De la liberté

Electronic edition provided by the Center for the History of Women Philosophers and Scientists, University of Paderborn, in cooperation with the National Library of Russia, Saint Petersburg, and the Centre international d’étude du XVIIIe siècle, Ferney-Voltaire.

Transcription, encoding, annotations by Andrew Brown, Ulla Kölving, Stefanie Ertz.

Presentation

Writing to Frederick II in a letter apparently sent after 24 October 1737 [A] Voltaire enclosed “un extrait d'un chapitre sur la liberté”. This text is generally considered to have formed part of a later revision of the Traité de métaphysique, the seventh chapter of the only known complete version of which is entitled “Si l'homme est libre”. Parallels between the two works are cited in the notes below. [B] Linda Gardiner has made a convincing case for associating this text with the Institutions de physique and for identifying this chapter 5 with chapter 5 of the earliest known draft of the Institutions. [C] These two identifications are by no means incompatible, the two major publications of the Cirey period, the Éléments de la philosophie de Newton and the Institutions de physique were built with elements from earlier projects.

The letter to Frederick and the accompanying text were first published in 1789 in the Kehl edition of Voltaire's works and Sur la liberté has appeared under his name since then.

In his letter to Frederick, Voltaire presented himself as the author of the text, a claim contradicted by his note on the last page of the Saint Petersburg manuscript (MS1) attributing it categorically to Émilie Du Châtelet. The corrections and additions to this manuscript are indeed in her hand, and in her hand alone.

What can be concluded from these conflicting indications? That the text was composed by Voltaire and revised by Émilie Du Châtelet? or composed by them both? or only by Émilie Du Châtelet? The question is likely to remain open and it could well be that their joint endeavours during the early years of their partnership were attributed to Voltaire by mutual consent, for reasons of bienséance. It should also be noted that this text, and the Traité de métaphysique itself, were never published by Voltaire.

Manuscripts

MS1: Scribal copy with additions and corrections by Émilie Du Châtelet. National Library of Russia, Saint Petersburg, Voltaire Library, 5-240, vol. 9, f. 126-132.

Seven leaves, 20.3 x 31.6 cm, paginated 61 to 74, including sections numbered 84 to 87 and headed “Chapitre 5. De la liberte”. The hand of the scribe is to be found in several manuscripts of works by Émilie Du Châtelet and Voltaire. The last page bears the note, in Voltaire's hand: “sur la liberté par me du chastelet”.

MS2: Copy made by or for François Du Raget de Champbonin, son of Mme de Champbonin, familiar of Voltaire and Émilie Du Châtelet at Cirey. Bibliothèque Carnegie, Reims, ms 2379, p. 100-114.

This copy, close to the Kehl text, and made in or around 1790, has not been taken into account in this edition.

Editions

Kehl: Œuvres complètes de Voltaire, [Kehl], Société littéraire-typographique, vol. 64, 1784 [1789], p. 145-160.

Before being sent to Saint Petersburg, Voltaire's manuscripts were in the hands of Panckoucke in Paris and were copied there, in whole or in part, by Wagnière and others. It is possible that the Kehl editions of the letter and the text were based on copies, now lost, made under these circumstances.

Ira O. Wade, Studies on Voltaire with some unpublished papers of Mme Du Châtelet, Princeton, Princeton University Press, 1947, p. 209-241.

Voltaire, “Appendix I. Sur la liberté”, Traité de métaphysique, ed. W. H. Barber, OCV, vol. 14, 1989, p. 483-502.

References

Barber Voltaire, “Appendix I. Sur la liberté”, Traité de métaphysique, ed. W. H. Barber, OCV, vol. 14, 1989, p. 483-502.

D Voltaire, Correspondence and related documents, OCV, vol. 85-135, 1968-1977.

Discours en vers Voltaire, Discours en vers sur l’homme, ed. Haydn T. Mason, OCV, vol. 17, p. 389-535.

Gardiner Linda Gardiner Janik, “Searching for the metaphysics of science: the structure and composition of madame Du Châtelet's Institutions de physique, 1737-1740”, Studies on Voltaire 201, 1982, p. 85-113.

Kehl Œuvres complètes de Voltaire, [Kehl], Société littéraire-typographique, vol. 64, 1784 [1789], p. 145-160.

Locke John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain, Amsterdam, Henri Schelte, 1723.

Principes Isaac Newton, Émilie Du Châtelet, Principes mathématiques de la philosophie naturelle. La traduction française des Philosophiae naturalis principia mathematica, édition critique du manuscrit par Michel Toulmonde, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2015, 2 vol.

Principia Isaac Newton, Philosophiae naturalis principia mathématica, 3rd ed., Londini, 1726.

Traité Voltaire, Traité de métaphysique, ed. W. H. Barber, OCV, vol. 14, p. 357-503.

Wade 1947 Ira O. Wade, Studies on Voltaire with some unpublished papers of Mme Du Châtelet, Princeton, Princeton University Press, 1947.

[A] D1376. Frederick replied at length to this letter and another on 25 December (D1413), citing the title of the document, Sur la liberté. He stated that he was replying to the two letters in order and started with that dated 24 October. D1376, known only from a secondary copy and the Kehl edition, is dated by Besterman “c. 15 October 1737”, “after 24 October 1737” is no doubt to be preferred.[B] See also the edition of the Traité de métaphysique prepared by W. H. Barber, OCV, vol. 14, p. 386-387, 406-410, 483-502.[C] See Gardiner, particularly p. 88.

* * * * *

1 [61 | f. 126r] MS1: Chapitre 5 [...] toute la morale. [corr. sup. EDC]; K: absentChapitre 5
Kehl: Sur la libertéDe la liberté

2MS1: [at the head of the page, EDC has deleted the last four lines of § 83 together with a note in the right-hand margin and also the first six lines of § 84 and a marginal heading in the left-hand margin:] <liberté; et l'on voit aisément que les philosophes qui pretendent que la quantité de mouvement est invariable dans l'univers, nient à l'homme cette faculté soi-mouvante.> [<Note 1. Je n'examine point ici si l'opinion qui veut que la de la conservation d'une egale quantité de force reste la meme dans l'univers est aussi contraire à la liberté que celle d'une egale quantité de mouvement. Voyés sur cela ch. 5.>] ¶Il est certain que la question de notre liberté (si c'en est une) nous interesse infiniment plus que toutes celles que l'on peut faire sur la nature du mouvement, et sur sa conservation, puisque de cette seule question depend toute la morale. [marginal heading: <Si dieu a reellement donné à l'homme le pouvoir soi-mouvant.>]§ 84. La question de la liberté est la plus MS1: <importante> interessante [corr. EDC]interessante que nous puissions examiner, puis que l'on peut dire que de cette seule question depend toute la morale.

3Un aussi grand interest merite bien que je m'eloigne un peu de mon sujet pour MS1: <entrer> entrer [repetition]entrer dans cette discussion, et pour mettre ici sous les yeux du lecteur les principales objections que l'on fait contre la liberté afin qu'il puisse juger lui-même de MS1: leurs [corr. eds.] leur solidité.

4Je sçai que la liberté a d'illustres adversaires, je sçai que l'on fait contr'elle des raisonnemens qui peuvent d'abord séduire, mais ce sont MS1: <même> ces [del. EDC] ces raisons même qui m'engagent à les raporter, et à les refuter.

5On a tant obscurci cette matiere, qu'il est absolument indispensable de commencer par définir ce que l'on entend par liberté quand on veut en parler, et MS1: <je> se [corr. EDC] se faire entendre. [1]

Definition de la liberté.

6§ 85. J'apelle liberté le pouvoir de penser à une chose, ou de n'y pas penser, de se mouvoir, ou de MS1: <ne pas se mouvoir> ne se mouvoir pas [corr. sup. EDC] ne se mouvoir pas conformément au choix de son propre esprit. [2]

7§ 86. Toutes les objections de ceux qui nient la liberté se reduisent à quatre principales que MS1: <j'examinerai> je vais examiner [corr. sup. EDC] je vais examiner l'une apres l'autre.

1ere. objection des fatalistes contre la liberté.

8Leur premiere objection tend à MS1: <roule sur le> tend à <détruire> infirmer le témoignage de notre conscience et du [corr. sup. EDC] infirmer le témoignage de notre conscience et du sentiment interieur que nous avons de notre liberté; ils pretendent que ce n'est que faute d'attention sur ce qui se passe en nous MS1: même [add. sup. EDC] même que [62 | f. 126v] nous croyons avoir ce sentiment Kehl: intime de libertéintime, [3] et que lorsque nous MS1: faisons <au contraire> [del. EDC] faisons une attention reflechie sur les causes de nos actions, nous trouvons MS1: au contraire [add. sup. EDC] au contraire qu'elles sont toûjours determinées MS1: <L'esclavage où nous sommes de nos passions> [marginal heading top right of page del. EDC]necessairement.

9De-plus nous ne pouvons MS1: douter <disent ils> [add. then del. EDC] douter qu'il n'y ait des mouvemens dans notre corps qui ne dépendent point de notre volonté, comme la circulation du sang, le battement du coeur &c. Souvent aussi la colere, ou quelque autre MS1: <mouvement violent> passion violente [corr. sup. EDC] passion violente nous emporte MS1: loin de nous [add. sup. with marker EDC] loin de nous, et nous fait faire des actions que notre raison desaprouve. Tant de chaines visibles dont nous sommes accablés prouvent selon eux que nous sommes liés de-même dans tout le reste.

10L'homme, disent ils, est tantôt emporté avec une rapidité et des secousses dont il sent l'agitation et la violence; tantôt il est mené par un mouvement paisible dont il ne s'aperçoit pas, mais dont il n'est pas Kehl: plus maîtreplus le maître. C'est un esclave qui MS1: <ne s'aperçoit pas toûjours du poids et de la fletrissure> ne sent pas [...] la fletrissure [corr. sup. EDC] ne sent pas toujours le poids et la fletrissure de ses fers, mais qui n'en est pas moins MS1: <toujours> esclave [del. EDC] esclave. [4]

Reponse.

11Ce raisonnement est tout semblable à celui cy: Les hommes sont quelque fois malades, donc ils n'ont jamais de santé. Or qui ne Kehl: voit pas, au contraire, que sentirvoit au-contraire que de sentir sa maladie et son esclavage Kehl: c'estest une preuve MS1: <qu'il> qu'on [corr. sup. EDC] qu'on a eté sain, et libre.

12Dans l'ivresse, dans l'emportement d'une passion violente, dans un dérangement d'organes &c. notre Kehl: libertévolonté n'est plus obeïe par nos sens, et nous Kehl: nous ne le serionsne sommes pas plus libres alors d'user de notre liberté, que nous le serions de mouvoir un bras sur lequel nous aurions une paralisie. [5]

13La liberté MS1: <de> dans [corr. sup. EDC] dans l'homme est la santé de MS1: <l'ame> l'ame [repetition] l'ame. [6]Peu de gens ont cette santé entiere et inalterable, notre liberté est foible et bornée comme toutes nos autres facultés, nous la fortifions en nous accoutumant à faire des reflexions, et à maitriser [63 | f. 127r] nos passions, et cet exercice de l'ame la rend un peu plus vigoureuse, mais quelques efforts que nous fassions, nous ne pourons jamais parvenir à rendre Kehl: cettenotre raison souveraine de tous nos désirs, et il y aura toûjours dans notre ame comme dans notre corps des mouvemens involontaires, car nous ne sommes ny sages, ny libres, ny sains, MS1: &c [add. sup. EDC]; K: & absent &c que dans un tres petit degré.

14Je sçai que l'on peut à toute force abuser de sa raison pour contester la liberté aux animaux, et les concevoir comme des machines qui n'ont ny sensations[,] ny désirs, ny Kehl: volontésvolonté, MS1: <quoiqu'elles> quoiqu'ils [corr. EDC] quoiqu'ils en aïent toutes les apparences; je sçai qu'on peut forger des sistêmes, c'est à-dire des erreurs, pour expliquer leur nature, mais enfin quand il faut s'interroger soi-même, il faut bien avoüer, si l'on est de bonne foi, que nous avons une volonté, que nous avons le pouvoir d'agir, de remuer notre corps, d'apliquer notre esprit à certaines pensées, de suspendre nos desirs &c. [7]

15Il faut donc que les ennemis de la liberté avoûënt que MS1: <nous avons le sentiment interieur de notre liberté> notre sentiment [...] sommes libres [corr. and add. with marker EDC] notre sentiment interieur nous assure que nous sommes libres; et je ne crains point d'assurer qu'il n'y en a aucun qui doute de bonne foy de sa propre liberté, et dont la conscience ne s'eleve contre le sentiment artificiel par lequel ils veulent se persuader MS1: <que nous sommes> qu'ils sont [corr. sup. EDC] qu'ils sont necessités dans toutes MS1: <nos> leurs [corr. EDC] leurs actions. Aussi ne se contentent ils pas de nier MS1: <ce> <le> ce [corr. EDC] ce sentiment MS1: intime <que nous> [add. sup. then del. EDC] intime de liberté, mais ils vont encore plus loin.

162e. objection
MS1: <Le sentiment interieur que nous avons de notre liberté nous trompe> [marginal heading del. EDC] Quand on vous accorderoit, disent ils, que vous avés le sentiment interieur que vous estes libres, cela ne Kehl: prouveprouveroit rien encore, car notre MS1: sentiment <interieur> [del. EDC] sentiment nous trompe sur notre liberté, de même que nos yeux nous trompent sur la grandeur du soleil lorsqu'ils Kehl: nousvous font juger que MS1: <son disque> le disque de cet astre [corr. sup. EDC] le disque de cet astre est environ large de deux pieds, quoique son diametre soit [64 | f. 127v] reellement à celui de la Kehl: terre commeterre environ comme 100. est à 1.

17Voici MS1: <ce que je crois qu'on> je crois ce qu'on [corr. sup. EDC] je crois ce qu'on peux répondre à cette objection.

Reponse.

18Les deux cas que vous comparés sont fort differens; je ne puis et ne dois voir les objets qu'en raison directe de leur grosseur, et en raison renversée du quarré de leur eloignement, telles sont les loix mathematiques de l'optique, et telle est la nature de MS1: <nos> mes [corr. EDC]; K: nos mes organes, que si ma vûë pouvoit apercevoir la grandeur reelle du soleil, je ne pourrois voir aucun objet sur terre, et cette vûë loin de m'etre utile me seroit nuisible, il en est de-même des sens de l'oüie et de l'odorat; je n'ay et ne puis avoir ces sensations plus ou moins fortes (toutes choses d'ailleurs egales) que suivant que les corps sonores ou odoriferans sont plus ou moins pres de moi; ainsi dieu ne m'a point trompé en me faisant voir ce qui est eloigné de moi d'une grandeur proportionnée à sa distance; mais si je croyois etre libre, et que je ne le fus point, il faudroit que dieu m'eut creé expres pour me tromper, car nos actions nous paroissent libres précisément de la même maniere qu'elles nous le paroitroient si nous l'etions veritablement; MS1: [note call and note add EDC] (note 2) [8] (note 2)
La reponse à cette seconde objection est presque la meme que MS1: celle <à la> <du chapitre predecent> celle du 3e [...] des corps [corr. sup. EDC] celle du 3e argument contre l’existence des corps[,] mais cela ne peut etre autrement[,] puisque les personnes qui nient la liberte font contr'elle MS1: <à peu pres les memes> une partie des [corr. sup. EDC] une partie des objections que ceux qui nient l'existence des corps font contre cette existence[.]
il ne reste donc à ceux qui soutiennent la negative qu'une simple possibilité que nous soyons faits de maniere que nous soyons toûjours invinciblement trompés sur notre liberté; encore cette possibilité n'est elle fondée que sur une absurdité, puisqu'il ne resulteroit de cette illusion perpetuelle que dieu nous feroit qu'une façon d'agir dans l'etre supreme indigne de MS1: <la> sa [corr. EDC] sa sagesse infinie[.]

19Et qu'on ne dise pas qu'il est indigne d'un philosophe de recourir ici à dieu, car ce dieu etant une fois Kehl: prouvé, comme il l'est invinciblement, ilprouvé, il est certain qu'il est l'auteur de ma liberté, si je suis libre, et qu'il est l'auteur de mon erreur, si ayant fait de moi un être purement passif, il m'a donné le [65 | f. 128r] sentiment irresistible d'une liberté qu'il m'a refusée. [9]

20Ce sentiment interieur que nous avons de notre liberté est si fort, qu'il ne faudroit pas moins pour nous en faire douter qu'une démonstration qui nous prouvast qu'il implique contradiction que nous soyons libres, or certainement il n'y a point de MS1: telle<s> demonstration<s> [corr. EDC]; K: telles démonstrations telle demonstration.

21Joignés à toutes ces raisons, MS1: <que les fatalistes sont> qui détruisent [...] sont [corr. sup. EDC] qui détruisent les objections des fatalistes, qu’ils sont Kehl: obligés eux-mêmeseux-mêmes obligés de démentir à tout moment leur opinion par leur conduite, car on aura beau faire les raisonnemens les plus specieux contre notre liberté, MS1: <nous conduirons> nous nous conduirons [add. EDC] nous nous conduirons toújours comme si nous etions libres, tant le sentiment interieur de notre liberté est profondément gravé dans notre ame, et tant il a malgré nos prejugés d'influence sur nos actions.

22MS1: <notre entendement choisit toûjours ce qui lui paroit le meilleur, et ce choix de notre entendement determine necessairement notre volonte.> [marginal note del. EDC] Forcés dans ce retranchement, les personnes qui nient la liberté continûënt, et disent: tout ce dont ce sentiment MS1: interieur <vous assure> [del. EDC] interieur, dont vous faites tant de bruit, MS1: vous assure [add. sup. EDC] vous assure, c'est que les mouvemens de Kehl: notre corps [...] notre esprit [...] notre volonté [...] notre entendementvotre corps, et les pensées de votre esprit obeïssent à votre volonté, mais cette volonté elle même est toûjours determinée necessairement par les choses que votre entendement juge etre MS1: <les meilleures> les meilleures [corr sup. EDC, repetition]; K: le meilleur les meilleures de même qu'une balance est toûjours emportée par le plus grand poids. [10] Voici la façon dont les chainons de notre chaine tiennent les uns aux autres.

23 Les idées, tant de MS1: sensation<s> [...] reflexion<s> [corr. EDC] sensation que de reflexion, se presentent à vous soit que vous le vouliés, ou que vous ne le vouliés pas, car vous ne formés pas vos idées vous MS1: même, <personne ne l'a jamais pretendu> [del. EDC] même, or quand deux idées se presentent à votre entendement, comme, par exemple, l'idée MS1: <du repos et de la promenade> de vous coucher <celle> et l'idée [corr. sup. EDC] de vous coucher et l'idée de vous promener, il faut absolument MS1: <ou> que [del. EDC]que vous vouliés MS1: <ou vous promener ou rester en repos> l'une de ces [...] ni l'autre [corr. sup. EDC] l'une de ces deux choses, ou que vous ne vouliés ni l'une ni l’autre vous n'estes donc pas libres quant à l'acte meme de MS1: vouloir <en plus il est certain que vous> <puisqu'il faut absolument que vous choisissiés une de ces deux choses> [add. then del. EDC] vouloir[.]

24MS1: De [with marker for new paragraph] De plus il est certain que si vous MS1: choisisiés vous vous [add. EDC] choisisiés vous vous [66 | f. 128v] deciderés surement pour MS1: <le repos ou pour le mouvement> votre lit ou pour la promenade [corr. sup. EDC] votre lit ou pour la promenade, selon que votre entendement jugera que l'une ou l'autre de ces deux choses vous est utile ou convenable; or votre entendement ne peut Kehl: jugers'empêcher de juger MS1: <bon, convenable &c> bon et convenable [corr. sup. EDC] bon et convenable Kehl: que cece qui lui paroit tel. Il y a toûjours des differences dans les choses, et MS1: <les> ces [corr. sup. EDC ] ces differences déterminent necessairement MS1: <son> votre [corr. sup. EDC] votre jugement; car il vous seroit impossible de choisir entre deux choses indiscernables, MS1: (s'il y en avoit) [add. sup. EDC] (s'il y en avoit) donc toutes vos actions sont necessaires, puisque par votre aveu meme, vous agissés toûjours conformément à votre volonté, et que je viens de vous prouver 1o. que votre volonté est necessairement determinée par le jugement de votre entendement. 2o. que ce jugement dépend de la nature de vos idées. MS1: et enfin [add. sup.] et enfin 3o. que vous idées ne dépendent point de vous.

25Comme cet argument dans lequel les ennemis de la liberté mettent leur principale force a plusieurs branches, il y a aussi plusieurs réponses.

26Reponse Premierement, quand on dit que nous ne sommes pas libres quant à l'acte même de vouloir, cela ne fait rien à notre liberté; car la liberté consiste à agir ou ne pas agir, MS1: et non pas à vouloir, ou à ne pas vouloir. [add. sup. EDC]; K: [...] à ne vouloir pas. et non pas à vouloir, ou à ne pas vouloir.

27[67 | f. 129r] MS1: <Troisiemement> Secondement [add. EDC; the order of the arguments has been changed, indicated by markers] Secondement, notre entendement, dit on, ne peut s'empêcher de juger bon ce qui lui paroit tel, l'entendement MS1: determine <donc> [corr. EDC] determine MS1: <sa> la [corr. EDC] la volonté &c. [11] Ce raisonnement n'est fondé que sur ce qu'on fait sans s'en apercevoir autant de petits êtres Kehl: de la volonté et de l'entendementde l'entendement et de la volonté, lesquels on supose agir l'un sur l'autre, et déterminer ensuite nos actions, mais c'est une méprise qui n'a besoin que d'etre aperçüë pour etre rectifiée, car on sent aisément que vouloir, juger &c. ne sont que differentes fonctions de notre entendement. [12] De plus, avoir des perceptions, et juger qu'une chose est vraye et raisonnable lorsqu'on voit qu'elle l'est effectivement, ce n'est point une action, mais une simple passion, MS1: <et> car [corr. sup. EDC] car ce n'est en effet que sentir ce que nous sentons, et voir ce que nous voyons; MS1: <or> et [corr. sup. EDC] et il n'y a aucune MS1: <raison> liaison [corr. sup. EDC] liaison entre l'aprobation et l'action, entre ce qui est passif, et ce qui est actif[.]

28[68 | f. 129v] MS1: <Quatriemement, la liberté> Troisiemement [...] entendement, mais [corr. sup. EDC] Troisiemement, Les differences des choses determinent dit on notre entendement, mais on ne considere pas que la liberté d'indifference avant le dictamen de l'entendement est une veritable contradiction dans les choses qui ont des differences reelles entr'elles, car selon cette belle définition de la liberté, les idiots, les imbecilles, les animaux même seroient plus libres que nous, et nous le serions d'autant plus que nous aurions moins d'idées, que nous apercevrions moins les differences des choses, c'est à-dire à-proportion que nous serions plus imbecilles, ce qui est absurde.

29Si c'est MS1: [add. sup. EDC]; K: c'est cette liberté la liberté qui nous manque, je ne vois pas que nous ayons beaucoup à nous plaindre. La liberté d'indifference dans les choses discernables n'est donc pas reellement une liberté.

30MS1: <Pour ce qui est> A l'egard [corr. sup. EDC] A l'egard du pouvoir de choisir entre des choses parfaitement semblables, comme nous n'en connoissons point, il est difficile Kehl: difficile de pouvoir direque nous puissions dire ce qui nous arriveroit alors, je ne sçai même si ce MS1: pouvoir [add. sup. EDC] pouvoir seroit une perfection, mais ce qui est de bien certain, c'est que le pouvoir MS1: <soit mouvant> soi-mouvant [corr. eds.]soi-mouvant, seule et veritable source de la liberté[,] ne Kehl: pourraitpouvoit etre detruit par l'indiscernabilité de deux objets, or tant que l'homme aura ce pouvoir soi-mouvant, MS1: <il> l'home [corr. sup. EDC] l'home sera libre.

31[66 | f. 128v] MS1: <Secondement> <Troisiemement> Quatriemement [corr. sup. EDC]Quatriemement, quant à ce que notre volonté est toûjours determinée par ce que notre entendement juge le meilleur, je répons: la volonté, c'est à dire la derniere perception ou aprobation de l'entendement (car c'est là le sens de ce mot dans l'objection dont il s'agit) la volonté, dis-je, ne peut avoir aucune influence sur le pouvoir soi mouvant en quoi consiste la liberté, ainsi la volonté n'est jamais la cause de nos actions, quoiqu'elle en soit l'occasion, car une notion abstraite ne peut avoir aucune influence phisique sur le pouvoir phisique MS1: <soit mouvant> soi-mouvant [corr. eds.]soi-mouvant qui reside dans l'homme, et ce pouvoir est exactement le même avant et apres le dernier jugement de l'entendement[.]

32Il est vrai qu'il y MS1: <a> auroit [corr. sup. EDC] auroit une contradiction dans les termes moralement parlant, MS1: à suposer [add. EDC]; K: parlant, qu'un être qu'on suppose sage à suposer qu'un être [67 | f. 129r] sage fasse une folie, et que par consequent il preferera sûrement ce que son entendement MS1: <juge> jugera [add. EDC] jugera etre le meilleur, mais il n'y MS1: <a> auroit [corr. sup. EDC] auroit à cela Kehl: aucunenulle contradiction phisique, car la necessité phisique et la necessité morale sont deux choses qu'il faut distinguer avec soin, la 1ere. est toûjours absolûë, mais la 2de. n'est MS1: jamais [add. sup. scribe]jamais que contingente, et Kehl: cette nécessité moraleelle est tres compatible avec la liberté naturelle et phisique la plus parfaite.

33MS1: <Ce> LeLe MS1: pouvoir <d'agir>pouvoir phisique d'agir est donc ce qui fait de l'homme un être libre, [13] quelque soit l'usage qu'il en MS1: <fait. ¶La> fait et la [corr. EDC] fait et la privation de ce pouvoir suffiroit seule pour le rendre un être purement passif malgré son intelligence, car une pierre que je jette n'en seroit pas moins un être passif, quoiqu'elle eut le sentiment interieur du mouvement que je lui imprime. [14]

34[68 | f. 129v] Enfin être determiné par ce qui nous paroit le meilleur, MS1: <cest> est [corr. EDC] est Kehl: omittedau-moins une aussi grande perfection que le pouvoir de faire ce que nous avons jugé MS1: tel [add. EDC] tel [.]

35Nous avons la faculté de suspendre nos desirs, et d'examiner ce qui nous semble le meilleur afin de pouvoir le choisir. Voila une partie de notre liberté. Le pouvoir d'agir ensuite conformément à notre choix, voila ce qui rend cette liberté pleine et entiere, et c'est en faisant un mauvais usage de MS1: <cette partie de notre liberté> ce pouvoir [...] nos désirs [corr. sup. with marker EDC] ce pouvoir que nous avons de suspendre nos desirs, et en se determinant MS1: trop promptement [add. EDC] trop promptement que l'on fait tant de fautes.

36[69 | f. 130r] Plus nos déterminations sont fondées sur de bonnes raisons, plus nous aprochons de la perfection, et c'est cette perfection dans un degré plus eminent qui caracterise la liberté MS1: <de Dieu, et> des êtres [corr. EDC] des êtres plus parfaits que nous et MS1: et celle de Dieu même [add. EDC] et celle de Dieu même[.]

37Car que l'on y prenne bien garde, MS1: dieu <même>dieu ne peut etre libre que de cette façon; [15] la necessité morale de faire toûjours le meilleur est même d'autant plus grande dans dieu que son être infiniment parfait est au-dessus du notre, la veritable et la seule liberté MS1: est donc le pouvoir [add. sup. scribe]est donc le pouvoir de faire ce Kehl: que l'onqu'on choisit de faire, et toutes les objections que l'on fait contre cette MS1: <liberté> espece de liberté [corr. d'erreur] espece de liberté détruisent egalement celle de dieu, et celle de l'homme; et par consequent s'il s'ensuivoit que l'homme ne fut pas libre, parce que sa volonté est toûjours determinée par les choses que son entendement juge etre les meilleures, il s'ensuivroit aussi que dieu ne seroit point libre, et que tout seroit effet sans cause dans l'univers, ce qui est Kehl: absurde. ¶Les personnes, s'il y en a, qui osent douter de la liberté de Dieu, se fondent sur ces arguments: Dieu étant infiniment sage, est forcé, par une nécessité de nature, à vouloir toujours le meilleur; donc toutes ses actions sont nécessaires. Il y a trois réponses à cet argument. 1o. Il faudrait commencer par établir ce que c'est que le meilleur par rapport à Dieu, et antécédemment à sa volonté; ce qui peut-être ne serait pas aisé. ¶Cet argument se réduit donc à dire, que Dieu est nécessité à faire ce qui lui semble le meilleur, c'est-à-dire à faire sa volonté: or je demande s'il y a une autre sorte de liberté; et si faire ce que l'on veut et ce que l'on juge le plus avantageux, ce qui plaît enfin, n'est pas précisément être libre? 2o. Cette nécessité de faire toujours le meilleur, ne peut jamais être qu'une nécessité morale: or une nécessité morale n'est pas une nécessité absolue. 3o. Enfin, quoiqu'il soit impossible à Dieu, d'une impossibilité morale, de déroger à ses attributs moraux, la nécessité de faire toujours le meilleur, qui en est une suite nécessaire, ne détruit pas plus sa liberté que la nécessité d'être présent par-tout, éternel, immense, &c.absurde. [16] MS1: (§ 15) n. 6.) [add. EDC] (§ 15) n. 6.)

38L'homme est donc par sa qualité d'etre intelligent dans la necessité de vouloir ce que son jugement Kehl: lui présente êtrelui represente comme MS1: <etre> le meilleur [del. EDC] le meilleur; [17] s'il en etoit autrement, il faudroit qu'il fut soumis à la détermination de quelque autre que lui-même, et il ne seroit plus libre, car vouloir ce qui ne feroit pas plaisir est une veritable contradiction, et faire ce Kehl: que l'onqu'on juge le meilleur, ce qui fait plaisir, c'est etre libre, [18] MS1: <et> à peine [del. EDC] à peine pourions nous concevoir un être plus libre qu'entant qu'il est capable de faire ce qu'il lui plait; MS1: et [add. EDC] et tant que l'homme a cette liberté, il est aussi libre qu'il est possible à la liberté de le rendre libre, pour me servir des termes de mr. Lock. [19]

39[70 | f. 130v] MS1: [marginal heading add. EDC] 4e. objection Enfin l'Achille des ennemis de la liberté est cet argument cy.

40MS1: <la prescience de Dieu> [marginal note del. EDC] Dieu est omniscient; Kehl: le présent, l'avenir, le passé sontle passé, le present, MS1: et [add. EDC] et l'avenir sont egalement presents à ses yeux. Or si dieu MS1: <fait> sait [add. EDC] sait tout ce que je dois faire, il faut absolument que je me détermine à agir de la façon dont il l'a prevû, donc nos actions ne sont pas libres, car si quelques unes des choses futures MS1: <ou contingentes etoient> etoient contingentes ou [corr. sup. EDC] etoient contingentes ou incertaines, si elles dépendoient de la liberté de l'homme, en un mot si elles pouvoient arriver MS1: <et> ou [corr. sup. EDC] ou n'arriver pas, dieu ne les pouroit pas prévoir, il ne seroit donc pas omniscient.

41Il y a Kehl: omittedencor plusieurs réponses à cet argument qui paroit d'abord invincible.

42Reponse 1o. MS1: <La> <Cette> La [corr. EDC] La prescience de dieu MS1: n'a <ne donne> [add. sup, then del. EDC] n’a aucune influence sur la maniere de l'existence des choses, MS1: <elle> cette prescience [corr. sup. EDC] cette prescience ne donne pas aux choses plus de certitude qu'elles n'en auroient s'il n'y avoit pas de prescience, et si l'on ne MS1: <prouvoit> prouve [corr. EDC]; K: trouve prouve pas MS1: par [add. sup.]; K: omittedpar d'autres raisons Kehl: omittedl'impossibilité de la liberté humaine, la seule consideration de la certitude de la prescience divine ne seroit pas capable de détruire cette liberté, car la prescience MS1: de dieu [add. sup. EDC] de dieu n'est pas la cause de l'existence des choses, mais elle est MS1: elle [add. sup. EDC] elle même fondée sur leur existence. Tout ce qui existe aujourdhui, MS1: <existe necessairement> ne peut pas ne point exister pendant qu'il existe [corr. sup. EDC] ne peut pas ne point exister pendant qu'il existe, et il etoit hier et de toute eternité aussi certainement vrai que MS1: <ce qui existe> les choses qui existent [corr. sup. EDC] les choses qui existent aujourdhui MS1: <devoit> devoient [corr. sup. EDC] devoient exister, qu'il est maintenant certain que ces choses existent.

432o. La simple prescience d'une action avant qu'elle soit faite ne differe en rien de la connoissance qu'on en a apres qu'elle est faite. Ainsi la prescience ne change rien MS1: <à la certitude d'evenement qui seroit tout aussi grande, quand bien même il n'y auroit point de prescience. La prescience toute seule n'a donc aucune influence sur l'existence des choses, et ne les rend point du tout necessaires> à la certitude d'evenement [corr. sup. EDC] à la certitude d'evenement, [71 | f. 131r] car suposés MS1: pour un moment [add. sup. EDC] pour un moment que l'homme MS1: <fut> soit [corr. sup. EDC] soit libre, et que ses actions ne MS1: <pussent> puissent [corr. sup. EDC] puissent etre prevûës, n'y MS1: <auroit il> aura t-il [corr. sup. EDC] aura t-il pas malgré cela la même certitude d'evenement dans la nature des choses, et malgré la liberté, n'y a-t-il pas eu hier et de toute eternité une aussi grande certitude MS1: <qu'>une telle action <se ferait> aujourdhui, qu'il y en a <qu'elle est> actuellement faite; ainsi [corr. sup. EDC]; K: [...] que je fais cette [...] que je ferois une telle action aujourdhui, qu'il y en a actuellement que j'ai fait cette action; ainsi quelque difficulté qu'il y Kehl: aiteut à concevoir la maniere dont la prescience de dieu s'accorde avec notre liberté, comme cette prescience ne renferme qu'une certitude d'evenement qui se trouveroit toûjours dans les choses quand même elles ne seroient pas prevûës, il est evident qu'elle ne renferme aucune necessité, et qu'elle ne détruit point la possibilité de la liberté.

44La prescience de dieu est précisément la même chose que sa connoissance, ainsi de même que sa connoissance n'inflûë en rien sur les choses qui sont actuellement, de-même sa prescience n'a aucune influence sur celles qui sont à venir, et si la liberté est possible d'ailleurs, le pouvoir qu'a dieu de juger infailliblement des evenements libres ne peut les faire devenir necessaires, MS1: <car il> puisqu'il [corr. sup. EDC] puisqu'il faudroit pour cela qu'une action put etre libre et necessaire en même tems.

45MS1: 3. [marker added before number of paragraph, in the margin a slip of paper with two markers, but no text] 3o. Il ne nous est pas possible à la verité de concevoir comment dieu peut prevoir les choses futures à-moins de suposer une chaine de causes MS1: [followed by a marker the text of which occurs on f. 131v EDC] necessaires. car de dire avec les scolastiques que tout est present à dieu non pas à la verité Kehl: omittednon dans sa propre mesure mais dans une autre mesure[,] in mensurâ propriâ Kehl: sedmais in mensurâ MS1: [translation add. below EDC] alienâ, ce seroit MS1: <qu'elle vouloit> meler [corr EDC] meler du comique à la question la plus importante que les hommes puissent agiter[.] MS1: <mais cela prouve seulement que nous ne comprenons pas les attributs de dieu, et non pas que la prescience est incompatible avec la liberté> Il vaut beaucoup [...] avec notre liberté [corr. sup. EDC, with markers] Il vaut beaucoup mieux avouer MS1: <?> que [corr. EDC] que les dificultés que nous trouvons à concilier la prescience de dieu MS1: <et> avec [corr. sup. EDC] avec notre liberté MS1: <vient> vienent <seulement> [corr. sup. EDC] vienent Kehl: viennent de notre ignorance sur lesde l'ignorance où nous sommes sur les attributs de dieu, et non pas de Kehl: l'impossibilitél'incompatibilité absoluë MS1: <qu'il peut y> qu'il y a [corr. sup. EDC] qu'il y a entre la Kehl: prescience à Dieu et notre liberté.prescience et la liberté. [20] Car l'accord de la prescience MS1: de dieu [add. sup. EDC]; K, omitted de dieu avec notre liberté n'est pas plus incomprehensible Kehl: pourpar nous que son ubiquité, sa durée infinie déja [72 | f. 131v] ecoulée, sa durée infinie à venir et tant de choses MS1: <que nous ne pouvons ny nier ny connoitre> qu'il nous sera [...] et de connoitre [add. in the margin EDC with marker, first version not deleted] qu'il nous sera toujours egalement impossible de nier et de connoitre. [21] Les attributs infinis de l'etre supreme sont des abysmes où nos foibles lumieres s'aneantissent. [22] Nous ne sçavons, et nous ne pouvons sçavoir quel raport il y a entre la prescience du createur et la liberté de la creature, et comme dit le grand Neuton ut caecus ideam non habet colorum, sic nos ideam non habemus modorum, quibus deus sapientissimus sentit, et intelligit omnia[,] MS1: ce qui [...] toutes choses [add. marg. scribe]ce qui veut dire en francais de meme que les aveugles n'ont aucune idée des couleurs[,] ainsi nous ne pouvons comprendre la facon dont l'etre infiniment sage voit et connoit toutes choses. [23]

464o. Mais je demanderai de plus à ceux qui sur la consideration de la prescience divine nient la liberté de l'homme, si dieu a pû creer des creatures libres, il faut bien qu'ils repondent qu'il l'a pû, car dieu peut tout, hors les MS1: <contradictions> contradictoires [corr. sup. EDC]; K: contradictionscontradictoires, et il n'y a que les attributs auxquels l'idée de l'existence necessaire Kehl: omittedet de l'independance absolûë est attachée dont la communication implique contradiction; or la liberté n'est certainement pas dans ce cas, car si cela etoit, il seroit impossible que nous nous crussions libres, comme il l'est que nous nous Kehl: croyionscroyons infinis, tout puissants &c. Il faut donc avoûër MS1: <ou> que que dieu a pû creer des Kehl: chosesêtres libres, ou dire qu'il n'est pas tout puissant, ce que Kehl: je crois, personnepersonne, je crois, ne dira. MS1: <Or> si donc [corr. EDC] Si donc dieu a pû creer des êtres libres, on peut suposer qu'il l'a MS1: <voulu> fait [corr. sup. EDC] fait, et si creer des êtres libres, et prévoir leurs déterminations etoit une contradiction, pourquoi dieu en creant des êtres libres n'auroit il pas pû ignorer l'usage qu'ils feroient de la liberté qu'il leur a donnée. Ce n'est pas limiter la puissance divine que de la borner aux seules MS1: <contradictions> contradictoires [corr. sup. EDC]; K: contradictioncontradictoires[,] MS1: or créer des créatures [...] en meme tems [add. in the margin with marker EDC] or créer des créatures libres, et Kehl: gêner de quelque façon que ce puisse êtrede quelque facon que ce puisse etre gener leurs determinations, c'est une contradiction dans les termes[,] car c'est creer des creatures libres et non libres en meme tems; ainsi il s'ensuit necessairement du pouvoir que dieu a de creer des êtres libres, [73 | f. 132r] que s'il a creé de tels êtres, MS1: <ou que> sa [del. EDC] sa prescience ne détruit point leur liberté, ou MS1: <qu'il> bien qu'il [corr. sup. EDC] bien qu'il ne prevoit pas leurs actions, et celui qui sur cette suposition nieroit la prescience de dieu, ne nieroit pas plus sa toute sçience que celui qui diroit que dieu ne peut pas faire ce qui implique contradiction, ne nieroit sa toute puissance.

47Mais nous ne sommes pas reduits à faire cette suposition, car il n'est pas necessaire que je comprenne la façon dont la Kehl: prescience divine et la liberté de l'hommeprescience et la liberté s'accordent pour admettre l'une et l'autre, il me suffit MS1: <de m'etre> d'etre [corr. sup. EDC] d'etre assuré que je suis libre, et que dieu prevoit tout ce qui doit arriver, car alors je suis obligé de conclure que son omnisçience et sa prescience ne genent point ma liberté, quoique je ne puisse Kehl: pointpas concevoir Kehl: commecomment cela se fait, de même que lorsque je me suis prouvé un dieu, je suis obligé d'admettre la creation ex nihilo quoiqu'il me soit impossible de la concevoir.

485o. Cet argument de la prescience de dieu, s'il avoit quelque force contre la liberté de l'homme, détruiroit encore egalement celle de dieu. Car si dieu prévoit tout ce qui arrivera, il n'est donc pas en son pouvoir de ne pas faire ce qu'il a prevû qu'il feroit; [24] or il MS1: <est> a été [corr. sup. EDC] a été Kehl: démontré ci-dessusdemontré que dieu est libre MS1: (§ 15) n. 6.) [add. EDC]omitted(§ 15) n. 6.) La liberté est donc possible, dieu a donc pû donner à ses creatures une petite portion de liberté, de-même qu'il leur a donné une petite portion d'intelligence.

49Quelle difference il y a entre la liberté de dieu et celle de l'homme, et entre la liberté de l'homme, et celle des animaux. § 87. La liberté dans dieu est le pouvoir de penser toûjours tout ce Kehl: quiqu'il lui plait, et de faire toûjours tout ce qu'il veut. La liberté donnée de dieu à l'homme est le pouvoir foible et limité d'operer certains mouvements [25] et de s'apliquer à quelques pensées. La liberté des enfans qui ne reflechissent [74 | f. 132v] Kehl: omitted, eye-skippoint encore, et celles des especes d'animaux qui ne reflechissent jamais, consiste seulement à vouloir et à operer certains mouvements. Si nous etions toûjours libres, nous serions semblables à dieu. Contentons nous donc d'un partage convenable au rang que nous tenons dans la nature, mais parce que nous n'avons pas les attributs d'un dieu, ne renonçons pas au facultés d'un homme. [26]

[1] See Traité, chapter 7, l. 3-7: “Les difficultés dont les philosophes ont hérissé cette matière, et la témérité qu'on a toujours eu de vouloir arracher de Dieu son secret, et de concilier sa prescience avec le libre arbitre, sont cause que l'idée de la liberté s'est obscurcie à force de prétendre l'éclaircir”; et l. 16-17: “Dépouillons d'abord la question de toutes les chimères dont on a coutume de l'embarasser, et définissons ce que nous entendons par ce mot liberté” (OCV, vol. 14, p. 460).[2] See Traité, chapter 7, l. 18-19: “La liberté est uniquement le pouvoir d'agir” (OCV, vol. 14, p. 460).[3] See Traité, chapter 7, l. 13-15: “c'est ici au contraire qu'il faut que chaque homme rentre dans soi-même, et qu'il se rende témoignage de son propre sentiment. ” (OCV, vol. 14, p. 460).[4] See Traité, chapter 7, l. 96-102, for paragraphs 10 and 11: “Tant de chaînes visibles dont nous sommes accablés presque toute notre vie, ont fait croire que nous sommes liés de même dans tout le reste; et on a dit: L’homme est tantôt emporté avec une rapidité et des secousses violentes dont il sent l'agitation; tantôt il est mené par un mouvement paisible dont il n'est pas plus le maître. C'est un esclave qui ne sent pas toujours le poids et la flétrissure de ses fers, mais il est toujours esclave.” (OCV, vol. 14, p. 463).[5] See Traité, chapter 7, l. 103-114, for paragraphs 12 and 13: “ Ce raisonnement, qui n'est que la logique de la faiblesse humaine, est tout semblable à celui-ci: Les hommes sont malades quelquefois, donc ils n'ont jamais de santé. ¶Or qui ne voit l'impertinence de cette conclusion; qui ne voit au contraire que de sentir sa maladie est une preuve indubitable qu'on a eu de la santé, et que sentir son esclavage et son impuissance prouve invinciblement qu'on a eu de la puissance et de la liberté. ¶Lorsque vous aviez cette passion furieuse, votre volonté n'était plus obéie par vos sens: alors vous n'étiez pas plus libre que lorsqu'une paralysie vous empêche de mouvoir ce bras que vous voulez remuer. ” (OCV, vol. 14, p. 463-464).[6] This is line 102 of the second Discours en vers sur l’homme, “De la liberté”, published in 1738, but probably written in 1737; cf. Traité de métaphysique, chapter 7, l. 122-123. The rest of paragraph 14 reproduces the text of lines 123-131 of the Traité, with only minor changes: “notre liberté est faible et bornée comme toutes nos autres facultés. Nous la fortifions en nous accoutumant à faire des réflexions, et cette exercice de l'âme la rend un peu plus vigoureuse, mais quelques efforts que nous fassions, nous ne pourrons jamais parvenir à rendre notre raison souveraine de tous nos désirs; il y aura toujours dans notre âme comme dans notre corps des mouvements involontaires. Nous ne sommes ni libres, ni sages, ni forts, ni sains, ni spirituels que dans un très petit degré.” (OCV, vol. 14, p. 464).[7] See Traité, chapter 7, l. 21-30: “ Je puis à toute force contester cette faculté aux animaux; je puis me figurer, si je veux abuser de ma raison, que les bêtes, qui me ressemblent en tout le reste, diffèrent de moi en ce seul point. Je puis les concevoir comme des machines qui n'ont ni sensations, ni désirs, ni volonté, quoiqu'elles en aient toutes les apparences. Je forgerai des systèmes, c'est-à-dire des erreurs, pour expliquer leur nature; mais enfin quand il s’agira de m'interroger moi-même, il faudra bien que j'avoue que j'ai une volonté, et que j'ai en moi le pouvoir d'agir, de remuer mon corps, d'appliquer ma pensée à telle ou telle considération &c. (OCV, vol. 14, p. 460-461).[8] This passage follows, with some expansion and modification, Traité, chapter 7, l. 31-51: “ vous croyez avoir cette volonté, mais vous ne l'avez pas; vous avez un sentiment qui vous trompe, comme vous croyez voir le soleil large de deux pieds, quoiqu'il soit en grosseur par rapport à la terre, à peu près comme un milion à l'unité. ¶Je répondrai à ce quelqu'un: Le cas est différent; Dieu ne m'a point trompé, en me faisant voir ce qui est éloigné de moi d'une grosseur proportionnée à sa distance; telles sont les lois mathematiques de l'optique, que je ne puis et ne dois apercevoir les objets qu'en raison directe de leur grosseur et de leur éloignement; et telle est la nature de mes organes que si ma vue pouvait apercevoir la grandeur réelle d'une étoile, je ne pourrais voir aucun objet sur la terre. Il en est de même du sens de l'ouïe, et de celui de l'odorat. Je n'ai les sensations plus ou moins fortes, toutes choses égales, que selon que les corps sonores et odoriférants sont plus ou moins loin de moi. Il n'y a en cela aucune erreur: mais si je n'avais point de volonté, croyant en avoir une, Dieu m'aurait créé exprès pour me tromper; de même que s'il me faisait croire qu'il y a des corps hors de moi, quoiqu'il n'y en eût pas; et il ne resulterait rien de cette tromperie, sinon une absurdité dans la manière d'agir d'un être suprême infiniment sage.” (OCV, vol. 14, p. 461).[9] See Traité, chapter 7, l. 52-57: “ Et qu'on ne dise pas qu'il est indigne d'un philosophe de recourir ici à Dieu. Car premièrement ce Dieu étant prouvé, il est démontré que c'est lui qui est la cause de ma liberté en cas que je sois libre; et qu'il est l'auteur absurde de mon erreur, si m'ayant fait un être purement patient, sans volonté, il me fait accroire que je suis agent et que je suis libre.” (OCV, vol. 14, p. 461-462).[10] This comparison, equally quoted by Collins and Bayle, appears in Traité, chapter 7, l. 146-148: “ Mais cette volonté, disent-ils, est nécessairement déterminée comme une balance toujours emportée par le plus grand poids.” (OCV, vol. 14, p. 465).[11] See Traité, chapter 7, l. 150-152: “ L’entendement agit nécessairement: la volonté est déterminée par l'entendement; donc la volonté est déterminée par une volonté absolue; donc l'homme n'est pas libre.” (OCV, vol. 14, p. 465).[12] See Traité, chapter 7, l. 169-177: “Ceux qui disent: L'assentiment de l'esprit est nécessaire et détermine nécessairement la volonté, supposent que l'esprit agit physiquement sur la volonté. Ils disent une absurdité visible; car ils supposent qu'une pensée est un petit être réell qui agit réellement sur un autre être nommé la volonté, et ils ne font pas réflexion que ces mots la volonté, l'entendement &c. ne sont que des idées abstraites, inventées pour mettre de la clarté et de l'ordre dans nos discours, et qui ne signifient autre chose sinon l'homme pensant et l'homme voulant. L'entendement et la volonté n'existent donc pas réellement comme des êtres différents, et il est impertinent de dire que l'un agit sur l'autre.” (OCV, vol. 14, p. 466).[13] See Traité, chapter 7, l. 18-19: “La liberté est uniquement le pouvoir d'agir” (OCV, vol. 14, p. 460).[14] See Traité, chapter 7, l. 19-20: “Si une pierre se mouvait par son choix, elle serait libre, les animaux et les hommes ont ce pouvoir, donc ils sont libres.” (OCV, vol. 14, p. 460).[15] See Traité, chapter 7, l. 190: “Dieu, encore une fois, ne peut être libre [que] de cette façon” (OCV, vol. 14, p. 466).[16] See Traité, chapter 7, l. 65-71: “Vouloir et agir c'est précisément la même chose qu'être libre. Dieu lui-même ne peut être libre que dans ce sens. Il a voulu et il a agi selon sa volonté. Si on supposait sa volonté déterminée nécessairement, si on disait: Il a été nécessité à vouloir ce qu'il a fait, on tomberait dans une aussi grande absurdité que si on disait: Il y a un Dieu, et il n’y a point de Dieu. Car si Dieu était nécessité, il ne serait plus agent, il serait patient, et il ne serait plus Dieu. ” (OCV, vol. 14, p. 462).[17] See Traité, chapter 7, l. 166-167: “L'homme se détermine à ce qui lui semble le meilleur; et cela est incontestable” (OCV, vol. 14, p. 466).[18] See Traité, chapter 7, l. 187-189: “Ils ont beau dire, l'homme est déterminé par le plaisir, c'est confesser, sans qu'ils y pensent, la liberté, puisque faire ce qui fait plaisir c'est être libre.” (OCV, vol. 14, p. 466).[19] Locke, An essay concerning human understanding, II, xxi, §21: “We can scarce tell how to imagine any being freer, than to be able to do what he wills. So that in respect of actions, within the reach of such a power in him, a man seems as free as ‘tis possible for freedom to make him”. Émilie Du Châtelet semble plutôt citer la traduction de Pierre Coste: “de sorte que l’Homme semble être aussi libre, par rapport aux Actions qui dépendent de ce pouvoir qu’il trouve en luy-même, qu’il est possible à la Liberté de le rendre libre” (Essai philosophique concernant l’entendement humain, Amsterdam, Henri Schelte, 1723, p. 287). [20] See Traité, chapter 7, l. 211-215: “Que coutait-il de dire: Je ne sais point ce que sont les attributs de Dieu, et je ne suis point fait pour embrasser son essence ? mais c'est ce qu'un bachelier ou licencié se gardera bien d'avouer; c'est ce qui les a rendus les plus absurdes des hommes, et fait d'une science sacrée, un miserable charlatanisme.” (OCV, vol. 14, p. 467).[21] See Traité, chapter 7, l. 205-209: “ mais cette prescience et cette omniscience sont aussi incompréhensibles pour nous que son immensité, sa durée infinie déjà passée, sa durée infinie à venir, la création, la conservation de l'univers, et tant d'autres choses que nous ne pouvons ni nier, ni connaître.” (OCV, vol. 14, p. 467).[22] See Traité, chapter 7, l. 202-203: “ tous ses [de Dieu] attributs sont pour nous des abîmes impénétrables” (OCV, vol. 14, p. 467).[23] Newton, Principia, III, “Scholium generale” (3rd ed., 1726, p. 529). In her translation of the Principia, Émilie Du Châtelet writes: “Car de même qu’un aveugle n’a pas d’idée des couleurs, ainsi nous n’avons point d’idées de la manière dont l’Être suprême sent et connaît toutes choses”. We note, however, that in her manuscript she writes “l’être souverainement sage” au lieu de “l’Être suprême” (voir Principes mathématiques de la philosophie naturelle, édition critique du manuscrit par Michel Toulmonde, Ferney-Voltaire, Centre international d’étude du XVIIIe siècle, 2015, vol. 2, p. 486).[24] See Traité, chapter 7, l. 197-200: “ Premièrement remarquez que cet argument attaquerait encore cette liberté qu'on est obligé de reconnaître dans Dieu. On peut dire: Dieu sait ce qui arrivera; il n'est pas en son pouvoir de ne pas faire ce qui arrivera.” (OCV, vol. 14, p. 467).[25] See Traité, chapter 7, l. 81-87: “La liberté dans Dieu est le pouvoir de penser toujours tout ce qu'il veut, et d'opérer toujours tout ce qu'il veut. ¶La liberté donnée de Dieu à l'homme est le pouvoir faible, limité et passager, de s'appliquer à quelques pensées et d'opérer certains mouvements. La liberté des enfants qui ne réfléchissent point encore, et des espèces d'animaux qui ne réfléchissent jamais, consiste à vouloir et à opérer des mouvements seulement.” (OCV, vol. 14, p. 462-463).[26] See Traité, chapter 7, l. 131-137: “Si nous étions toujours libres, nous serions ce que Dieu est. Contentons-nous d'un partage convenable au rang que nous tenons dans la nature. Mais ne nous figurons pas que nous manquons des choses mêmes dont nous sentons la jouissance, et parce que nous n'avons pas ces attributs d'un Dieu, ne renonçons pas aux facultés d'un homme.” (OCV, vol. 14, p. 464).

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