sciences et des arts, et nul peuple contemporain n‘a penetré plus avant que les Egyptiens dans les secrets de la nature et n‘a plus perfectioné la morale.

69Aucune nation n‘a fourni de plus grands models de toutes sortes de vertus, que les Grecs et surtout les Romains, cependant quelles idées avoient ils de la divinité? Leurs dieux loin de les porter à la vertu, ne pouvoient qu‘encourager le vice. Il n‘y en avoit point de si honteux qui n‘eut son protecteur dans le ciel. Mais voullés vous connoitre ce qui les a rendu si grands, si courageux[,] si magnanimes, jettés les yeux sur la pompe de leurs triomphes, sur la magnificence de leurs tombeaux[,] sur leurs trophées, leurs statues et leurs inscriptions; songés à la varieté [36 | f. 170v] de leurs couronnes MS1: <???> militaires [add. then del. EDC] militaires, aux honneurs qu‘ils decernoient aux morts[,] aux louanges dont ils combloient les vivants, enfin à toutes les recompenses accordés parmi eux au merite, et vous trouverés l‘origine de toutes leurs vertus, non dans une MS1: <extravagante> religion extravagante [corr. sup. EDC] religion extravagante et corrompüe, mais dans l‘adresse avec laquelle leurs legislateurs avoient interessé l‘amour propre des citoyens à la gloire de MS1: <leur> la [corr. sup. EDC] la patrie.

70Ce n‘est donc à aucune religion mais à l‘adresse des politiques que les vertus morales doivent leur origine, et plus nous pousserons MS1: loin [add. sup. EDC] loin nos recherches sur la nature humaine, plus nous nous convaincrons que les vertus morales sont les enfans politiques que la flaterie a engendrés de l‘orgueil.

71Il n‘y a point d‘homme quelque modeste qu‘il soit, à qui on ne puisse faire gouter une louange fine. Les [37 | f. 171r] enfans et les sots, se prennent aux plus grossieres amorces de la flaterie mais les gens sensés demandent plus de menagement.

72Plus les louanges sont generalles moins elles sont suspectes. Ce que vous dirés à l‘avantage d‘une ville sera receu avec plaisir par tous les habitans. Parlés avantageusement des belles lettres, tous les scavants vous en seront obligés. Quand vous voullés flatter quelqu‘un avec adresse, loüés sa profession ou son pays, et vous serés sure de luy faire gouter un plaisir d‘autant plus delicieux que vous luy donnés occasion de déguiser son amour propre.

73Ceux qui connoissent le pouvoir de la flaterie, sur la nature humaine s‘y prennent de cette façon detournée et adroite. Aussi les moralistes habiles ont ils peint les hommes semblables aux anges, esperant qu‘ils feroient leurs efforts pour ressembler [38 | f. 171v] à un tableau si flateur.

74Quand l‘incomparable Sir Richard Steel repend les fleurs de son eloquence sur les portraits qu‘il nous fait de la nature humaine, [35] il est impossible de n‘estre pas charmé de l‘elegance et de la beauté de son stile, mais quoyque j‘aye esté prest souvent à m‘y laisser entraisner, quand je reflechis serieusement à cet adroit panegirique, je m‘imagine voir les finesses que les nourices et les gouvernantes mettent en usage pour apprendre aux petites filles à faire la reverence. Quand la petite mama [36] commence à plier les genoux, et à faire une espece de reverence, la gouvernante ne cesse de s‘ecrier: Ah la jolie petite fille[,] ah mon dieu[,] que la reverence luy sied bien, ah mama fait mieux la reverence à present que sa soeur Molly &c. Tous les domestiques repetent la mesme chose, mama est accablée de caresses, mais la petitte Molly qui [39 | f. 172r] a quatre ans de plus, et qui se connoit en reverence, s‘etonne du travers de leur jugement, et crevant de depit est preste à crier contre l‘injustice qu‘on luy fait, jusques à ce que quelqu‘un luy disant à l‘oreille que c‘est pour amuser sa petite soeur, et qu‘elle est une grande personne, alors elle devient plus fiere d‘estre dans le secret, et se glorifiant de la superiorité qu‘elle a sur sa soeur, elle repette ce qu‘elle a entendu dire, avec de grandes exagerations, et insulte à la foiblesse de sa soeur qui luy sert de joüet, et qu‘elle s‘imagine estre la seulle qu‘on veut faire donner dans le panneau.

75Ces louanges extravagantes et qui paroissent surpasser la capacité d‘un enfant, sont pourtant le moyen le plus sur, pour apprendre aux petites filles à faire la reverence, et toutes les autres choses necessaires à leur education.

76[40 | f. 172v] On en use de mesme avec les petits garçons, à qui on persuade que ce que l‘on exige d‘eux, est le devoir d‘un gentilhomme bien elevé, et qu‘il n‘y a que les polissons qui soient grossiers, et qui tachent leurs habits.

77Quand le petit MS1: ur<e>chin [corr.]urchin [37] peut porter sa petite main à son bonnet, sa mere pour l‘acoutumer à l‘otter, luy dit qu‘il a desia deux ans, qu‘il commence à estre un grand homme, MS1: et [add. sup. EDC] et s‘il se souvient de ses leçons, et qu‘il otte son bonnet à propos[,] elle l‘appelle un capitaine, un lord mayor, un roy, ou quelque chose de plus encor, si elle le peut imaginer. Enfin à force de louanges, elle fait tant que le petit MS1: ur<e>chin [corr.] urchin, tache d‘imiter les grands hommes autant qu‘il peut, et employe toutes ses facultés à paroitre ce qu‘il s‘imagine qu‘il est.

78Il n‘y a point d‘homme si meprisable qui ne fasse cas de luy mesme, mais le plus haut but que l‘ambition des hommes puisse pretendre, c‘est l‘estime [41 | f. 173r] de leurs semblables. C‘est à cette soif insatiable de l‘admiration des autres et de ce qu‘on appelle renommée, que les plus grands hommes ont sacrifié si gayement leur repos, leur plaisir et quelques fois mesme leur vie. C‘est par cette monoye aëriene de la louange qu‘ils ont donné des biens veritables. Ils ont poussé cette noble folie au dela mesme de leur existence. Ils ont pretendu à l‘admiration de ceux qui n‘etoient pas encor, et ont taché de faire survivre leur vanité à eux mesmes. Qui peut s‘empecher de rire quand on pense à la fin que se proposoit Alexandre dans ses vastes exploits? Nous l‘aprenons de luy mesme, quand il surmonta tous les obstacles qui s‘opposoient au passage de l‘Hydaspe: O Atheniens, s‘ecria t-il, MS1: <croiriés vous tous les dangers auxquels> à quels dangers [corr. sup. EDC] à quels dangers je m‘expose pour estre loüé de vous! [38]

79Cette espece de recompense qu‘on nomme gloire, consiste dans une [42 | f. 173v] felicité delicieuse, dont un homme qui a fait une belle action, joüit en pensant aux applaudissements qu‘elle luy attirera[.] On me dira, sans doute, qu‘independament des actions éclatantes des ambitieux et des conquerans, il y en a de genereuses faites dans le silence, que la vertu est à elle mesme sa recompense, que ceux qui sont reëllement, bons trouvent une satisfaction dans le temoignage que leur conscience leur rend, et que parmi les payens mesme, il y a eu des hommes qui étoient si eloignés de rechercher les louanges et les aplaudissements en faisant le bien, qu‘ils mettoient tous leurs soins à faire que leurs bienfaits fussent ignorés de ceux mesme qui en etoient l‘objet. Je repons à cela, que pour juger du merite d‘une action, il faudroit l‘avoir faite, car il faudroit pour cela estre parfaitement instruit des motifs qui l‘ont fait faire. L‘amour propre est un Prothée qui prend plus d‘une forme, la pitié, par ex. quoyque la moins dangereuse de nos passions, et celle qui ressemble le plus à la vertu, a cependant [43 | f. 174r] comme les autres, sa source dans l‘orgueil. Elle est une des foiblesses de nostre nature de mesme que la colere, ou la peur, c‘est MS1: <pourquoy ces> ce qui fait que les [corr. sup. EDC] ce qui fait que les esprits foibles en sont les plus susceptibles, et que rien n‘est plus compatissant que les femmes et les enfans. La pitié est un mouvement naturel qui ne consulte ny l‘interest public, ny nostre raison. Elle fait faire egallement le mal et le bien. Elle a quelques fois servi à corrompre l‘honneur des vierges et l‘integrité des juges, et quiconque agit par ce principe, quelque bien qu‘il fasse, ne peut se vanter d‘autre chose que d‘avoir satisfait une de ses passions. Il n‘y a point de merite MS1: [call and note add. EDC](note 2eme) (note 2eme) Cela est tres faux meme selon les principes de l‘auteur, car de sauver un enfant des flames est une action tres utile à la societé et de quelque sens qu‘on la regarde c‘est une action de vertu et ne le pas faire seroit un tres grand crime[.] à sauver, par ce principe, un enfant prest à estre devoré par les flammes, car quelque bien qui en revienne à l‘enfant, ce n‘est point son salut qui nous fait agir, mais le desir de nous delivrer de la peine involontaire, que nous aurions ressenti en le voyant perir par les flammes et en ne suivant pas le mouvement naturel qui nous porte à le sauver.

80Ce mesaise involontaire que nous [44 | f. 174v] sentons quand nous voyons un de nos semblables dans un danger actuel, est un des traits que le createur a luy mesme imprimé à son ouvrage. L‘homme paroit estre le seul animal, qui ait cette bienveillance pour son espece. Les autres animaux ont receu de l‘etre supreme l‘amour de leur conservation, le desir de la propagation. Plusieurs connoissent l‘orgueil et l‘emulation, mais aucun ne marque cet amour pour son espece, qui est imprimé dans le coeur de l‘homme et qui paroit un de ces traits distinctifs qui separent les differents etres. [39] MS1: Qu‘un chien rencontre un chien expirant <sur son chemin> [...] sa compassion. [add. marg. with marker EDC] Qu‘un chien rencontre un chien expirant il lechera son sang et continuera son chemin [40] mais si un home rencontre un autre home son premier mouvement sera de le secourir, et il le secourera surement s‘il n‘a rien à craindre des marques de sa compassion. [41]

81On etouffe MS1: <le> [corr.] ce dictamen de la nature, les hommes malgré cette bienveillance mutuelle, ne laissent pas de s‘egorger en bataille rangée, et de s‘assasiner mutuellement. [42] La Greve est toujours pleine de badauts qui accourent lors qu‘on y fait quelque execution, [43] mais il n‘y a aucun de ces meurtriers payés par le roy, ny de ces badauts dont la curiosité paroit si cruelle, qui n‘ait eu à surmonter la premiere fois, cette bienveillance naturelle que nous n‘effaçons jamais entierement [45 | f. 175r] de nostre ame.

82Je crois que mr. de St. Real a bien tort lors que recherchant quelle peut estre la cause du plaisir barbare que le peuple prend à voir une execution, il l‘attribüe au plaisir interieur que nous sentons à estre exempts des mesmes malheurs. [44] La MS1: <seulle cause à mon avis> seule source de ce plaisir barbare [corr. sup. EDC] seule source de ce plaisir barbare, c‘est la curiosité et l‘habitude. La curiosité fait surmonter la premiere fois le mesaise involontaire que nous sentons à la veüe des tourments de ces malheureux, et l‘habitude ensuite nous y rend insensibles. C‘est par la mesme raison qu‘un homme qui se voüera à tous les saints et à tous les medecins pour revenir d‘une maladie, monte gayement la tranchée, et attaque un chemin couvert. La vanité luy fait surmonter MS1: <la premiere> les premieres [corr. sup. EDC] les premieres fois l‘eloignement naturel que nous avons du danger, mail il n‘y a que l‘habitude qui puisse inspirer aux gens de guerre, cette gayeté qu‘ils portent la plus part dans des endroits dont l‘idée seulle les feroit fremir en d‘autres tems, et il n‘y en a aucun, quelque brave qu‘il soit, qui n‘ait senti, que nature patissoit [46 | f. 175v] en luy au premier coup de canon qu‘il a entendu tirer, MS1: <et ils> quoiqu‘ils [corr. sup. EDC] quoiqu‘ils finissent par joüer à la boulle avec MS1: <un boulet> leurs boulets [corr. sup. EDC] leurs boulets; c‘est ce qui est arivé au siege de Philisbourg. [45]

83Une personne riche qui est d‘un naturel compatissant, ne peut se vanter d‘estre vertueuse (dans le sens que les moralistes veullent attacher au mot de vertu)MS1: [add. marg. EDC]Voyés la note 2e. cy dessus page 43. quand elle fait du bien, car elle ne fait en effet que satisfaire sa passion en soulageant un miserable. Gaudeant bene nati [46] est un mot plein de sens, et dont on reconnoit la verité, à mesure que l‘on connoit les hommes.

84Ceux qui sans aucune foiblesse et sans aucun retour sur eux mesmes sont capables, par le seul amour du bien, de faire des actions vertueuses dans l‘ombre du silence, ont sans doute des idées plus pures de la vertu que les autres. Je ne scais cependant si on ne peut pas apercevoir, mesme dans ces sortes de gens (s‘il y en a) les traces de l‘orgueil, car le plus humble de tous les hommes doit avoüer que cette satisfaction interieure qu‘il ressent, apres avoir fait une action [47 | f. 176r] vertueuse, consiste dans le plaisir qu‘il trouve à penser combien il est estimable, or ce plaisir et ce qui l‘a occasioné, sont des marques aussi certaines de vanité, que d‘estre pasle et tremblant, sont des simptomes certains de MS1: <la> peur [del. EDC] peur.

85Si quelques lecteurs condamnent ces idées sur l‘origine des vertus morales, et croyent qu‘elles offensent le christianisme, j‘espere qu‘ils verront combien ce soupçon est injuste, quand ils auront consideré, que rien ne peut mieux justifier les profondeurs impenetrables de la providence, que de montrer que les foiblesses de l‘homme qu‘elle a creé pour la societé, peuvent servir à son propre bonheur, et à celuy des autres.

[48 | f. 176v] [blank page]

86[49 | f. 177r] Chapitre 2e.
Du choix des differentes professions. [47]

87Les gens du peuple MS1: <ont coutume de faire > font [corr. sup. EDC] font apprendre à leurs enfans un metier avec lequel ils puissent dans la suite gagner leur vie, et ils preferent ordinairement celuy qu‘ils exercent, MS1: et cela [add. sup. EDC] et cela avec autant plus de raison qu‘ils epargnent les frais de l‘aprentissage, en les instruisant eux mesmes. Par ce moyen les jeunes ouvriers apprennent à remplacer les vieux, et les metiers et les arts se conservent. Mais chaque profession demandant des talents differens, les parens les plus sensés consultent dans ce choix, les dispositions de leurs enfans, et ce qu‘ils peuvent faire, pour leur education[.] Un pere qui n‘a que 3. ou 400. livres à MS1: <y employer> employer à l‘education de son fils [corr. sup. with marker EDC] employer à l‘education de son fils auroit tort de MS1: <de faire apprendre le commerce à son fils> lui faire apprendre le commerce [corr. sup. EDC] lui faire apprendre le commerce, puisqu‘il n‘a pas les fonds suffisants pour luy faire exercer cette profession, et il doit luy en choisir une, à la quelle [50 | f. 177v] ses moyens puissent suffire.

88Il y a bien des gens de condition que la pauvreté met hors d‘etat d‘elever leurs enfans suivant leur naissance, et que l‘orgueil empesche de leur faire apprendre des professions utilles. Ainsi dans l‘esperance de quelque changement dans leur fortune, ou du secours de leurs pretendus amis, ils font passer à leurs enfans, dans une dangereuse oisiveté, l‘age où ils pouroient apprendre à subvenir un jour à leur indigence, et ils en font, par cette negligence orgueilleuse des creatures à charge, à elles mesmes, et aux autres.

89Il est difficille de decider si de tels parens sont plus barbares envers leurs enfans, que pernicieux pour la societé. A Athenes tous les enfans etoient obligés de pourvoir à la subsistance de leurs peres et meres, quand ils tomboient dans le besoin, mais Solon fit une loy par laquelle ceux à qui leurs parents n‘avoient fait apprendre aucun metier, etoient dispensés d‘en prendre soin. [48]

90Quelque riche et quelque policé que soit un grand royaume, il est [51 | f. 178r] inevitable, qu‘il n‘y ait pas toujours baucoup de gens qui tombent dans la misere. Les pauvres, dit un autheur français sont la vermine qui s‘attache à la richesse, [49] les uns parcequ‘ils restent orphelins, avant d‘avoir appris à gagner leur vie, les autres parce que leurs parents sont hors d‘etat de leur donner aucune education. Quelques uns par libertinage, les autres faute d‘industrie et de capacité, ne profitent point des soins que l‘on a pris de leur enfance. Il faut cependant bien que tout cela vive. Le metier de soldat et celuy de matelot, en sauvent quelques uns de la derniere misere, d‘autres deviennent manoeuvres, et MS1: <y> ils [corr. sup. EDC] ils gagnent leur vie, à la sueur de leur front. Les uns se font laquais, les plus intelligents s‘appliquent à l‘etude et peuvent devenir maitres d‘ecole et precepteurs. Mais que deviendront ceux que MS1: <la> leur [corr. sup. EDC] leur paresse empesche de travailler de leurs mains, et que leur inaplication rend incapables de faire usage de leur esprit? Il s‘en trouvera quelques uns parmi les derniers qui aimant la comedie et se sentant du talent pour la declamation se feront acteurs. D‘autres nés [52 | f. 178v] gourmands parviennent à force de flateries et de basesses à devenir parasites de quelque riche fat à qui ils plaisent en devenant le fleau de sa famille, et de toute sa maison. Quelques uns jugeant du libertinage des autres par eux mesmes font un metier qu‘on n‘ose nommer, corrompent la jeunesse, et vendent l‘honneur des uns, aux plaisirs des autres.

91Enfin les plus abandonnés et les plus mechants, quand ils ont de la subtilité dans les doigts, et baucoup d‘effronterie, trompent au jeu, coupent des bourses, ou font de la fausse monoye. Ceux qui se sentent un grand fonds d‘impudence, se font prestres, ou predicateurs. Ainsi chacun tache de tourner à son avantage, les foiblesses et les vices des hommes, et de gagner sa vie par toutes sortes de voyes. Ces malheureux dont je viens de parler qui ne respectent rien, sont sans doute le poison de la societé, mais ceux qui accusent la foiblesse des loix de leur MS1: <naissance> existence [corr. sup. EDC] existence, en sont les foux. Tout ce que les gens sages ont à faire, c‘est de [53 | f. 179r] tacher de n‘en point soufrir. Mais declamer continuellement contre ces abus, c‘est ne pas connoitre les hommes et c‘est exiger de la prudence humaine ce qui est au dessus de ses forces.

[54 | f. 179v] [blank page]

92[55 | f. 180r] Chapitre 3e. [50]
Des negocians.

93Presque tous les negocians sont des fripons. L‘epithete de fripon paroitra peut estre trop forte, pour la leur donner à tous en general, mais si par fripon nous entendons tout homme qui use de supercherie envers un autre, je crois pouvoir assurer qu‘il n‘y a point de commerçants, mesme parmi ceux qui se piquent de probité, à qui elle ne convienne.

94Qui pouroit nombrer les artifices dont se servent les plus honnetes marchands? Quel est celuy par ex. qui dira les defauts de sa marchandise, et y en a t-il mesme aucun, qui ne s‘efforce pas de les cacher avec adresse, et de la vendre au dessus de sa valeur.

95Le sucre fait une grande partie du commerce d‘Angleterre. Un riche marchand nommé Delie [51] qui en fait un grand debit traite avec un negociant des Indes nommé Alcandre. Pendant qu‘ils disputent du prix, Alcandre recoit une lettre par [56 | f. 180v] laquelle on luy marque qu‘il arive une grande quantité de sucre pour l‘Angleterre et que par consequent le prix va diminuer. Il desire alors de finir son marché avant que cette nouvelle soit publique, mais craignant que Delie ne soupconne quelque chose, s‘il marque trop d‘empressement, il se tient sur la reserve. Pendant qu‘il temporise, Delie apprend de son costé que la flotte de la Barbade vient d‘estre detruite par une tempeste. Il va retrouver Alcandre et renoüe avec adresse le propos qu‘ils avoient commencé. Alcandre se trouve trop heureux d‘estre ainsi prevenu. Il conclud le marché croyant estre bien sur de son fait. Le lendemain la nouvelle qu‘on avoit dite à Delie se trouve vraie et il fait par cette finesse un profit considerable aux depens de son ami qui l‘avoit voulu tromper.

96Cette supercherie adroite, s‘apelle un procedé honneste. Je doute pourtant qu‘il y ait personne qui desirast qu‘on eut pour luy, une pareille honnesteté.

[57 | f. 181r] [blank page]

97[58 | f. 181v] Chapitre 4e. [52]
De l‘honneur et de la honte.

98Les hommes sont si jaloux de l‘opinion des autres que parmi les soldats, ceux MS1: meme [add. EDC] meme qu‘on fait aller à la guerre pour les punir de leurs crimes, et qu‘il faut contraindre à se battre à force de coups, pretendent toutes fois estre estimés pour ce mesme metier auquel il faut les contraindre. Cependant si les hommes avoient autant de raison que d‘orgueil, ils rougiroient des louanges qu‘ils ne meritent pas, bien loin de les rechercher. L‘honneur, dans le sens le plus ordinaire de ce mot, consiste dans l‘opinion des autres, et il est plus ou moins grand, selon que les marques de leur estime, font plus ou moins d‘eclat. Ainsi quand on dit que le souverain est la fontaine de l‘honneur, cela ne veut dire autre chose sinon qu‘il peut donner à qui il luy plait, certaines marques de distinction qui ont cours, comme [59 | f. 182r] la monoye pendant un tems, et ce pouvoir est la source du respect qu‘on a pour luy, soit que d‘ailleurs il le merite ou non.

99Le contraire de l‘honneur est le deshonneur. Il consiste dans le mepris que les autres ont pour nous. L‘un est la recompense de la vertu, et l‘autre la punition du vice, moins le mepris est public, moins il avilit celuy qui en est MS1: l‘objet. <On appelle l‘ignominie, une chose honteuse, à cause de l‘effet qu‘elle produit en nous.> [del. EDC] l’objet. L‘honneur et le deshonneur sont des choses imaginaires, MS1: <mais> mais l‘ignominie, c‘est à dire [corr. sup. EDC] mais l‘ignominie, c‘est à dire cette honte que nous ressentons, quand nous croyons estre meprisés, est une chose tres reelle. C‘est une passion qui a MS1: <ces> ses [corr. EDC] ses simptomes comme les autres, et que souvent la force de la raison ne peut surmonter. Le pouvoir qu‘elle a sur nous, et la part qu‘elle a souvent dans les plus importantes actions de nostre vie, nous rend la connoissance MS1: <des> de ses [corr. EDC] de ses causes et MS1: <des> de ses [corr. EDC] de ses effets tres necessaire, et une recherche exacte de sa nature, peut estre utile aux hommes.

100[60 | f. 182v] MS1: [quotation marks in the margin deleted] Il me semble qu‘on peut definir la honte, une reflection que nous faisons sur nostre peu de merite, laquelle nous afflige par la crainte que nous avons que les autres venant à le connoitre ne nous meprisent avec justice. On peut objecter contre cette definition que les jeunes filles dans la premiere innocence, rougissent souvent quoy qu‘elles n‘ayent rien à se reprocher et sans pouvoir mesme rendre raison de cette foiblesse, et que les hommes ressentent quelques fois de la honte pour ceux avec qui ils ne sont liés ny de societé ny d‘amitié, et que par consequent, il peut y avoir plusieurs occasions dans la vie, auxquelles cette definition ne seroit pas applicable.

101Je repons à la premiere partie de cette objection, que la modestie des femmes venant uniquement de l‘horreur qu‘on leur inspire dès leur enfance, pour tout ce qui peut allarmer la pudeur, MS1: <et qu‘il> il [corr. EDC] il arive quelques fois que des idées [61 | f. 183r] confuses, se presentent à l‘imagination de la fille la plus vertueuse, dont elle ne voudroit pas que personne pust avoir connoissance pour tous les mondes possibles. Si l‘on dit quelque mot obscene devant elle, la crainte qu‘elle a d‘estre soupconnée de l‘entendre et que ce soupcon ne fasse penser d‘elle des choses desavantageuses, jointe à l‘embaras de cacher l‘idée que ce mot luy a retracée, luy fait éprouver une espece de honte qui se manifeste en embelissant son visage. Mais si vous dites les mesmes choses dans un endroit, où cette fille puisse vous entendre sans estre veüe, soyés sure alors, que si elle croit n‘estre point devouverte, non seullement elle vous ecoutera, mais elle vous prettera sans rougir, une oreille attentive, ou si quelque couleur anime ses joües, il est certain que ce sera l‘effet d‘une passion moins desagreable que la honte.

102MS1: [marker for new paragraph] Il n‘en sera pas de mesme, si au lieu d‘allarmer sa pudeur, vous allarmés [62 | f. 183v] son amour propre, car si ce que vous dites l‘attaque personellement, il est certain que quoy qu‘elle ne soit veüe de personne, la crainte d‘estre meprisée la fera rougir.

103À l‘egard de la seconde partie de l‘objection, elle ne prouve autre chose sinon que nous nous mettons quelques fois à la place des autres. Voila pour quoy le peuple crie, quand il voit quelqu‘un en danger, et que quand nous voyons commettre une action blamable[,] nous rougissons parceque l‘idée de la honte que nous en ressentirions, si nous en etions coupables nous affecte vivement, et que les esprits etant alors emûs de la mesme maniere que si nous avions commis cette action, les mesmes simptomes de honte se font appercevoir en nous, “et nous sommes dans ce moment comme une glace dans laquelle la honte des autres se reflechit.”

104Ce qui rend les gens du peuple honteux devant ceux qui MS1: leurs [corr. eds.]leur sont superieurs c‘est le sentiment de leur basesse, et [63 | f. 184r] de leur incapacité. Le plus modeste des hommes ne connoitroit point la honte si quelque defaut, ou quelque defiance de luy mesme, ne la faisoit naitre en luy, et voyés, je vous prie, de quelles contradictions apparentes l‘homme est composé. On croit que rien n‘est si opposé à la honte que l‘orgueil, cependant ces deux passions, naissent l‘une de l‘autre, car qui peut nous rendre si sensibles à la façon dont les hommes pensent de nous, si ce n‘est le cas que nous faisons de nous mesmes?

105La honte et l‘orgueil, ces deux sources de nos vertus, ne sont point des qualités imaginaires, mais des ingredients necessaires à nostre composé. Rien ne le prouve mieux que les differents effets qu‘elles produisent en nous malgré nous mesmes.

106Voyés un homme accablé par la honte, il devient comme abruti, son sang se retire du coeur, et se porte aux extremités, la rougeur couvre son visage, il n‘ose lever la teste, ses yeux couverts d‘un nuage restent attachés à la terre[,] [64 | f. 184v] aucune injure ne peut l‘emouvoir, son etre luy pese, et il voudroit se cacher à luy mesme et aux autres. L‘orgueil a des simptomes tout differents, quand cette passion est satisfaite, le sang coule avec plus de rapidité, une chaleur extraordinaire enflamme et dilate le coeur, le sang s‘y porte, on se sent plus leger, on croiroit qu‘on va fendre l‘air, la teste est haute, les yeux elevés, et pleins de feu, on se plait dans son existence, on voudroit que tout le monde pust estre temoin de la gloire et de la satisfaction dont on joüit, les plus petites contrarietés irritent, et on croit que tout doit plier devant nous.

107La honte est de toutes les foiblesses de nostre nature, celle que nous suportons le plus impatiament, et il n‘y a personne qui ne cherche à l‘eviter ou à la surmonter. Mais il seroit bien nuisible à la societé, qu‘on pust remporter cette victoire sur soy mesme. Aucune passion n‘est plus necessaire au bonheur des hommes, et n‘a plus contribué à les polir. Aussi cherche t-on à la fortifier [65 | f. 185r] dans les enfans, loin de travailler à la detruire, comme les autres passions. On leur recommande seullement d‘eviter les choses qui pouroient leur attirer de la honte. Mais ceux qui connoissent la nature humaine, seroient bien fachés qu‘elle cessast d‘en estre susceptible.

108Les passions que le bien de la societé exige que nous cachions avec le plus de soin, sont l‘incontinence et l‘amour propre. [53] La modestie, (car il y en a de plus d‘une sorte) est le voile qui nous sert MS1: <à les couvrir> à couvrir l‘une et l‘autre [corr. sup. EDC] à couvrir l‘une et l‘autre. Celle qui a la chasteté pour objet, consiste dans les penibles efforts que nous faisons pour etoufer devant les autres, les desirs que la nature nous donne pour la propagation de nostre espece. On nous enseigne cette sorte de modestie, comme la grammaire, longtems avant que nous soyions en etat d‘y manquer et d‘en comprendre l‘utilité. Ainsi les enfans rougissent souvent par modestie, avant que la nature leur en fournisse l‘occasion. Une fille élevée avec soin, peut à deux ans commencer à remarquer l‘attention que les femmes ont de ne point se decouvrir devant les hommes, et cette circonspection [66 | f. 185v] luy etant recommandée par preceptes et par exemples, elle rougira à six MS1: ans [add. sup. EDC] ans de montrer sa jambe, quoy qu‘elle ne sache pas encor pour quoy elle seroit blamable de la montrer.

109Ainsi la premiere chose que cette modestie exige, c‘est de ne se point decouvrir d‘une façon indecente. Cette idée d‘indecence varie dans les differents pays. On ne trouvera pas qu‘une femme manque à cette regle en portant un corps qui decouvre la gorge si c‘est la mode du pays où elle vit. [54] Mais de porter une jupe qui laissast voir le bout du pied, seroit une faute contre la modestie dans les pays où elle exige que les femmes cachent leurs pieds, et il seroit MS1: <imprudent> impudent [corr. EDC] impudent de montrer une partie de son visage dans ceux où la coutume veut qu‘elles soient voilées.

110Si la decence doit regner dans nostre vettement, elle doit aussi regler nos discours et non seullement nous en devons banir tous les mots obscenes, mais aussi ceux qui sont à double entente.

111Une jeune femme jalouse de sa reputation doit estre avec les hommes, d‘une reserve qui aille jusques à la severité, à moins [67 | f. 186r] que la proximité du sang, l‘excessive disproportion d‘etat, ou le grand age ne l‘oblige à des egards. Elle doit observer ses yeux avec un soin extreme, et on doit y lire qu‘elle possede un tresor qu‘elle veut conserver toute sa vie. On a fait des satyres sans nombre contre les prudes, et donné les plus grands éloges aux graces simples, et au maintien peu etudié des bautés vertueuses. Mais il n‘en est pas moins sur que l‘air ouvert d‘une femme qui nous sourit, enhardit bien plus les hommes, que ces regards severes, qui eteignent l‘esperance, et mesme les desirs. Ainsi les jeunes femmes, et plus encor les filles, qui veullent se faire respecter, ne sauroient avoir un maintien trop reservé.

112Il en est tout autrement des hommes, on ne les a pas assujetis à des bienseances si severes, car si on avoit imposé une contrainte egalle aux deux sexes, aucun n‘auroit voulu faire les avances, et la propagation, ce grand but de la nature, et des politiques, auroit cessé parmi les gens bien elevés. Il a donc esté necessaire d‘adoucir les rigueurs de la bienseance, et il est juste de l‘avoir fait en faveur [68 | f. 186v] du sexe, dont les desirs sont les plus vifs et à qui le frein de la reserve seroit plus insuportable.

113Ainsi loin qu‘il soit deffendu aux hommes de montrer leur estime pour les femmes[,] ils doivent au contraire les deffendre, et c‘est un de leurs premiers devoirs. Il leur est permis de parler de leur amour à celles qui l‘ont fait naitre, ou bien de faire dire à leurs yeux ce qu‘elle defend quelques fois à leur bouche d‘exprimer. Mais ce seroit une imprudence tres blamable d‘abuser de cette permission, pour poursuivre la vertu d‘une jeune femme par des regards indiscrets, et pour fixer sur elle des yeux temeraires. Cette conduite peut jetter une femme sans experience dans des embaras tres cruels, sur tout si elle a du penchant pour celuy qui la poursuit si obstinément, car les yeux etant les fenetres de l‘ame[,] elle croit qu‘il a desia decouvert son secret. Il luy fait soufrir une espece de question et semble vouloir arracher d‘elle, la confession de cette grande verité que la pudeur luy ordonne de cacher avec tant de soin.

114[69 | f. 187r] On ne reflechit point assés sur le pouvoir de l‘education, et dans cette difference de la modestie des deux sexes, on atttribüe souvent à la nature, ce qui n‘est que l‘effet des premieres instructions. Miss a à peine trois ans, qu‘elle est desia soigneuse de cacher sa MS1: <cuisse> jambe [corr. sup. EDC] jambe, on la gronde si elle la montre. Mais pour son frere qui est à peu prés du mesme age, on luy apprend à relever son petit justaucorps, et à pisser comme un homme. C‘est l‘education qui fait naitre en nous, tout ce qu‘on appelle decence. Celuy qui appelleroit tout par son nom, et qui diroit tout ce que la nature luy fait sentir, auroit beau estre d‘ailleurs le plus honneste homme du monde[,] on le regarderoit comme le plus meprisable. S‘il y avoit un homme assés grossier pour dire à une femme, qu‘il a un desir violent de travailler avec elle dans l‘instant à la propagation de son espece, et qu‘il se mist en devoir de l‘embrasser, la femme s‘enfuiroit, l‘homme seroit regardé comme une beste brute, et personne ne voudroit avoir de commerce avec luy. Il n‘y a personne qui pour eviter une telle honte, ne [70 | f. 187v] MS1: <surmontast> surmonte [corr. sup. EDC] surmonte les plus violens desirs. Mais si la vertu nous commande de les étoufer, la bienseance ne nous oblige qu‘à les contraindre.

115L‘homme le mieux élevé peut desirer la posession d‘une femme avec autant de violence, que le plus rustre, et le plus sauvage. Toute la difference est dans les moyens MS1: <qu‘ils employent> que l‘un et l‘autre emploent [corr. sup. with marker EDC] que l‘un et l‘autre employent pour parvenir à leur but. Le premier tache de s‘introduire dans la maison de sa maitresse, puis de luy plaire par son assiduité, et ses soumissions. Enfin s‘il est assés heureux pour s‘en faire aimer, elle se resout à se donner à luy en presence de temoins. Le jour pris pour cette ceremonie, on les couche avec grand appareil dans le mesme lit,“la mere de la mariée la met elle mesme dans les bras de son amant, et recommande bien à sa fille de soufrir avec resignation tout ce que les desirs de son amant exigeront d‘elle.” MS1: Et [add. sup. EDC] Et il se trouve en fin de compte que mon honneste homme a obtenu tout ce qu‘il desiroit, mais comme il ne l‘a jamais demandé cela passe pour fort decent. Le lendemain toute la famille vient gravement rendre [71 | f. 188r] visite à nos jeunes gens, on aporte un boüillon à l‘amant pour reparer les fatigues de la nuit. Personne ne s‘avise de leur rire au nez, ny de leur parler de ce qu‘ils ont fait, ils n‘y font pas d‘attention eux mesmes. Ils vivent tous deux comme auparavant (je parle des gens bien élevés) et tout le monde les regarde comme deux personnes tres MS1: [marketr to insert later paragraph]modeste. [55]

116Celuy qui satisfait ses desirs à la mode du pays où il vit, n‘a aucune censure à craindre, car à peine mon honneste homme est il sorti de l‘eglise, MS1: <il> qu‘il [corr. sup. EDC] qu‘il peut, si MS1: <ces> ses [corr. EDC] ses desirs le pressent, renvoyer la comagnie, pour [72 | f. 188v] s‘abandonner à toute la fureur de sa passion, et le lendemain non seullement il ne rougit point de tout ce qu‘elle luy a fait faire, mais il raconte les marques d‘amour qu‘il a données à sa maitresse comme autant de proüesses dont il tire vanité, et qui luy gagnent l‘estime des hommes et l‘affection des femmes, sans en excepter les prudes, et si quelqu‘un s‘avisoit de le condamner, ce quelqu‘un MS1: [add. sup. EDC] seroit berné et il auroit tout le monde contre luy.

117MS1: [marker for new paragraph]Le respect qu‘on a pour cette impudence que l‘usage authorise, prouve bien qu‘il n‘y a que façon de s‘y prendre, les hommes demandent seullement qu‘on respecte leurs prejugés, et bien loin que la bienseance s‘oppose à nos desirs, elle nous prescrit au contraire des regles pour les satisfaire d‘une façon plus agreable, car dites moy, je vous prie si l‘homme bien elevé, a esté reëllement plus vertueux que le sauvage, et si mesme ce dernier n‘auroit pas agi plus conformément aux loix de la nature, et avec plus de sincerité.

118La modestie est fondée sur la honte qui est une de nos passions, et elle nous fait faire egallement le bien et le mal suivant les circonstances. Ainsi elle prend egallement le visage du vice et de la vertu. C‘est elle, il est vray, qui empeche une courtisane de s‘abandonner dans la place publique, mais c‘est elle aussi qui force une fille timide et bien née, dont l‘innocence a esté seduite, à tuer son propre enfant pour eviter MS1: [marker to move paragraphes from p. 43-47] l‘infamie.

119Les personnes à leur aise peuvent cacher facillement leurs plaisirs, et eviter les suites facheuses qu‘ils pouroient avoir, mais il n‘en est pas de mesme des pauvres.

120Une malheureuse fille de bonne famille reste sans pain, et sans autre resource pour vivre, que de se mettre en condition. Elle peut avoir le coeur droit, de la religion mesme si vous voullés, et succomber cependant à une foiblesse qu‘elle aura longtems combattüe. Si cette infortunée porte dans son sein, les marques de sa faute, son desespoir est inexprimable, la misere de sa condition, et l‘infamie dont elle va estre couverte, se presentent à [74 | f. 189v] elle dans toute leur horreur. Elle va perdre sa reputation, ce seul bien que la fortune luy ait laissé. L‘estime mesme qu‘elle s‘est acquise dans l‘esprit de sa maitresse et dans la maison, ne sert qu‘à augmenter sa douleur. Elle se represente la joye de ses ennemis, la douleur et la honte de ses parents et de ses protecteurs qui vont la regarder comme leur opprobre, et plus elle aura de modestie, plus la crainte d‘une telle honte portera de trouble et de desespoir dans son ame, et pour l‘eviter il n‘y a point d‘extremité où elle ne soit capable de se porter contre elle mesme, et contre le malheureux fruit de sa faute. On croit communement qu‘une fille qui defait son enfant qu‘elle a porté neuf mois dans son sein, doit estre un monstre barbare, d‘une nature differente de celle des autres femmes, mais cette idée est bien fausse, la mesme fille qui fait perir son batard avec la cruauté la plus atroce, seroit une mere tendre pour des enfants legitimes. L‘amour propre est le centre de toutes nos passions, c‘est à luy que se raporte la tendresse que toutes les meres ont pour leurs enfans, et c‘est luy qui etouffe la voix de la nature dans MS1: <les> ces [corr. EDC] ces malheureuses filles que la [75 | f. 190r] crainte de l‘infamie rend si barbares. Il arive rarement que les femmes de mauvaise vie, tüent leurs enfans, celles mesme qui partagent les crimes des voleurs et des meurtriers à qui elles s‘abandonnent ne se soüillent gueres de celuy là, non qu‘elles soient moins cruelles ou plus vertueuses que les meres qui en sont MS1: <capables> coupables [corr. sup. EDC] coupables, mais parce qu‘ayant perdu toute pudeur, la crainte de la honte, ne fait pas la mesme impression sur elles.

121Tout ce qui n‘est pas l‘objet de nos sens ne peut l‘estre de nostre amour. La nature ne dit rien aux meres les plus tendres pour les enfans qui sont encor dans l‘uterus “parce que cet amour n‘est pas necessaire alors à leur conservation”.Il croit à mesure que ces petites creatures commencent à exprimer leurs desirs et leurs besoins, et il acquiert quelques fois un degré prodigieux d‘activité et de force.

122Cet amour maternel a fait entreprendre à ce sexe faible et timide des choses qui paroissoient surpasser ses forces. On a vû des meres se precipiter au milieu des dangers pour sauver leurs enfans, mais les femmes les plus vertueuses n‘ont en cela aucun [76 | f. 190v] avantage sur les plus meprisables. Cette tendresse est dans les unes et dans les autres un instinct aveugle qui les entraine sans aucun egard au bien ou au mal qu‘elles procurent à la societé MS1: et [add. sup. EDC] et il n‘y a aucun merite dans tout ce que cet amour excessif leur fait faire.

123MS1: <Il est souvent nuisible aux enfans qui en sont l‘objet, et s‘il peut leur estre utille dans l‘enfance, c‘est peut etre à cet age seul de l’enfance> [corr. sup. with new paragraph EDC] “C‘est peut etre dans l‘enfance seule que la nature parle veritablement aux meres. Ce n‘est plus dans la suite, que le mouvement d‘une roüe, qui tourne encor, quoy que le mouvement de la main qui l‘a poussée n‘agisse plus. L‘habitude, le devoir, et sur tout l‘amour propre, prennent la place de ce premier dictamen de la nature, et il est peut estre vrai de dire qu‘elle n‘agit point differement dans les poules et dans les femmes. Son but dans les unes et dans les autres est la conservation de l‘individu qu‘elle confie à leurs soins. Ainsi une poulle s‘atache à de petits canards, et sert aussi bien les veües de la nature, dans la conservation de ces petits animaux, que si elle avoit elevé ses veritables enfans. De mesme une femme aimeroit avec la [77 | f. 191r] mesme tendresse, un enfant qui ne seroit point le sien, si en la trompant on avoit empesché son imagination de s‘opposer à l‘impulsion de la nature. Toute la difference est que l‘on trompe les poulles plus aisément que les femmes.”

124MS1: <Elle les corompt très souvent dans la suite, et cette tendresse aveugle en a conduit plus d‘une à la potence.> L‘amour excessif [...] à la potence. [add. marg. EDC, with marker to text on p. 72] L‘amour excessif de certaines meres pour leurs enfans a été tres souvent nuisible aux enfans qui en ont été l‘objet, et s‘il leur est utile dans l‘enfance, il les corrompt souvent dans la suite et cette tendresse maternelle en a conduit plus d‘une à la potence[.]

125Les passions peuvent quelques fois faire faire le bien, mais il n‘y a de vertu qu‘à les surmonter. Si la modestie etoit une vertu par elle mesme, n‘auroit elle pas le mesme pouvoir sur nous, soit que nos actions fussent ignorées, ou connües. Or voila assurément ce qui n‘est pas. Aussi la premiere chose que les hommes cherchent à persuader aux femmes qu‘ils veullent seduire, c‘est que leurs bontés pour eux, seront toujours ignorées. Il n‘y a point de jeune femme qui ne commence par s‘en flatter, et les hommes qui ont un peu d‘experience, savent bien que c‘est la crainte de la honte MS1: et non <la vertu> l‘amour de la vertu. [add. EDC with marker] et non l‘amour de la vertu. qu‘ils ont à combatre dans les femmes.

126Illa verecundis lux est praebenda puellis
quae timidus latebras, suerat habere pudor. [56]

127L‘autre sorte de modestie qui nous fait cacher aux autres, le cas que nous faisons de nous mesmes, s‘appelle comunément le savoir vivre. Il ne nous sert gueres qu‘avec nos egaux, et nos superieurs tant que nous sommes en bonne intelligence avec eux, car cette intelligence une fois rompüe, il y auroit de la lacheté à avoir pour eux, les mesmes egards[.] Pour nos inferieurs, ils sont rarement dans le cas d‘attendre de nous des deferences, qui derangeroient l‘ordre de la societé, et quand ils y sont, ils deviennent alors nos egaux.

128Un homme qui demanderoit quelque chose de considerable à un autre qu‘il ne connoitroit pas, passeroit avec raison pour un impudent, parce qu‘il ne songeroit dans cette demande inconsiderée, qu‘à ce qui luy est utille sans egard à l‘interest [78 | f. 191v] de celuy à qui il s‘adresseroit. C‘est par cette raison que nous devons eviter de parler, sur tout en bien, non seullement de nous, mais aussi de nostre femme, de nos enfans, et de toutes les choses qui nous regardent personellement, car les autres n‘y prenant aucun interest, c‘est manquer d‘egard pour eux, que de paroitre si occupés de nous et si peu soigneux de leur plaire.

129Un homme bien elevé doit desirer d‘estre estimé et mesme d‘estre loüé, mais il ne doit point soufrir qu‘on le loüe en sa presence, et sa modestie en doit paroitre blessée; car nous aimons tous la louange et nous ne soufrons qu‘impatiement qu‘un autre joüisse en nostre presence du plaisir que nous ne partageons pas. Il s‘eleve en nous MS1: <un ennuy> une envie [corr. sup. EDC] une envie contre celuy que nos entendons loüer, qui degenere bientost en haine. Voila pourquoy un homme qui scait vivre cache la joye que luy donnent les louanges, et mesme il feint d‘en estre faché, et de s‘en croire indigne.

130Il est tres possible qu‘à force d‘avoir vû dès nostre enfance combien les gens qui soufrent qu‘on les loüe en face sont ridicules, nous nous MS1: <guerissons> guerissions [corr.] guerissions insensiblement [79 | f. 192r] du plaisir naturel que nous avons à entendre nos louanges, et que nous parvenions enfin jusqu‘à ressentir une espece d‘embaras quand on nous loüe en face, mais ce n‘est pas là le MS1: <ply> pli [corr.] pli de la nature, c‘est un effort que l‘education arrache d‘elle, car si les hommes ne sentoient pas naturellement du plaisir à estre loüés, il n‘y auroit point de modestie à refuser la louange.

131Le savoir vivre se fait sentir dans les plus petites choses. Un homme bien elevé prend toujours le plus mauvais morceau d‘un plat, et sert aux autres ce qu‘il y a de meilleur. Il se concilie par cette attention la bienveillance de la compagnie, chacun le remercie et le loüe de sa politesse, et quand mesme on ne luy en diroit rien, le seul plaisir de penser qu‘on doit l‘approuver, est pour un homme vain, un équivalent plus que suffisant pour le petit sacrifice qu‘il a fait, et paye son amour propre avec usure.

132Qu‘on serve un panier de pesches à des gens bien élevés, il est certain que [80 | f. 192v] celuy qui MS1: en [add. sup. EDC] en prendra le premier choisira la plus mauvaise, et cela pour faire croire aux autres qu‘il desire qu‘ils soient mieux partagés que luy, et qu‘il les en croit dignes.

133L‘habitude nous a rendu ces supercheries de la politesse, presque naturelles, et elle nous en cache le ridicule, et l‘absurdité. Mais MS1: si [add. sup. EDC] si un homme élevé dans l‘ignorance de toutes ces simagrées et acoutumé à dire ce qu‘il pense, se trouvoit au milieu d‘une compagnie de gens qui savent vivre, il ne pouroit assister à cette comedie sans leur marquer son indignation, ou sans leur rire au nez[.] Et cependant la politesse toute ridicule qu‘elle est, nous fait vivre ensemble d‘une façon plus agreable, que ne feroit la grossiere simplicité de la nature, MS1: et on ne [...] inconveniens [add. marg. with marker EDC]et on ne pouroit la banir sans de grands inconveniens[.]

134Il est tres necessaire pour parvenir à une connoissance exacte de soy mesme, de bien distinguer entre vertus, et bonnes qualités. Ces dernieres sont fondées sur les egards que la societé éxige que chacun ait pour les autres, et personne n‘est exempt de s‘y soumettre, pas mesme [81 | f. 193r] les rois. Mais quand nous sommes seuls tout cela s‘evanoüit, et les mots de modestie[,] d‘indecence, d‘impolitesse &c. perdent leur signification. Un homme peut estre mechant, mais il ne peut estre immodeste quand il est seul, et aucune pensée dont personne n‘a eü connoissance, ne peut estre appellée indecente. Le savoir vivre n‘a rien de commun avec la vertu. Il aide et soutient nos passions, loin de les detruire. L‘homme qui nous paroit le plus modeste est souvent tres vain, l‘orgueil des honnestes gens n‘est pas d‘avoir la contenance arrogante d‘un alderman, MS1: <(financier)> ou d‘un financier [corr. EDC] ou d‘un financier qui n‘ote son chapeau à MS1: <personne, et> persone, qui ne repond [...] escrit et qui [corr. sup. with marker EDC] persone, qui ne repond point aux lettres qu‘on lui escrit et qui dedaigne de parler à son inferieur. Celuy là met sa vanité dans ces dehors grossiers, mais les autres savent les immoler sans peine au plaisir d‘estre estimés et de passer pour modestes. MS1: <et c‘est> C‘est [ ] C‘est par ce leger sacrifice qu‘un homme bien elevé parvient à satisfaire son orgueil, d‘une façon d‘autant plus delicieuse que le cachant aux autres, non seullement il evite leur haine, mais qu‘il les force par cela mesme, à le loüer et à l‘estimer.

135L‘orgueil des hommes ne paroit jamais plus à decouvert que dans les MS1: <actions> occasions [corr. EDC] occasions [82 | f. 193v] où ils se flattent de le cacher sous le masque de la MS1: bienseance <ou de la vertu> [del. EDC] bienseance. Nous en pouvons voir des exemples dans les disputes des grands sur le rang MS1: <ou> et [corr. sup. EDC] et sur la preseance, sur tout quand ils sont ambassadeurs. Comme ils esperent alors que l‘on attribuera au soin qu‘ils doivent avoir de la dignité de leur charge, et de l‘honneur de leur maitre tout ce que leur vanité leur fait faire, ils donnent cariere à leur orguëil, et ce qui se passe dans les negociations, et les MS1: panctilio [corr. eds.] panctilio [57] des traités publics, MS1: <sont une preuve> est une bone preuve [corr. sup. EDC] est une bone preuve que ce n‘est que pour satisfaire leur orgueil d‘une façon plus sure et plus rafinée, que les gens bien élevés savent le cacher quelques fois, MS1: < et qu‘ils> puisqu‘ils [corr. sup. EDC] puisqu‘ils saisissent MS1: <avec> empressement [corr. EDC] avec tant d‘empressement, les occasions où ils peuvent se defaire de cette contrainte sans passer pour orgueilleux.

[83 | f. 194r] [blank page]

136[84 | f. 194v] Chapitre 5e. [58]
Des marchands en detail.

137Nous faisons si peu de cas des autres en comparaison de nous, que nul ne peut avec justice, estre juge en sa propre cause. Il n‘y a point de marchand qui soit content de ce qu‘il gagne, et point d‘achetteur qui ne croye donner baucoup trop de ce qu‘il achette. Les derniers voudroient avoir tout pour rien, et les autres voudroient vendre leurs marchandises le double de leur valeur. MS1: <Mais le debit et par consequent le profit du marchand etant fondés sur l‘opinion où l‘on est> Rien ne MS1: nous [add. sup. EDC]nous determine MS1: <davantage> plus [corr. sup. EDC]plus à acheter que lorsque nous nous persuadons que le marchand gagne peu, ou meme perd MS1: sur [add. sup. EDC]sur ce qu‘il nous vend, et nous nous faisons une espece de vanité d‘acheter à bon marché. Ainsi le debit et par consequent le gain du marchand etant fondé sur l‘opinion où l‘on est [corr. sup. EDC] Rien ne nous determine plus à acheter que lorsque nous nous persuadons que le marchand gagne peu, ou meme perd sur ce qu‘il nous vend, et nous nous faisons une espece de vanité d‘acheter à bon marché. Ainsi le debit et par consequent le gain du marchand etant fondé sur l‘opinion où l‘on est qu‘il se contente d‘un gain modique[,] il n‘y a point de mensonges qu‘ils n‘inventent, ny de stratageme qu‘ils ne mettent en usage pour donner d‘eux cette idée.

138Ceux qui ont blanchi dans le metier, et dont les boutiques sont achalandées abusent de leur reputation, et croyant mettre un voile de probité à leurs [85 | f. 195r] friponneries, dedaignent de s‘abaisser aux petites ruses des autres, et ecrivent sur chaque chose le prix qu‘ils en veulent avoir, et se font une loy de n‘en rien rabattre,“parce que, disent ils, etant fixés à gagner tant MS1: <pour tant> par cent [corr. sup. EDC] par cent, ils ne peuvent soutenir leur commerce, qu‘à la faveur de ce gain juste et modique.”Mais ceux qui MS1: <ne se laissent pas> se laissent [corr. EDC] se laissent prendre à ce piege, et qui croyent trouver plus de probité dans l‘arogance de ces vieux routiers, que dans les airs soumis et empressés de ceux qui sont moins fameux, se trompent grossierement. Les uns et les autres cherchent egallement à attraper leur prochain, quoy que par des voyes differentes. Ceux qui n‘ont qu‘un mot, ont leur marque particuliere tout comme ceux avec qui l‘on marchande et cette marque sert à cacher le gain et la friponerie des uns et des autres.

[86 | f. 195v] [blank page]

139[87 | f. 196r] Chapitre 6e. [59]
Des joueürs.

140Ceux qui ont vû des joueürs savent qu‘ils ne disent jamais ce qu‘ils ont gagné, surtout devant les gens interessés, et il faut que cet usage universel ait son fondement dans la nature, ou plutost dans l‘education, qui est une seconde nature.

141Les joüeurs qui gagnent cachent leur gain à ceux qui perdent, par un melange de pitié, de soin d‘eux mesmes, et de reconoissance MS1: [parenthesis added EDC] (s‘il est permis d‘appeller ainsi, cette espece d‘affection que nous sentons pour ceux qui contribuent à nostre bien estre), car les hommes sont naturellement reconoissants et il n‘y en a point qui ne soyent touchés d‘un bienfait, dans le moment mesme qu‘ils le reçoivent. Tout ce que ce sentiment prompt nous fait faire, part veritablement du coeur, mais MS1: <le> ce [corr. EDC] ce premier mouvement passé les marques de reconoissance que nous donnons à nos bienfaiteurs, sont l‘effet de l‘education, de la raison, de la vertu, et des idées du devoir, et non de cette premiere [88 | f. 196v] impulsion qui nous porte à la gratitude[.] Cette affection naturelle que nous avons pour ceux qui nous font quelque bien, vient de nostre amour pour nous mesmes. Nous etendons souvent cette affection aux choses inanimées, quand nous imaginons qu‘elles contribuent à nostre bien present, et c‘est de ce motif que part l‘affection et l‘espece de reconnoissance que nous avons pour ceux dont nous gagnons l‘argent.

142MS1: <Notre pitié> A l‘egard de notre pitié [corr. sup. EDC] A l‘egard de notre pitié pour eux MS1: elle [add. sup. EDC] elle vient de la reflection que nous faisons sur la peine que nous feroit la perte qu‘ils font, si nous etions à leur place, et comme nous craignons qu‘ils ne viennent à envier et enfin à haïr quelqu‘un qui est heureux à leurs depens, le soin que nous avons de nous mesmes, nous porte à leur cacher une partie de leur perte, dans l‘esperance qu‘il en seront moins indisposés contre nous.

143“Les joüeurs cachent aussi leur gain, aux indifferents, dans la crainte qu‘ils ne leur empruntent de l‘argent. Les perdants au contraire enflent leur perte, pour avoir l‘air magnifique, et pour joüir du plaisir d‘estre enviés de ce qu‘ils ont tant de quoy [89 | f. 197r] perdre, et plaints de ce qu‘ils ont tant perdu.”

144“Personne ne se meprend aux passions quand elles elevent leur teste, et qu‘elles MS1: montrent, <pour ainsi dire, leur> montrent leur [del. EDC] montrent leur veritable visage, mais il n‘y a que les philosophes qui etudient l‘homme avec soin, qui puissent reconnoitre les passions à travers les formes sans nombre qu‘elles prennent, dans les differentes circonstances de la vie humaine. Elles echapent alors aux yeux du vulgaire, ou s‘il les aperçoit il les meconnoit entierement.” [60]

145Ainsi quand une mere qui a perdu son fils, s‘arrache les cheveux et pousse des cris lamentables, il n‘y a personne qui ne voye dans ce trouble, les marques d‘une douleur immoderée. Y a t-il quelqu‘un MS1: par exemple [add. EDC] par exemple qui ignore, que c‘est la pitié qui nous cause le malaise que nous sentons à la veüe d‘un malheureux qui se fend la teste. “Ce sont là de ces grands traits qui frapent la veüe de tout le monde. Mais peu de gens appercoivent les motifs par lesquels les hommes se conduisent, dans les evenemens les plus communs de la vie. C‘est cependant ceux-là qu‘il nous est important de connoitre, parce que revenant tous les jours, ils nous tiennent de plus pres.”

146[90 | f. 197v] ”Le jeu par ex. consume la moitié de la vie des gens du monde. C‘est donc dans cette occupation, que l‘avarice et l‘inutilité ont inventés, qu‘il faut les suivre, pour decouvrir leurs passions, et leurs vices.”

147Voyés deux joueurs: ils nous donnent chacun un spectacle different. Celuy qui gagne est toujours de bonne humeur, il cherche à égayer l‘autre, il repare les meprises que le trouble de la perte luy fait faire, il est toujours de son avis. C‘est celuy qui perd qui regle la longueur des parties, le gagnant est toujours prest à luy donner sa revanche, et à luy adoucir par ses complaisances, l‘amertume de sa perte.

148L‘autre au contraire est de mauvaise humeur, capricieux, bouru, difficultueux. Mais son adversaire respecte toutes ses fantaisies, et pourvû que celuy qui perd n‘outrage point personellement celuy contre qui il joüe, il luy est permis de jurer[,] de mesler les cartes, d‘en jetter mesme tant qu‘il veut, sans que le gagnant, qui cependant les paye, le trouve mauvais, et il n‘y a point de partie qui ne soit une preuve de ce proverbe

149Losers must have leave to rail

150Il doit estre permis à ceux qui perdent de gronder. MS1: Note 3. [add. EDC] Note 3. Note 3.
Cela fait aparament un proverbe anglais; marchand qui perd ne peut rire, [61] est le proverbe français qui y répond le plus.

151[91 | f. 198r] “Le jeu est peut estre de toutes les occasions de la vie, celle où les gens du monde montrent le plus d‘humanité, et cela parce qu‘ils se mettent plus aisement à la place de celuy qui soufre.”

152“Qu‘un pauvre meure de faim dans la rüe, que leur cocher y perisse de froid, à les attendre toute la nuit, comme ils n‘ont jamais rien éprouvé de semblable, ils ne se croyent pas de l‘espece qui y est sujette. Mais ayant essuyé souvent la mauvaise fortune dans le jeu, et craignant continuellement qu‘elle ne MS1: change <pas> [del. EDC] change, ils ont pour ceux de qui ils gagnent l‘argent, les égards qu‘ils desirent qu‘on ait pour eux quand ils perdent.”

153Ainsi c‘est d‘un retour sur nous mesmes que naissent tous ces egards, et ils cessent avec les motifs qui les ont produits. Aussi deux jours apres, quand les idées sont effacées, et que le perdant a repris sa tranquilité, il rit le premier de sa perte, et plaisante souvent mesme, de la mauvaise humeur qu‘elle luy a causé, et celuy qui a gagné ne craignant plus alors d‘exciter sa haine, et son envie MS1: <il> ne [del. EDC] ne fait point de difficulté d‘avoüer son gain, et quelques fois mesme de l‘exagerer par vanité.

154Il peut ariver que des gens qui joüent [92 | f. 198v] ensemble ayent d‘ailleurs quelque animosité particuliere l‘un contre l‘autre, et alors rien de ce que je viens de dire n‘aura lieu.

155Quand on joüe extremement petit jeu[,] le desir de passer pour habile, et de remporter une petite victoire, etant l‘objet principal, la perte de nostre adversaire, n‘excite en nous aucun sentiment. Les differentes passions nous font eprouver des mouvemens differents, et je n‘ay pretendu parler dans ce que je viens de dire, que des jeux où l‘argent fait l‘objet principal.

156“Je [62] scais que baucoup de gens disent qu‘il leur est arivé souvent de cacher ce qu‘ils gagnoient, mais qu‘ils n‘ont jamais remarqué MS1: que [corr. eds.] que ce fust par aucun des motifs dont je viens de parler. Je ne suis point étonnée de cette objection. Je scais combien peu de gens reflechissent, et que mesme parmi ceux qui font quelque attention sur eux mesmes, il n‘y en a gueres qui ayent le fil de ce labyrinthe de nos passions. Il en est de leurs differents effets comme du melange des couleurs dans les etoffes. Il est aisé de connoitre le bleu d‘avec le rouge, le noir d‘avec l‘orangé, mais il n‘y a que les artistes qui puissent desmeler les nuances [93 | f. 199r] differentes et la façon dont il faut les assortir, pour en faire une belle etoffe. Ainsi quand une seulle passion nous fait agir, il est aisé de la reconnoitre, mais il est difficille de rendre compte des actions qu‘un melange de plusieurs passions a produit.”

157[94 | f. 199v] Chapitre 7e. [63]
Des professions fondées sur les vices des hommes.

158Il y a des occasions, où l‘on peut dire avec verité que la vertu est l‘amie du vice.

159Les gens du peuple qui gagnent de quoy elever leur famille, et payer les taxes publiques dans les professions fondées sur les vices des autres, ne participent pas plus à ces vices qu‘un droguiste, ches qui on prend des drogues pour empoisoner, ou un fourbisseur qui vend une epée avec laquelle on assassine.

160 Un marchand qui envoye du bled et des draps dans les pays etrangers, et qui en tire des vins et des liqueurs, fait fleurir les manufactures de son pays, encourage la navigation, augmente les droits de la doüane et est utille de mille façons à la societé. Il est cependant bien sur, que son commerce est fondé sur le luxe, et sur l‘yvrognerie.

161MS1: [marker for new paragraph] Si personne ne buvoit du vin qu‘autant qu‘il en faut pour la santé, les marchands, les cabaretiers, les tonneliers, et tant d‘autres [95 | f. 200r] tomberoient bientost dans la misere. On peut dire la mesme chose de ceux qui font les cartes et les dez. Ils sont les ministres innocents et immediats d‘une foule de vices.

162Cette reflection fait voir que l‘on ne songe point assés, quand on declame contre le luxe, et contre l‘orgueil. Combien de marchands d‘etoffes, de tailleurs, de tapissiers et d‘autres ouvriers, mouroient de faim si MS1: <les> ces [corr. EDC] ces vices etoient banis de la societé.

[96 | f. 200v] [blank page]

163[97 | f. 201r] Chapitre 8e. [64]
Que les plus mechants sont encor utilles à la societé,
et principallement les cabaretiers.

164Je scais que cela paroitra bien etrange. On me demandera sans doute, quel bien les voleurs, et les assassins peuvent faire à la societé. Personne n‘est plus persuadé que moy, qu‘ils luy sont tres pernicieux et que ceux qui gouvernent, doivent employer tous leurs soins pour les extirper, et cependant telle est la liaison des choses, que si tout le monde etoit incapable de s‘approprier le bien des autres[,] cette honnesteté universelle auroit aussi des inconvenients. MS1: note 4e [add. EDC, with the text of the note in the margin] note 4e Note 4e.
La moitié de ce MS1: <qu‘il> que l‘auteur [corr. sup. EDC] que l‘auteur dit dans ce chapitre MS1: <ne sont que des paralogismes> n‘est qu‘un paralogisme [ ] n‘est qu‘un paralogisme continuel[.] Les voleurs et les assasins ne peuvent jamais etre utiles à la societé, et quant aux seruriers voila une plaisante raison à donner, ne semble t-il pas qu‘il niait que cette profession dans laquelle on gagne sa vie, il faut bien prendre garde d‘abuser de son esprit, et de trop etendre des principes qui MS1: <sont vrais> ne sont vrais que [corr. sup. EDC] ne sont vrais que jusqu‘à un certain point[.]

165MS1: Un [...] serait que [add. sup. EDC] Un de ces inconvenients seroit que la moitié des seruriers et des autres ouvriers en fer, mouroient de faim, et une infinité d‘inventions que l‘industrie est parvenüe à faire servir en mesme tems d‘ornement et de deffense, eussent esté ignorées.

166[98 | f. 201v] Si nous jugions des actions par leurs effets, nous serions obligés de convenir que les membres de la societé les plus inutils et les plus mechants, contribuent cependant à son bonheur. Mais ce n‘est pas ainsi qu‘on doit juger les hommes. Quand il s‘agit de les punir ou de les recompenser, il faut les juger sur leurs actions en elles mesmes, et sur tout sur les motifs qui les ont fait faire. Ainsi quoy qu‘il soit vrai que celuy qui volle le tresor d‘un avare, fait un bien aussi reel à la MS1: voyés la notte 4 [note marg. add. EDC]societé, en mettant dans le commerce un argent qui etoit mort, qu‘un evesque qui donne l‘aumone. Cependant le repos de cette mesme G: societé exigentsocieté et la justice exigent que le premier soit pendu MS1: et l‘autre honoré, et reveré. [add. EDC] et l‘autre honoré, et reveré[.]

167Il y a des voleurs qui vollent pour gagner leur vie, soit que ce qu‘il peuvent gagner honnestement, ne suffise pas à leur subsistance, soit qu‘ils soient nés trop paresseux, pour vouloir travailler.

168Il y en a qui vollent pour avoir de quoy s‘enyvrer, et avoir des filles. Il est vrai que celuy qui les retire ches luy, sachant [99 | f. 202r] bien le metier qu‘ils font, y MS1: participe<nt> [corr. EDC] participe mais si leur conduite paroit reglée, qu‘ils payent bien, qu‘ils soient exacts en affaires, ce qui n‘est point incompatible, le plus honneste marchand leur fournira tout ce qu‘ils ont besoin, et aura mesme une attention extreme à les contenter, son affaire n‘etant pas d‘examiner, si les moeürs de ses pratiques sont bonnes, mais si elles payent bien, et il n‘en sera pas moins vrai que la subsistance des malheureux qui ont esté la victime de ces voleurs servira à élever la famille de cet honneste marchand.

169Un de ces voleurs ayant fait un butin considerable, donne à une pauvre fille pour qui il se sent du goût, de quoy MS1: <l‘habiller> s‘habiller [corr. EDC] s‘habiller de pied en cap. Il n‘y a point de marchand, si scrupuleux qu‘il soit, qui refuse de fournir à cette fille ce qui luy sera necessaire pour MS1: <l‘habiller> s‘habiller [corr. EDC] s‘habiller. Ainsi le marchand, le cordonier, la couturiere, tous tirent leur subsistance du vol du fripon, qui a donné de l‘argent à cette fille.

170Ce fripon ayant depensé tout son argent se met à voler de nouveau, et etant malheureusement pris et condamné selon [100 | f. 202v] les loix, il tire par son suplice trois ou quatre personnes de peine. Un honneste fermier qui avoit perdu presque tous ses bestiaux, un laboureur accablé d‘enfans, et dont la femme etoit malade, et un pauvre garçon jardinier dont le pere etoit en prison pour debtes, ayant receu chacun 80. Guinées, MS1: note 5. [add. sup. EDC] note 5. Note 5
C‘est un usage en Angletterre, qu‘il y a toujours une retribution pour ceux qui convainquent un criminel.
pour avoir convaincu le voleur, retablissent leurs affaires par cet argent, et le suplice d‘un fripon, qui est la suite de ses vols, fait la fortune de trois honnestes gens, et les rend du moins pour un tems, les plus heureuses personnes du monde. Ainsi la societé profite des vices mesmes qu‘elle est obligée d‘extirper, et de punir le plus severement.

171Rien n‘est plus contraire à la santé et à l‘industrie qui sont les seuls biens des pauvres, que ces liqueurs MS1: <du genievre qui nous sont venües d‘Hollande> qu‘on tire du genievre [corr. sup. EDC] qu‘on tire du genievre [65]. Tout le peuple se laisse prendre à cet appas enchanteur. Les malheureux boivent dans ce Lethé l‘oubli de leur misere. C‘est cette liqueur qui leur fait regarder avec indifference leurs haillons, et ils y noyent avec leur raison, toutes les reflections [101 | f. 203r] affligeantes de leur etat. C‘est cette liqueur qui ferme MS1: <les> leurs [corr. sup. EDC] leurs oreilles aux cris d‘une famille qui meurt de misere. Elle rend le froid, la faim, et tous les autres besoins qu‘ils eprouvent, moins cuisants. Enfin elle les console de vivre; mais ces avantages apparents, sont un mal bien réel pour eux. Cette liqueur qu‘ils croyent si bienfaisante, detruit leur temperament, MS1: et [add. EDC] et les devore. C‘est un lac de feu qui les embraze et les dechire. De plus cet oubli passager de leur misere, la rend plus profonde en les rendant par leur paresse incapables d‘en sortir. Non seullement ces liqueurs si dangereuses detruisent la moitié du peuple, mais elles exercent leur cruauté dans toutes les conditions. Elles changent la vivacité, en brutalité. Ceux qui en abusent sont querelleurs, et toujours prests à se battre pour rien. Qui pouroit nombrer les meurtres dont elles on esté causes. Elles ont detruit les temperaments les plus forts, et fait mourir de consumption, d‘apoplexie, ou de fiebvres chaudes, des gens que la nature avoit faits, pour faire l‘epitaphe du monde, et elles ne laissent à ceux qu‘elles épargnent le plus, qu‘une vie assiegée de toutes sortes d‘infirmités.

172[102 | f. 203v] Quelques-uns de ceux qui aiment ce poison liquide avec le plus de passion, en vendent, pour avoir le plaisir de fournir aux autres ce qu‘ils aiment avec tant d‘exces, et pour avoir une occasion continuelle de boire. De mesme MS1: que [add. sup. EDC] que les femmes debauchées saisissent avec empressement les occasions de débaucher les autres, et de leur procurer des plaisirs.

173Dans les environs de la ville, la plus grande partie des maisons sont des cabarets. Je ne crois cependant pas qu‘il y ait un plus indigne et un plus miserable metier que celuy de cabaretier. Il faut que celuy qui l‘exerce soit toujours sur ses gardes, pour que ses valets ne boivent point son vin. Il faut qu‘il soit du temperament du monde le plus vigoureux, il doit estre toujours prest à servir les autres, scavoir toutes les petites finesses qui attirent les chalands, toutes les platitudes que le peuple dit, pour tourner sa frugalité en ridicule, qu‘il ne s‘epouvante point des jurements continuels qu‘il entend, et de toutes les injures qu‘on luy dit. Il doit estre honneste et affable pour les plus meprisables, et soufrir sans degoût la puanteur, les disputes, et toutes les [103 | f. 204r] impertinences qui accompagnent la joye des sots. La ville et les fauxbourgs fourmillent cependant de ces seducteurs authorisés par les loix, dont la profession est d‘entretenir et d‘augmenter la brutalité, la paresse, la misere, et tous les autres maux, où cette coupe de Circé [66] plonge ceux qui en boivent.

174“Tout [67] est lié l‘un à l‘autre, tout a des raports infinis. Le peuple n‘apperçoit qu‘un MS1: chaison [corr. eds] chainon de cette G: chaine qui entourechaine immense qui embrasse le tout. Mais ceux qui considerent les choses avec une veüe moins bornée, voyent le bien sortir des racines du mal, aussi naturellement que les poulets viennent des oeufs.”

175Ainsi cette liqueur qui cause tous les maux dont je viens de parler, fait une partie considerable des revenus de la nation, par les droits imposés sur le malt. MS1: note 6 [added EDC with text of note at the bottom of the page] note 6 Note 6.
C‘est une graine dont on tire en Angletere une liqueur tres violente[.]
Une quantité innombrable d‘ouvriers vivent du travail qu‘elles exigent. Ainsi le public et les particuliers soufriroient égallement, si on cessoit de MS1: la [add. sup. EDC] la tirer du malt.

176On peut dire encor que l‘usage du malt est tres sain quand il est moderé, qu‘il fortifie des gens qui travaillent, et qu‘il [104 | f. 204v] leur tient lieu de remedes plus chers, qu‘ils n‘auroient pas le moyen de se procurer; que l‘abrutissement et l‘insensibilité, qu‘il cause aux pauvres, est un bonheur reël pour eux, s‘il est vrai que le plus heureux soit celuy qui soufre le moins, et que pour les querelles et les meurtres dont ces liqueurs sont la cause, la societé en est amplement dedomagée, par le courage qu‘elles inspirent aux soldats, qui pour la plus part s‘enyvrent un jour de combat, et que c‘est à elles qu‘on doit les principalles victoires que la nation a remportées dans les dernieres guerres.

177À l‘egard des desagrements attachés au metier de cabaretier, chaque profession a les siens. De plus, ce qui nous paroit degoutant et insuportable dans la leur, MS1: <en plait> est ce qui leur en plait [corr. sup. EDC] est ce qui leur en plait davantage, l‘education et l‘habitude changeant entierement les choses aux yeux des hommes. Mais quand bien mesme ces desagrements, seroient pour eux des peines réelles, qui ne scait que le gain est une compensation pour tout, et que ce proverbe: dulcis odor lucri e re qualibet [68] est bien vrai.

178Il n‘y a point de plus pauvre metier que [105 | f. 205r] celuy de marchand d‘eau de vie, et le plus fameux fait toujours une pauvre figure. Quelles peines, quelles miseres, quelles basesses ne faut MS1: ils [corr. eds.] il pas que ces malheureux épuisent pour vendre leur poison? Cependant ils peuvent devenir utilles à la societé. Car si un de ces malheureux ayant fait une petite fortune à ce metier, devient juge de MS1: Cela est un peu tiré [add. marg. EDC]paix,Cela est un peu tiré ou qu‘il parvienne à quelque autre magistrature, connoissant mieux qu‘un autre les desordres de la populace il les reprimera mieux, et leur inspirera avec d‘autant plus de succés, l‘honesteté, la retenüe, et toutes les autres vertus, que connoissant le ton, et les details de cette canaille, il saura mieux les moyens de la mener et de la persuader.

179[106 | f. 205v] Chapitre 9e. [69]
Des musicos MS1: <de> d‘Hollande d‘Hollande.

180Rien n‘a plus contribué à l‘etablissement de la religion reformée que la paresse et la stupidité du clergé romain. Mais la reformation en profitant de son ignorance, l‘en a gueri, et l‘on peut dire que Luther et Calvin ont non seullement reformés leurs sectateurs, mais mesme leurs ennemis. Le clergé d‘Angleterre, en reprochant aux schismatiques leur ignorance, a excité leur emulation, et en a fait des ennemis formidables, auxquels il a bien de la peine à repondre. Les papistes à leur tour, par l‘acharnement avec lequel ils relevent les moindres fautes des reformés, MS1: leurs [corr. eds.] leur en ont epargné plus d‘une. MS1: Car [add. sup. EDC] Car des ennemis si clairvoyants et si attentifs, ont mis les protestants dans l‘obligation d‘estre irreprochables.

181[107 | f. 206r] C‘est à la quantité d‘huguenots dont la France a esté remplie jusques à leur derniere extirpation, [70] qu‘elle doit l‘avantage d‘avoir eü un clergé plus savant et moins débauché que les autres nations chretiennes. Il n‘y a point de pays, par ex. où les pretres soient plus absolus qu‘en Espagne, et en Italie, et il n‘y en a point où leurs moeürs soient plus dissolües parce que personne n‘ose leur reprocher leurs vices.

182Il en est de mesme des femmes vertueuses et des courtisanes. L‘incontinence de ces dernieres, est ce qui sert le plus à mettre l‘honneur des honnestes femmes en sureté. Un jeune homme qui sort de l‘eglise, du bal, ou de quelque autre assemblée, où il a vû de jolies femmes, a sans doute l‘imagination plus échaufée, que s‘il venoit de se promener dans une campagne où il n‘auroit vû que des moutons. Il est sur qu‘au sortir de ce spectacle l‘envie de contenter ses desirs, le menera ches une femme avec qui il puisse les satisfaire, et s‘il n‘en trouvoit point qui [108 | f. 206v] MS1: <consentissent> consentit [corr. EDC] consentit à ses desirs, il y a grande apparence qu‘il les satisferoit par la force, dès qu‘il en pouroit trouver l‘occasion.

183MS1: [marker for new paragraph] Je suis bien loin d‘encourager le vice, et je pense qu‘un etat dont toute sorte d‘impudicité seroit banie, seroit trop heureux, mais c‘est avec regret que je suis convaincu, que cela est impossible, cette passion est trop violente dans les hommes, pour estre domtée par aucune loy.

184La sagesse d‘un gouvernement consiste à tolerer les abus qui sauvent un plus grand mal. Si on banissoit les courtisanes de la societé, comme les gens qui ne reflechissent point ne cessent de le demander, il n‘y auroit ny grilles, ny veroüils qui pussent sauver l‘honneur de nos femmes, et de nos filles, car non seullement elles seroient plus vivement attaquées, mais le rapt et les plus grands exces, deviendroient des crimes ordinaires.

185Dans les ports de mer, comme par ex. [109 | f. 207r] à Amsterdam, où six ou sept milles matelots debarquent à la fois, apres avoir passé plusieurs mois de suite avec des hommes, enfermés dans un vaisseau, croyés vous qu‘une honneste femme pust sans risquer son honneur, sortir le pas de sa porte, si ces matelots ne trouvoient des femmes avec lesquelles ils pussent contenter leurs desirs sans user de violence. C‘est une des raisons pour lesquelles les sages magistrats de cette puissante ville, permettent qu‘il y ait un certain nombre de maisons où l‘on marchande ces plaisirs aussi publiquement que des chevaux au marché. Cette sage tolerance est une des choses qui fait le plus honneur à la prudence humaine, et je crois qu‘on me scaura gré de donner icy une idée de ce qui se passe dans ces maisons, où la plus grande licence est authorisée par les loix.

186Premierement elles sont baties dans les rües les plus detournées de la ville, aucun etranger qui a quelque soin de sa reputation, n‘oseroit y loger. La rüe dans [110 | f. 207v] laquelle une de ces maisons se trouve est reputée infame, et le deshonneur s‘etend à tous les voisins.

187MS1: [marker for new paragraph] Secondement il est bien permis d‘y conclure un marché et d‘y prendre ses arangements pour un rendés vous, mais toute action dissolüe en est banie, et cet ordre est si éxactement observé, que malgré la grossiereté et la rudesse des gens, qui les frequentent, vous y trouverés moins d‘indecence, et de dissolution que dans aucun autre lieu public.

188MS1: [marker for new paragraph] Troisiement les femmes qui y viennent sont l‘ecume et la lie du peuple. Elles sont vetües pour la plus part comme des comedienes de campagne. Cet habillement fait un contraste si ridicule avec la noirceur de leur peau, et les façons de ces princesses sont si bien assorties à leur figure, qu‘il n‘est point à craindre que la jeunesse au dessus du matelot en soit tentée.

189La musique de ces temples de Venus consiste dans des orgues, non que la deesse qu‘on y adore, ne merite une musique plus harmonieuse, mais parce que le but [111 | f. 208r] principal de ceux qui la donnent, est de MS1: <de donner baucoup de plaisir> faire beaucoup de bruit [corr. sup. EDC] faire baucoup de bruit, pour le moins d‘argent qu‘il est possible. D‘ailleurs les gens de mer, et principallement les Hollandois sont aussi bruyants que l‘element sur lequel ils passent une partie de leur vie. La gayeté d‘une demi douzaine de matelots, etoufferoit le bruit de quarente violons, au lieu qu‘avec deux orgues, ils peuvent faire tant de tapage qu‘ils veullent. Ainsi cet instrument est assorti à la grosiereté de leurs oreilles et à l‘avarice de ceux qui tiennent ces musicos. Malgré la grande discipline qui regne dans ces marchés publics d‘amour, le Schout [71] et ses officiers sont sans cesse occupés à reprimer les maitres de ces maisons, et sur les moindres plaintes ils les en chassent. Le gouvernement a en cela deux veües. La premiere de mettre un frein aux gains immoderés qu‘ils font et la seconde de punir de tems en tems les maitres de ces ecolles publiques du vice, afin de ne pas mettre la multitude dans leur secret, et de conserver à la magistrature le respect du peuple, en [112 | f. 208v] luy faisant acroire qu‘ils soufrent malgré eux, ce qu‘en effet ils tolerent[,] car le pouvoir de ceux qui reglent la police à Amsterdam est si absolu, que s‘ils vouloient, ils detruiroient en un jour tous les musicos. “Mais ils feroient un mal bien réel à leur patrie. La republique a plus d‘une veüe dans cette tolerance. L‘honneur des femmes vertueuses en est une, mais l‘avancement de leur commerce y a bien autant de part. Il n‘y a point de matelot à qui un voyage à la mer ne fasse une petite fortune, et qui ne reviene dans sa patrie avec une ferme resolution d‘en joüir tranquillement, et de ne se plus embarquer. Cependant il faut des matelots à la republique pour soutenir son commerce et sa grandeur. Les maisons dont je viens de parler luy fournissent un moyen sur pour faire rembarquer ceux qui y avoient le plus d‘eloignement. Les matelots depensent en peu de tems dans ces maisons et avec les filles qu‘ils y trouvent, le fruit de leurs travaux et sont ensuite obligés de se remettre [113 | f. 209r] en mer pour eviter la pauvreté. Mox reficit vates quassas indocilis pauperiem pati.” [72]

190En Italie et en Espagne, les filles de joye sont encor tolerées plus ouvertement qu‘en Hollande. L‘amour y a des temples publics sous un nom moins honorable. À Venise et à Naples, l‘impureté est une sorte de metier, et l‘honneur des femmes une marchandise. Les courtisanes à Rome et les cantoneras en Espagne, composent un ordre à part, et payent une taxe au tresor public, du revenu de leurs plaisirs. Il est certain que ce n‘est pas par irreligion que ces excellents politiques soufrent ces debauches publiques, mais pour empecher une autre sorte de debauche plus infame et pour mettre l‘honneur des femmes en sureté. Mr. Didier raporte que 50. ans avant luy, [73] les courtisanes ayant manqué à Venise[,] la republique fut obligée d‘en faire venir un grand nombre des pays etrangers; MS1: le [add. EDC] le d‘Oglioni qui a ecrit ce qui s‘est passé de plus memorable dans cette republique loüe extremement sa sagesse [74] dans ce point [114 | f. 209v] et la prevoiance avec laquelle elle a pourvû par cette sage tolerance à l‘honneur des filles, et des femmes, qui sans cela seroient exposées continuellement à des insultes et des violences dont les asyles les plus respectables ne les mettroient pas à couvert.

191Nos universités en Angleterre seroient pleines de desordres, si dans la plus part il n‘etoit permis d‘accorder de tems en tems quelque chose aux besoins de la nature, MS1: <comme en Allemagne, où il etoit permis autrefois> come autrefois il etoit permis en Allemagne [corr. sup. EDC] come autrefois il etoit permis en Allemagne aux moines et aux prestres d‘avoir des concubines, en payant une certaine redevance annuelle à leur evesque.

192On croit communément, dit mr. Bayle, à qui je dois tout ce paragraphe, [75] que l‘avarice etoit la cause de cette tolerance honteuse, mais il est bien vraisemblable que cette licence avoit esté permise pour empescher les moines et les ecclesiastiques de corompre leurs penitentes et pour mettre à couvert l‘honneur des maris qui dans la crainte de s‘attirer le ressentiment du clergé, n‘osoient pas mesme se plaindre de ces desordres.

193[115 | f. 210r] Il est donc certain qu‘on a esté obligé de sacrifier l‘honneur de la moitié des femmes à la conservation des autres, et de prevenir par là, une debauche plus outrageante pour la nature, et plus nuisible à la societé, ainsi je crois avoir prouvé cette espece de paradoxe, que l‘incontinence est utille à la chasteté, et que les vertus les plus respectables, ont besoin MS1: quelquefois [add. sup. EDC] quelquefois [76] des vices les plus infames.

194[116 | f. 210v] Chapitre 10e. [77]
De l‘avarice.

195On a coutume de regarder l‘avarice avec plus d‘horreur et de mepris que les autres vices MS1: et l‘on a raison [add. sup. EDC with marker] et l‘on a raison, car on peut dire qu‘il n‘y a aucun crime, que l‘avarice n‘ait fait commettre.

196Mais la principalle raison qui donne tant d‘horreur de l‘avarice, c‘est que tout le monde MS1: <en soufre> en soufre [...] nos passions et [corr. sup. EDC] en soufre, car l‘interest est la boussolle de toutes nos passions et plus il y a de gens qui enfoüissent leur argent, MS1: <et> plus [del. EDC] plus il est rare dans le MS1: commerce <car l‘interest est la boussolle qui conduit toutes nos autres passions.> [del. EDC] commerce.

197Personne ne peut vivre sans argent. Ceux qui n‘en ont point, en gagnent, en rendant service aux autres, mais comme chacun estime son travail à proportion de ce qu‘il MS1: <l‘estime> s‘estime [corr. EDC] s‘estime luy mesme, les hommes trouvent toujours la peine qu‘ils se donnent pour gagner leur vie, fort mal payée.

198D‘ailleurs, tous les hommes sont portés naturellement à croire que les choses necessaires à la vie, ne deveroient point estre le prix de leurs travaux, et comme [117 | f. 211r] la nature leur donne le sentiment de la faim, soit qu‘ils ayent ou non de quoy manger[,] ils pensent qu‘elle deveroit MS1: <aussi> leur [del. EDC] leur fournir de quoy satisfaire à un besoin qui ne depend point de leur volonté. MS1: <Si tous les riches etoient avares, il s‘en faudroit bien que tout le monde trouvast à gagner la vie> Cependant la necessité [...] gagner sa vie. [corr. sup. EDC with marker] Cependant la necessité les force à travailler pour se nourir, la vanité s‘en mele ensuite et fait travailler ceux qui auroient de quoi vivre honnetement, pour acquerir de quoi fournir à leur luxe, or si tous les riches etoient avares, il s‘en faudroit bien que tout le monde trouvat à gagner sa vie[.]

199L‘avarice est la mere de la prodigalité, car s‘il n‘y avoit point d‘avares, il ne pouroit y avoir de prodigues, et si tout le monde depensoit son revenu, personne ne pouroit depenser au dela. Les avares amassent pour les prodigues et sont leurs tresoriers et MS1: <les> ces [corr. EDC] ces deux vices qui paroissent si contraires se servent mutuellement.

200MS1: [call and marg. note add. EDC]FlorisNote
Cela est dans l‘original au MS1: <paragraph> chapitre suivant [corr. sup. EDC] chap. suivant mais je l‘ay transposé ici parce que j‘ay cru que c‘etoit sa place[.] [78]
ce jeune extravagant porte sa prodigalité jusqu‘à la folie. Il sent qu‘il est le fils unique d‘un pere tres riche, ainsi il donne cariere MS1: <à ses fantaisies> aux fantaisies les plus ridicules [cor. sup. EDC] aux fantaisies les plus ridicules. Il a une meute de chiens, quoy qu‘il n‘aille jamais à la chasse; les plus baux chevaux du monde, mais il ne monte point à cheval. Il entretient magnifiquement une fille de l‘opera, à laquelle il ne touche jamais. Il n‘est pas plus raisonable dans les choses [118 | f. 211v] dont il fait usage. La vanité est la seulle regle de sa depense. Son pere qui est sage et un peu avare, ne luy donne pas à baucoup prés, de quoy satisfaire tant d‘extravagances. Floris est donc obligé d‘emprunter, mais comme l‘argent qu‘on luy prette seroit perdu s‘il venoit à mourir avant son pere, il a bien de la peine à trouver du credit. Un usurier nommé Cornaro, avide de gain, consent à luy pretter à trente pour cent l‘argent dont il a besoin. Floris se trouve l‘homme du monde le plus heureux, de pouvoir contenter tous ses goûts, et Cornaro s‘aplaudit de son costé de tirer un interest si excessif de son argent. Ainsi ces deux hommes d‘un caractere tout opposé, contribuent au bonheur l‘un de l‘autre, car sans la folie de Floris, Cornaro n‘eut jamais trouvé à faire un gain si considerable, et sans l‘avarice de Cornaro, Floris n‘eut jamais pû trouver personne qui voulust risquer tant d‘argent sur la teste d‘un débauché.

201MS1: <J‘ai vû> “On m‘a conté [corr. sup. EDC] “On m‘a conté une preuve bien etonante de l‘aveuglement où l‘excés de l‘avarice jette quelques fois les hommes. Une femme [119 | f. 212r] agée vouloit mettre un argent assés considerable à fonds perdu. Une personne qui en avoit un extreme besoin luy offrit vingt pour cent. Elle trouva le marché si bon, qu‘elle MS1: <ajouta> fit mettre dans le contract [corr. sup. EDC with marker] fit mettre dans le contract que tous les ans, les arerages seroient ajoutés au principal, et luy porteroient interest MS1: <sur le mesme pied> au meme denier [corr. sup. EDC] au meme denier[.] Par ce rafinement d‘avarice, il s‘est trouvé qu‘elle a fait un present considerable à la personne du besoin de qui elle avoit voulu abuser. Elle est morte sans en avoir rien touché, et ses heritiers n‘ont pû exiger que l‘année courante.”

202L‘avarice est le contraire de la prodigalité si l‘on n‘entend par ce mot d‘avarice, que l‘amour sordide de l‘argent, et cette petitesse d‘ame, qui empesche les avares de se servir de ce qu‘ils ont, et qui leur fait amasser des tresors, pour avoir seullement le plaisir de les enfoüir. Mais il y a une autre sorte d‘avarice, qui consiste dans l‘avidité d‘avoir de l‘argent pour le depenser. Cette sorte d‘avarice se trouve presque toujours jointe à la prodigalité, et la plus part des grands seigneurs rassemblent en eux ces deux vices. La profusion et la galanterie eclatent [120 | f. 212v] dans leurs habits, dans leurs maisons, et dans leurs equipages. Mais l‘avarice la plus basse[,] les exactions les plus honteuses, les maneges les plus avilissants sont le revers de la medaille, et l‘on peut dire d‘eux ce qui a esté dit de Catilina, qu‘il etoit avide du bien d‘autruy, et prodigue du sien.

203Appetens alieni, et sui profusus. [79]

204[121 | f. 213r] Chapitre 11e. [80]
De la prodigalité.

205La prodigalité est quelquefois un vice noble, et qui est utille à tout le monde. Ce n‘est pas celle qui a l‘avarice pour compagne, MS1: <ce> et [corr. EDC] et qui fait donner aux uns par foiblesse, ou par vanité, ce que l‘on a osté injustement aux autres, que j‘apelle ainsi, mais cette élevation d‘ame qui fait prodiguer presque sans y penser cette mesme chose que les autres amassent avec tant de peines, et qui nous persuade avec raison, que le seul emploi qu‘on puisse faire d‘un morceau d‘or, est d‘en achepter des plaisirs[.]

206Le mesme motif qui m‘a fait peindre les avares avec des couleurs si noires, me fait dire du bien des prodigues. Ce motif, c‘est le bien des hommes en general, car un avare ne fait du bien qu‘à luy mesme, et est nuisible au reste de la societé, mais le prodigue au contraire, fait du bien à tous, et du mal seullement à luy mesme. L‘on est trop heureux qu‘il y ait des gens qui ayent cette sorte de folie, si c‘en est une. Ils sont à la societé ce que l‘on dit en Italie que [122 | f. 213v] les moines sont aux femmes. On les apelle leurs perdrix. [81]

207La prodigalité est la seulle chose qui puisse dedomager des rapines et des extorsions des gens en place. Quand un ministre qui s‘est engraissé toute sa vie des depoüilles d‘une nation, et qui à force de friponeries a amassé des biens immenses, vient à les laisser par sa mort, à un fils aussi prodigue qu‘il etoit avare, ceux qui aiment le bien public, doivent se rejoüir et estre surs que le fils rendra au public par ses folies, ce que le pere luy a volé par ses exactions.

208Je scais qu‘on dira que la MS1: <frugalité> <moderation> frugalité [corr. EDC] frugalité tient un juste milieu entre ces deux vices, et que si les hommes savoient mettre un frein à leurs passions et à leurs desirs, ils ne seroient ny avares ny prodigues, et qu‘ils en seroient plus heureux. Quiconque raisone ainsi, est sans doute un tres honneste homme, mais il est assurement un tres mauvais politique. La frugalité est comme l‘honnesteté. MS1: <Elles> L‘une et l‘autre [corr. sup. EDC] L‘une et l‘autre ne peuvent se MS1: trouver <l‘une et l‘autre> [del. EDC] trouver, que dans une petite societé dont l‘innocence est fondée sur la pauvreté, [123 | f. 214r] mais dans une nation florissante, cela est impossible. Les etats dont le commerce fait la grandeur, ne veullent point de citoyens inutils, et ces vertus paisibles et paresseuses, y seroient plus nuisibles que tous les vices. Les prodigues ont inventé mille façons de se ruiner, et les avares de s‘enrichir, dont le peuple profite egallement pour gagner sa vie, mais la frugalité ne feroit usage ny des uns ny des autres, et seroit par consequent moins utile à la societé, que ces deux vices.

209Il est permis aux autheurs de comparer les grandes choses aux petites, surtout quand ils en demandent la permission. Si licet exemplis, [82] qu‘on me permette d‘user de cette licence, pour comparer la societé à du punch. Cette liqueur composée de tant d‘ingredients differents, fait les delices des gens les plus delicats. Cependant si on disoit à un homme qui n‘en eut jamais bû: croyés vous que du citron, de l‘eau, du sucre et de l‘eau de vie, puissent faire une liqueur agreable? Le citron, diroit il, est trop aigre, le sucre trop doux, ainsi du reste. Il en est de même des avares, des prodigues, [124 | f. 214v] et des differentes sortes de fous qui composent la societé. MS1: [call add. EDC]note 7. MS1: [add. EDC]note 7 L‘autheur s‘etend MS1: effectivement pendant [add. sup. EDC] effectivement pendant une page et demie à montrer ces raports. Il dit que l‘avarice est un acide qui agace les dents, comme le citron &c. J‘ay crû faire plaisir au lecteur de luy epargner ces details. “Je [83] pourois faire voir tous les raports de cette comparaison, si je voulois ennuyer mon lecteur, mais j‘aime mieux MS1: <luy en faire > passer à [corr. EDC] passer à une autre, qui me semble MS1: <aussi> plus [corr. sup. EDC] plus juste et plus courte. C‘est que les avares[,] les prodigues, et tous les autres gens vicieux me paroissent estre dans la societé, ce que les poisons sont dans la chymie, ils sont mortels d‘eux mesmes, mais l‘art a scû en tirer des remedes salutaires.”

210[125 | f. 215r] Chapitre 12e. [84]
Du luxe.

211Il est bien difficile d‘expliquer ce qu‘on entend par ce mot de luxe. Si on appelle ainsi tout ce qui n‘est pas indispensablement necessaire à la vie, il n‘y a aucun etat dans le monde, dans lequel on ne trouve quelque luxe, mesme parmi les sauvages qui vont tout nuds. Car il est impossible que par la suite des tems, ils n‘ayent un peu perfectioné leurs etables, leurs cahutes, et qu‘ils n‘ayent fait quelque changement, et quelque ameliorissement, à ce qui leur sufisoit pour vivre dans le commencement.

212Cette definition qui appelle luxe, tout ce qui n‘est pas indispensablement necessaire pour le soutien de la vie, quelque etendüe qu‘elle paroisse, est cependant indispensable, car si on ne l‘admet pas, on ne trouvera point de regle, pour juger de ce qui est luxe, ou de ce qui ne l‘est pas.

213“Des chemises etoient un luxe pour nos tres grossiers ayeux. La premiere paire de bas de soye fut acheptée 500.ll par Henry 2d. et c‘eut esté dans ce tems là un luxe excessif [85] [126 | f. 215v] dans MS1: <un [...]> un prince du sang [add. sup. EDC] un prince du sang que des bas de soye. En Espagne quand on veut designer une maison, où il ne manque aucune recherche de luxe, on dit, enfin elle est vitrée. [86] Ce qu‘on appelle luxe, change donc selon les tems[,] les pays, les usages. Il y a un sermon de St. Chrisostome contre les souliers à la pouline qui etoient faits à peu prés comme les mules des femmes d‘à present, et il appelle enfans du diable, celles qui en portoient, à cause de leur luxe excessif. [87]

214Quand le peuple dit qu‘il ne desire que ce qui luy est necessaire pour se tenir proprement, s‘il entend ce mot MS1: <sans> dans dans son sens primitif et litteral, il n‘a pas grand tourment à se donner pour remplir ses desirs, de l‘eau y sufira. Mais, proprement a un sens si etendu, surtout parmi les femmes, que qui voudroit luy donner une definition precise, seroit fort embarassé.

215Ce que l‘on appelle les comodités de la vie est tres etendu, et tres different ches les differentes nations, et personne ne peut dire en quoy elles consistent, ches un peuple etranger, à moins d‘estre entierement instruit de ses coutumes, et de ses moeurs.

216[127 | f. 216r] Il en est des idées qu‘on attache à ces mots comme de celles que l‘on exprime par ceux de decence, et de convenance, et il est impossible de les entendre, si on ne connoit la qualité, l‘etat, et le caractere des personnes à qui on les applique.

217Une ville va toute ensemble à l‘eglise, et prie en commun, mais lors que les habitans demandent ensemble, leur pain quotidien dans le Pater [88] de la messe, l‘evesque qui le recite, le gentilhomme, le bourgeois, le robin, entendent chacun par ces mots, des choses differentes.

[f. 216v] [blank page]

[1] Émilie Du Châtelet here takes an example that is certainly familiar to her. The Manufacture royale de draps d’Abbeville, known as the Manufacture des Rames, had been created in Abbeville by Josse Van Robais (1630-1685) in 1665, on the initiative and with the privilege of Colbert. At its peak in the eighteenth century, it employed more than 1800 workers in the establishment itself and more than 10000 home workers. Voltaire has recently mentioned Van Robais in his “Epître dédicatoire” to Zaïre, published in 1733, see OCV, vol. 8, p. 400.[2] John, 14:2. Émilie Du Châtelet quotes from memory. The vulgate reads “In domo patris mei mansiones multae sunt” (“In my father‘s house there are many mansions”).[3] A theme developed by Voltaire in the 22nd of the Lettres philosophiques, of which the English version appeared in 1733, and the French in 1734.[4] On 23 October 1734, Émilie Du Châtelet writes to Maupertuis: “je partage mon temps entre des maçons et Locke car je cherche le fond des choses comme un autre” (E29). No doubt she was then reading An essai concerning human understanding in the original English. The first edition had appeared in 1689, Voltaire had a copy of the “6th edition, with large additions”, London, A. and J. Churchill and S. Manship, 1710 (BV 2149). She had probably already read the translation by Pierre Coste (1668-1747), published in 1729: Essai philosophique concernant l’entendement humain, ou l’on montre quelle est l’etendue de nos connoissances certaines, et la maniere dont nous y parvenons. Par M. Locke. Traduit de l’anglois par M. Coste. Seconde édition, revûë, corrigée, & augmentée de quelques additions importantes de l’auteur qui n’ont paru qu’après sa mort, & de quelques remarques du traducteur, Amsterdam, Pierre Mortier, 1729. Voltaire’s library now contains only an edition of 1758 (BV 2150).[5] Voltaire, Le Temple du Goût, lines 87-89 (OCV, vol. 9, p. 126). The poem in its first version, of which theses lines form part, dates from 1733.[6] It is Voltaire who mentions Dictis de Crète in the prose passage following these lines, referring implicitly to Anne Dacier’s edition of Dictys Cretensis Ephemeris belli Troiani (1680). Dictys Cretensis was a legendary companion of Idomeneus during the Trojan War, and the purported author of a diary of its events.[7] Sethos, histoire ou vie tirée des monumens anecdotes de l’ancienne Égypte. Traduite d’un manuscrit grec, by the abbé Jean Terrasson (1670-1750) had appeared in 1731 (Paris, Jacques Guerin; BV 3263). An English translation by Thomas Lediard (1685-1743) came out the following year (London, J. Walthoe, 1732). Voltaire seems to have shared Émilie Du Châtelet’s opinion of this work. In October 1731 he wrote to Jean-Baptiste-Nicolas Formont: “le Sethos de l’abbé Terrasson prouve que des géomètres peuvent écrire de très méchants livres” (D435).[8] This quotation comes from a poem by the Irish poet Wentworth Dillon, 4th Earl of Roscommon (1633-1685), An essay on translated verse, lines 53-54. It should read: “The weighty bullion of one Sterling line / Drawn to a French wire would through whole pages shine”. It seems likely that Émilie Du Châtelet had read the poem in The Works of the Earls of Rochester, Roscomon, and Dorset: the Dukes of Devonshire, Buckinghamshire, &c. With memoirs of their lives, etc. (London, 1731), a work recorded in Havens & Torrey, Ferney catalogue, p. 224, no 2744, but no longer present in the library at Saint Petersburg. Voltaire refers to Roscommon in the Lettres philosophiques, letters XXI and XXII, see ed. Olivier Ferret and Antony McKenna, Paris, Classiques Garnier, 2010, p. 152.[9] See Dictionnaire de l’Académie française, ed. 1762, art. “Loin”: “On dit proverbialement, A beau mentir qui vient de loin, pour dire, qu’un homme qui revient d’un pays fort éloigné, peut débiter tout ce qu’il veut, sans craindre qu’on puisse le convaincre de fausseté”[10] For an earlier and longer version of this paragraph, see the draft “Préface du traducteur”, annexe 2.[11] Allusion to the theories of Charles-Irénée Castel de Saint-Pierre (1658-1743) and in particular to his Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe (1712) and his Polysynodie (1718), a work the publication of which provoked his expulsion from the Académie française of which he had been a member since 1695.[12] Bernard Mandeville, who was born on 20 November 1670 at Rotterdam, was in fact the great grandson of a Huguenot who had emigrated to the Netherlands around 1595.[13] See below, chapter 8, “Que les mechants sont encor utilles à la societé”, paragraph 166, corresponding to Mandeville, p. 83: “If an ill-natur’d Miser [...] should be Robb’d of Five Hundred or a Thousand Guineas, it is certain that as soon as this Money should come to Circulate, the Nation would be the better for the Robbery, and receive the same and as real a Benefit from it, as if an Archbishop had left the same Sum to the Publick”.[14] See below, chapter 1, “De l’origine des vertus morales”, paragraph 79, corresponding to Mandeville, p. 42: “There is no Merit in saving an Innocent Babe ready to drop into the Fire : The Action is neither good nor bad, and what Benefit soever the Infant received, we only obliged our selves; for to have seen it fall, and not strove to hinder it, would have caused a Pain, which Self-preservation compell’d us to prevent”.[15] See Émilie Du Châtelet’s commentaries to the above passages, below, paragraphs 166, note 4 and 79, note 2.[16] We remind the reader that certain passages marked with running quotes in our base text are not additions by Émilie Du Châtelet but are her translations of Mandeville‘s text; see below, paragraphs 156, 174 and 209.[17] Horace, Odes 3.1.1: “Odi profanum vulgus et arceo” ("I hate the common rabble and keep it at a distance"). Quoted by Voltaire in a letter to Cideville of 24 July [1734] (D772).[18] The following three paragraphs are a translation of “The Introducion” (p. 25-26) to “An enquiry into the origin of moral virtue”, which constitutes our chapter 1, below.[19] The text of the variant has been replaced by the “Avertissement du traducteur”.[20] The remarks of Émilie Du Châtelet regarding the origin of moral virtue which accompany this first chapter are very close to chapters 8 and 9 of the final version of the Traité de métaphysique. In the notes below we highlight these similarities. See Traité de métaphysique, chap. 8, “De l’homme consideré comme un être sociable”: “Il suffit pour que l‘univers soit ce qu‘il est aujourdhui, qu‘un homme ait eté amoureux d‘une femme, le soin mutuel qu‘ils auront eu l‘un de l‘autre, et leur amour naturel pour leurs enfants aura bientôt éveillé leur industrie et donné naissance au commencement grossier des arts. Deux familles auront eu besoin l‘une de l‘autre sitôt qu‘elles auront été formées, et de ces besoins seront nées de nouvelles commodités.” (OCV, vol. 14, p. 468-469).[21] Lucretius, De rerum natura, I, 22, “Without you nothing comes forth into the realm of light.” In his Mémoires Voltaire states that Émilie Du Châtelet‘s father “lui avait fait apprendre le latin qu’elle possédait comme Mme Dacier” adding that she “savait par cœur les plus beaux morceaux d’Horace, de Virgile et de Lucrèce” (Mémoires pour servir à la vie de monsieur de Voltaire, écrits par lui-même, OCV, vol. 45C, p. 312).[22] See Traité de métaphysique, chap. 8: “L‘orgueil est surtout le principal instrument avec lequel on a bâti ce bel édifice de la société. À peine les besoins eurent rassemblé quelques hommes que les plus adroits d‘entre eux s‘aperçurent que tous ces hommes étaient nés avec un orgueil indomptable aussi bien qu‘avec un penchant invincible pour le bien-être.” (OCV, vol. 14, p. 470).[23] This passage of Manderville has been adapted as follows in the Traité de métaphysique, chap. 8: “On distingue donc de bonne heure les hommes en deux classes ; la première des hommes divins qui sacrifient leur amour-propre au bien public ; la seconde des misérables qui n‘aiment qu‘eux-mêmes” (OCV, vol. 14, p. 471). The order of Mandeville’s two classes of men has been inverted, which seems to have led to some confusion (see the variants).[24] See Proverbs 16:32: “He that is slow to anger is better than the mighty; and he that rules his spirit than he that takes a city.”[25] See Traité de métaphysique, chap. 8: “tout le monde voulut et veut être encore de la première classe, quoique tout le monde soit dans le fonds du cœur de la seconde, et les hommes les plus lâches et les plus abandonnés à leurs propres désirs crièrent plus haut que les autres qu‘il fallait tout immoler au bien public.” (OCV, vol. 14, p. 471).[26] See Traité de métaphysique, chap.9: “Mais tous ces peuples qui se conduisent si différemment, se réunissent tous en ce point qu‘ils appellent vertueux ce qui est conforme aux lois qu‘ils ont établies, et criminel ce qui leur est contraire.” (OCV, vol. 14, p. 474).[27] See Traité de métaphysique, chap. 9: “Pour qu‘une société subsistât il fallait des lois, comme il faut des règles à chaque jeu.” (OCV, vol. 14, p. 474).[28] “Reversi. s.m. Sorte de jeu des cartes, où celui qui fait le moins de points & le moins de mains, est celui qui gagne, & où le valet de cœur qu‘on nomme le Quinola, est la carte la plus intéressante.” (Dictionnaire de l’Académie, 1762).[29] See Traité de métaphysique, chap. 9: “La plupart des loix se contrarient si visiblement qu‘il importe assez peu par quelles lois un État se gouverne ; mais ce qui importe beaucoup c‘est que les lois une fois établies soient exécutées. Ainsi il n‘est d‘aucune conséquence qu‘il y ait telles ou telles règles pour les jeux de dés et de cartes ; mais on ne pourra jouer un seul moment si l‘on ne suit pas à la rigueur ces règles arbitraires dont on sera convenu.” (OCV, vol. 14, p. 475).[30] See Traité de métaphysique, chap. 9: “cependant il me paraît certain qu‘il y a des lois naturelles dont les hommes sont obligés de convenir par tout l‘univers malgré qu‘ils en aient” (OCV, vol. 14, p. 476).[31] See Traité de métaphysique, chap. 9: “mais vous n’en trouverez aucune dans laquelle il soit permis de manquer à sa parole” (OCV, vol. 14, p. 476-477).[32] See Traité de métaphysique, chap. 9: “Il est si vrai que le bien de la société est la seule mesure du bien et du mal moral” (OCV, vol. 14, p. 477).[33] See Traité de métaphysique, chap.8: “aussi la nature sage ne devrait pas nous donner plus d’amour pour les autres que pour nous-mêmes.” (OCV, vol. 14, p. 470).[34] See Traité de métaphysique, chap. 9: “et il [Dieu] a donné à l‘homme certains sentiments dont il ne peut jamais se défaire, et qui sont les liens éternels et les premières lois de la societé dans laquelle il a prévu que les hommes vivraient. La bienveillance pour notre espèce est née par exemple avec nous, et agit toujours en nous, à moins qu‘elle ne soit combattue par l‘amour-propre qui doit toujours l‘emporter sur elle. Ainsi un homme est toujours porté à assister un autre homme quand il ne lui en coûte rien.” (OCV, vol. 14, p. 476).[35] Sir Richard Steele (1672-1729), founder of The Tatler, co-founder of The Spectator and other periodicals. F. B. Kaye quotes his opening of The Tatler, no 87: “There is nothing which I contemplate with greater pleasure than the dignity of human nature”.[36] Émilie Du Châtelet has misunderstood Mandeville use of “Miss” and “Mama”: “When an aukward Girl, before she can either Speak or Go, begins after many Intreaties to make the first rude Essays of Curt’sying, the Nurse falls in an ecstacy of Praise; There’s a delicate Curt’sy! O fine Miss! There’s a pretty Lady! Mama! Miss can make a better Curt’sy than her Sister Molly! The same is echoes over by the Maids, whilst Mama almost hugs the Child to peaces” (p. 38-39).[37] Émilie Du Châtelet has retained the English term urchin, which the dictionaries describe as “a little unlucky boy”, translated as “une petite peste”.[38] Mandeville derived this citation from Bayle’s Dictionary, art. “Macedonia”, remark C. It ultimately comes from Plutarch’s Life of Alexander. Émilie Du Châtelet’s first version (see variant) follows Mandeville’s text more closely: “could you believe what Dangers I expose myself to” (p. 41).[39] See Traité de métaphysique, chap. 8: “L‘homme n‘est pas comme les autres animaux qui n‘ont que l‘instinct de l‘amour-propre et celui de l‘accouplement ; non seulement il a cet amour-propre nécessaire pour sa conservation, mais il a aussi pour son espèce une bienveillance naturelle qui ne se remarque point dans les bêtes” (OCV, vol. 14, p. 469).[40] See Traité de métaphysique, chap. 8: “Qu‘une chienne voie en passant un chien de la même mère déchiré en mille pièces et tout sanglant, elle en prendra un morceau sans concevoir la moindre pitié, et continuera son chemin” (OCV, vol. 14, p. 469).[41] See Traité de métaphysique, chap. 8: “Au contraire, que l‘homme le plus sauvage voie un joli enfant prêt d‘être dévoré par quelque animal, il sentira malgré lui une inquiétude, une anxiété que la pitié fait naître, et un désir d‘aller à son secours.” (OCV, vol. 14, p. 469).[42] See Traité de métaphysique, chap. 8: “Il est vrai que ce sentiment de pitié et de bienveillance est souvent étouffé par la fureur de l‘amour-propre” (OCV, vol. 14, p. 469-470).[43] The place de Grève (now place de l’Hôtel-de-Ville) was the site of executions in the period. See Louis-Sébastien Mercier: “On reproche à la populace de courir en foule à ces odieux spectacles: mais quand il y a une exécution remarquable, ou un criminel fameux, renommé, le beau monde y court comme la plus vile canaille.” (Tableau de Paris, chap. 280, “Place de Grève”, éd. Jean-Claude Bonnet, Paris, Mercure de France, 1994, vol. 1, p. 715).[44] César Vichard de Saint-Réal (1643-1692), Œuvres de M. l‘abbé de Saint-Réal, nouvelle édition revue et augmentée, La Haye, Aléxandre de Rogissart, 1726, vol. 3, part. II, Traités de philosophie et de morale et de politique, “Quelques réflexions sur le cœur de l‘homme”: “Le Peuple court en foule à l‘Exécution d‘un Criminel, auquel il n‘a aucune relation. Que peut-il souhaiter avec tant d‘Ardeur, que de voir périr un Malheureux? Quelle Haine! Tout le Monde va voir les Voltigeurs & les Danseurs de Corde: c‘est un Spectacle dont tout le plaisir consiste dans le Péril de ceux qui le donnent; on cherche, on attend, le Moment malheureux de ces Hommes dévoüez au Divertissement public. Tout le Monde, & les moins intéressés, ont une Joie secrette de la Disgrace d‘une Favori, ou de la Mort d‘une Grand; chacun regarde avec une Tristesse secrette l‘Elévation d‘un égal, & quelquefois d‘un Ami; personne n‘est tout-à-fait exempt de cette Envie naturelle & maligne: c‘est une Conséquence incompréhensible de l‘Amour déréglé de soi-même” (p. 34-35). We do not know which edition Émilie Du Châtelet used, she may also have found this reference in another work.[45] The French siege of the fortress of Philippsburg in the Rhine valley in 1734, during the War of the Polish Succession. This anecdote could originate with Voltaire who had made a short visit to the Philippsburg camp in July 1734 (see E21). However, Émilie Du Châtelet knew many officers who had been present at the siege, for exemple her husband Florent-Claude Du Châtelet, the duc de Richelieu and the comte de Forcalquier.[46] A latin proverb, often quoted.[47] This chapter corresponds to Remark A in Mandeville, p. 45-49. The titles of the chapters are Émilie Du Châtelet’s own. In the original the Remarks are called by the lines of the poem The Grumbling hive on which they comment.[48] See Plutarch’s Life of Solon.[49] Il s‘agit évidemment de Voltaire. The “Lettre de M. de Voltaire sur l‘ouvrage de M. du Tot et sur celui de M. Melon”, inserted in Le Pour et contre, vol. 15, no 222, 1738, p. 296-312, becoming in editions of his works “Sur messieurs Jean Law, Melon, et Dutot. Sur le commerce et sur le luxe”, see OCV, vol. 18A, p. 217-257, here p. 241: “Je pense qu‘il n‘y a point de ville moins barbare que Paris, et pourtant où il y ait plus de mendiants. C‘est la vermine qui s‘attache à la richesse.”[50] Chapter corresponding to Remark B in Mandeville, p. 49-52.[51] This merchant is called Decio in Mandeville. Why this change?[52] Chapter corresponding to Remark C in Mandeville, p. 52-74.[53] Mandeville writes: “Lust, Pride, and Selfishness”, and adds: “therefore the Word Modesty has three different Acceptations” (p. 59).[54] Émilie Du Châtelet has chosen not to translate the lines of verse given here by Mandeville: “How firm her pouting Breasts, that white as Snow, / On th’ample Chest at mighty distance grow” (p. 60).[55] The following paragraphs have been reorganised in a second mouvement. The initial order was: 115, 117, 116, 118, 125, 126, 119, 120, 121, 122, which correspond to the order of Manderville’s original text.[56] Ovid, Amores, I, v, lines 7-8 (“It was such a light as shrinking maids should have whose timid modesty hopes to hide away”).[57] Read: “les punctilio des traités publics” (the minute details of public treaties), a specialized term.[58] Chapter corresponding to Remark D in Mandeville (p. 74-75).[59] Chapter corresponding to Remark E in Mandeville (p. 76-80).[60] Part of this commentary, indicated by running quotation marks, is in fact translated from Mandeville: “When the Passions shew themselves in their full Strength, they are known by every body […] But the gentle atrokes, the slight touches of the Passions are generally overlook’d or mistaken.” (p. 77).[61] See Jacques Lagniet, Recueil des plus illustres proverbes, Paris, 1663, book I, plate 1; see also Molière, George Dandin, act II, scene 8.[62] This paragraph, placed within running quotation marks in our base text to indicate that it constitutes a commentary by Émilie Du Châtelet, is in fact a translation of the last passage in Mandevilles’s Remark G: “And even here I know il will be objected by many, that tho’ they have been guilty of concealing their Gains, yet they never observ’d those Passions which I alledge as the Causes of that Frailty; which is no wonder, because few Men will give themselves leisure, and fewer yet take the right Method of examining themselves as they should do. It is with the Passions in Men as it is with Colours in Cloth: It is easy to know a Red, a Green, a Blue, a Yellow, a Black, &c. in as many different Pieces; but it must be un Artist that can unravel all the various Colours and their Proportions, that make up the Compound of a well-mix’d Cloth. In the same manner may the Passions be discover’d by every body whilst they are distinct, and a single one employs the whole Man: but it is very difficult to trace every Motive of those Actions that are the Result of a mixture of Passions.” (p. 79-80).[63] Chapter corresponding to Remark F in Mandeville (p. 80-81).[64] Chapter corresponding to Remark G in Mandeville (p. 82-93).[65] That is, gin.[66] A reference to the sorceresse Circé who transformed Ulysses‘s companions into swine (Homer, Odyssey, X). The example comes from Mandeville.[67] This paragraph is wrongly placed within quotation marks in our base text, indicating it constitutes a commentary by Émilie Du Châtelet, while it is in fact a translation of a passage in Mandeville’s Remark G: “The short-sighted Vulgar in the Chain of Causes seldom can see further than one Link; but those who can enlarge their View, and will give themselves the Leisure of gazing on the Prospect of concatenated Events, may, in a hundred Places, see Good sprin up and pulsate from Evil, as naturally as Chickens do from Eggs.” (p. 89).[68] “The smell of profit is sweet whatever its source.” Juvenal, Satires, XIV, 204-205: “Lucri bonus est odor ex re qualibet.” The quotation comes from Mandeville.[69] Chapter corresponding to Remark H in Mandeville (p. 93-99). The term “musicos”, referring to licensed brothels as discussed in this Remark by Mandeville, is introduced by Émilie Du Châtelet. The term appears in the Dictionnaire de l’Académie française only in 1798: “On appelle ainsi des lieux dans les Pays-Bas, et surtout en Hollande, où le bas peuple, les matelots vont boire, fumer et entendre de la musique, se réjouir avec des femmes débauchées.”[70] Reference to the revocation of the Edict of Nantes in 1685.[71] The schout was a local official appointed to carry out administrative, law enforcement and prosecutorial tasks. The term is used by Mandeville.[72] “But soon he repairs the shattered ship, incapable of learning to endure poverty” (Horace, Odes, 1.1. 17-18).[73] Mandeville gives “About Two Hundred and Fifty Years ago”, following Alexandre-Toussaint de Limojon de Saint-Didier (c. 1630-1689), La Ville et la République de Venise, 3rd ed., Amsterdam, Daniel Elsevier, 1680, p. 331 (“Il y a deux cent cinquante quatre ans”).[74] Limojon de Saint-Didier quotes Giovanni Niccoló Doglioni (1548-1629), a prolific historian of Venice, in similar terms. In fact, Mandeville has picked up these references from Bayle’s Miscellaneous reflections, occasioned by the comet, London, 1708, vol. 2, p. 335; see Kaye, p. 99.[75] Mandeville continues to follow the text of Bayle closely. Émilie Du Châtelet choses however to give her version a more anticlerical tone: “‘Tis generally believ’d, says Monsieur Bayle, (to whom I owe the last Paragraph) that Avarice was the Cause of this shameful Indulgence; but it is more probable their design was to prevent their tempting modest Women, and to quiet the uneasiness of Husbands, whose Resentments the Clergy do well to avoid.” (p. 99).[76] The “quelquefois” added by Émilie Du Châtelet has no correspondence in Mandeville.[77] Chapter corresponding to Remark I in Mandeville (p. 100-103).[78] If the story of Floris and Cornario does appear in this Remark in Mandeville, p. 101-102, the first lines up to “dont il fait usage” have been extracted from Remark K, p. 105.[79] Sallust, De coniuratione Catilinae, V, 4.[80] Chapter corresponding to Remark K in Mandeville (p. 103-108).[81] Mandeville said this about the French not the Italians: “as the French call the Monks the Partridges of the Women, be styled the Woodcocks of Society” (p. 104).[82] “Si licet exemplis in parvo grandibus uti” (“For small, might great examples be portrayed”), Ovid, Tristia, I, 3, 25.[83] This passage, is wrongly placed within running quotation marks in our base-text, indicating it constitutes a commentary by Émilie Du Châtelet, while it’s in fact a translation of Mandeville‘s last lines in Remark K: “But I will not tire my Reader by pursuing too far a ludicrous Comparison, when I have other Matters to entertain him with of greater Importance; and to sum up what I have said in this and the foregoing Remark, shall only add, that I look upon Avarice and Prodigality in the Society as I do upon two contrary Poysons in Physick, of which it is certain that the noxious qualities being by mutual mischief corrected in both, they may assist each other, and often make a good Medicine between them.” (p. 107-108).[84] Chapter corresponding to the beginning of the long Remark L in Mandeville (p. 108-109 out of p. 108-125).[85] The example of Henri II and his silk stockings is often cited, see for example Jean-François Melon’s Essai politique sur le commerce (1734), p. 231, which we know Emilie had read (see D1436). He also mentions “les souliers à la pouline” (p. 144), but not John Chrysostom. Voltaire had in his library the 1736 edition (BV 2386).[86] Has Émilie Du Châtelet read la Relation du voyage d’Espagne by Marie-Catherine Le Jumel de Barbeville, baronne d’Aulnoy (Paris, 1691), where one reads in letter X: “il y a beaucoup de fenestres sans vîtres ; & lorsque l’on veut parler d’une maison où il ne manque rien, l’on dit en un mot, elle est vitrée˚ (vol. 3, p. 5). The work is present in Voltaire’s library (BV 223).[87] See John Chrysostom, Homelies, XLIX, 5.[88] The Pater noster.

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