CHAPTER SIX

Sixth Chapter (Version G: First Printed Version, Paris 1740)

CHAPITRE VI.

Du Tems

§. 94.

1G: Paragraph summary: Analogie entre le Tems & l’Espace. Les notions du Tems & de l’Espace ont beaucoup d’analogie entre elles: dans l’Espace, on considere simplement l’ordre des coéxistans, en tant qu’ils coéxistent; & dans la durée, l’ordre des choses successives, en tant qu’elles se succedent, en faisant abstraction de toute autre qualité interne que de la simple succession.

2 §. 95. On considere ordinairement le Tems de même que l’Espace sous une image produite par des idées confuses: G: Paragraph summary: L’idée ordinaire que l’on se fait du Tems est fausse. ainsi, on se le fi [114] gure comme un Etre composé de parties continuës, successives, qui coule uniformément, qui subsiste indépendemment des choses qui existent dans le Tems, qui a été dans un flux continuel de toute éternité, & qui continuera de même. Mais il est évident que cette notion du Tems comme d’un Etre composé de parties continuës & successives, qui coule uniformément, étant une fois admise, conduit aux mêmes difficultés que celle de l’Espace absolu; G: Paragraph summary: Elle mene dans les mêmes difficultés que celle de l’Espace pur.c’est-à-dire, que selon cette notion, le Tems seroit un Etre nécessaire, immuable, éternel, subsistant par lui-même, & que par consequent tous les attributs de Dieu lui conviendroient.

3 §. 96. C’est de cette idée qu’on se forme du Tems qu’est venue la fameuse question que M. Clarke faisoit à M. de Leibnits: pourquoi Dieu n’avoit pas créé l’univers six mille ans plûtôt, ou plus tard.

4 G: Paragraph summary: Le principe de la raison suffisante prouve que le Tems n’est rien hors des choses. M. de Leibnits n’eût pas de peine à renverser cette objection du Docteur Anglois, & son opinion sur la nature du Tems, par le principe de la raison suffisante; il n’eût besoin pour y parvenir que de l’objection même de M. Clarke sur le tems de la création: car si le Tems est un Etre absolu qui consiste dans un flux uniforme, la question pourquoi Dieu n’a pas créé le monde six mille ans plûtôt ou plus tard, devient réelle, & force à reconnoître qu’il est ar [115] rivé quelque chose sans raison suffisante; car la même succession des Etres de l’univers étant conservée, Dieu pouvoit faire commencer le monde plûtôt ou plus tard, sans y causer aucun dérangement. Or puisque tous les instans sont égaux, quand on ne fait attention qu’à la simple succession, il n’y a rien en eux qui eût pû faire préferer l’un à l’autre, dès qu’aucune diversité ne seroit provenuë dans le monde par ce choix. Ainsi un instant auroit été choisi par Dieu préferablement à un autre pour donner l’actualité à ce monde sans raison suffisante; ce qu’on ne peut point admettre. (§. 8.)

5 Mais nous allons voir de plus, par l’analise de nos idées, que le Tems n’est qu’un Etre abstrait, qui n’est rien hors de choses, & qui n’est point par conséquent susceptible des proprietés que l’imagination lui attribuë.

6 §. 97. G: Paragraph summary: Comment on vient à se former l’idée du Tems comme d’un Etre absolu, qui existe indépendamment des Etres successifs Lorsque nous faisons attention à la succession continuë de plusieurs Etres, & que nous nous représentons l’existence du premier A. distincte de celle H: du second dusecond B. & celle du second B. distincte de celle du troisiéme C. & ainsi de suite, & que nous remarquons que deux n’existent jamais ensemble; mais que A. ayant cessé d’exister, B. lui succede aussi-tôt; que B ayant cessé, C. lui succede, &c. nous nous formons une notion d’un Etre que nous appellons Tems: & entant que nous rapportons l’existence permanente d’un Etre à ces Etres successifs, nous di [116] sons qu’il a duré un certain tems, Not in Hen tant qu’on se représente que cet Etre qu’on considere, coéxiste à plusieurs autres qui se succedent.

7 On dit qu’un Etre dure lorsqu’il coéxiste à plusieurs autres Etres successifs dans une suite continuë: ainsi, la durée d’un Etre devient explicable & commensurable par l’existence successive de plusieurs autres Etres; car on prend l’existence d’un seul de ces Etres successifs pour un, celle de deux pour deux, & ainsi des autres; & comme l’Etre qui dure leur coéxiste à tous, son existence devient commensurable par l’existence de tous ces Etres successifs.

8 Mille exemples peuvent éclaircir ce que je viens de dire: on dit, par exemple, qu’un Corps employe du tems à parcourir un Espace, parce qu’on distingue l’existence de ce Corps dans un seul point, de son existence dans tout autre point; & on remarque que ce Corps ne sçauroit exister dans le second point sans avoir cessé d’exister dans le premier, & que l’existence dans le second point, suit immédiatement l’existence dans le premier. Et en tant qu’on assemble ces divers existences, & qu’on les considere comme faisant un, on dit que ce Corps employe du tems pour parcourir une ligne. Ainsi, le Tems n’est rien de réel dans les choses qui durent, mais c’est un simple mode, ou rapport extérieur, qui dépend uniquement de l’esprit, en tant qu’il compare la durée des [117] Etres avec le mouvement du Soleil, & des autres Corps extérieurs, ou avec la succession de nos idées.

9 §. 98. Quand on fait attention à la chaîne qui amene nos idées, on s’apperçoit que l’esprit ne considere dans la notion abstraite du Tems que les Etres en général; & qu’ayant fait abstraction de toutes les déterminations que ces Etres peuvent avoir, on ajoute seulement à cette idée générale qu’on en a retenue, celle de leur non-coéxistence, c’est-à-dire, que le premier & le second ne peuvent point exister ensemble, mais que le second suit le premier immédiatement, & sans qu’on en puisse faire exister un autre H: entre-deux entre deux, faisant encore ici abstraction des raisons internes, & des causes qui les font se succeder l’un l’autre. De cette maniere, on se forme un Etre idéal, que l’on fait consister dans un flux uniforme, & qui doit être semblable dans toutes ses parties, puisque pour H: Le F, le Hse former, on employe pour chaque Etre la même notion abstraite sans rien déterminer de sa nature, & que l’on ne considere dans tous ces Etres que leur existence successive sans se mettre en peine comment l’existence de l’un fait naître celle du suivant.

10 §. 99. Cet Etre abstrait que nous nous sommes ainsi H: formé formés, doit nous paroître indépendant des choses existantes, & subsistant par [118] lui-même; car puisque nous pouvons distinguer la maniere successive d’exister des Etres, de leurs déterminations internes, & des causes qui font naître cette succession, nous devons regarder le Tems comme un Etre à part, constitué hors des choses, & qui pourroit subsister sans les choses réelles & successives, puisque nous pouvons encore penser à cette existence successive, après que nous avons détruit par notre pensée toutes les autres réalités, c’est-à-dire, que nous en avons fait abstraction.

11 §. 100. Mais comme nous pouvons aussi rendre à ces déterminations générales les déterminations particulieres qui en font des Etres d’une certaine espece, en appliquant notre attention à la fois à leur existence successive, & à leurs déterminations particulieres, il nous doit sembler que nous faisons exister quelque chose dans cet Etre successif qui n’y existoit point auparavant, & que nous pouvons de nouveau l’ôter sans détruire cet Etre.

12 §. 101. Le Tems doit être aussi consideré nécessairement comme continu; car si deux Etres successifs A. & B. ne sont point conçûs comme continus dans leur succession, on en pourra placer un ou plusieurs entre deux qui existeront après que A. aura existé, & avant que B. existe. Or par là-même on admet du tems entre l’existence successive de A. & B.; ainsi, [119] on doit considérer le Tems comme continu.

13 On se forme donc ainsi une notion imaginaire du Tems, en le considerant comme un Etre composé de parties successives, continuës, sans différence H: interne, & auquel interne, auquel tous les Etres successifs Not in H coéxistent, & qui devient leur mesure commune; & cette notion peut avoir son usage, quand il ne s’agit que de la grandeur de la durée, & H: de comparer ensemble la durée de plusieurs Etres de comparer les durées de plusieurs Etres ensemble. H: Et, comme Comme dans la Géometrie, on n’est occupé que de ces sortes de considérations, on peut fort bien alors mettre la notion imaginaire à la place de la réelle. Mais il faut bien se garder dans la Metaphisique & dans la Phisique de faire la même substitution; car Not in H alors on tomberoit dans ces difficultés, de faire de la durée un Etre éternel, & auquel H: auquel les attributs de Dieu conviendroienttous les attributs de Dieu, dont j’ai parlé F: ci-dessus, (comma added in Du Châtelet’s hand) ci-dessus conviendroient.

14 §. 102. G: Paragraph summary: Le Tems n’est autre chose que l’ordre des coéxistans. Le Tems n’est donc réellement autre chose que l’ordre des Etres successifs; & on s’en forme l’idée, entant qu’on ne considere que l’ordre de leur succession. Ainsi, il n’y a point de Tems sans des Etres Not in H véritables & successifs rangés dans une suite continuë; & il y a du Tems aussi-tôt qu’il existe de tels Etres.

15 §. 103. G: Paragraph summary: Il est différent des Etres successifs comme le lieu & le nombre différent des choses nombrées & coéxistantes. Mais cette ressemblance dans la maniere de se succeder de ces Etres, & cet ordre qui naît de leur succession, ne sont pas ces [120] choses elles-mêmes, comme on a vû ci-dessus H: (§ G.), (§ 87.) que le nombre n’est pas les choses nombrées, & que le lieu n’est pas les choses placées dans ce lieu. Car le nombre n’est qu’un H: agrégat aggrégé des mêmes unités, & chaque chose devient une unité, quand on considere le tout simplement comme un Etre; ainsi, le nombre n’est qu’une relation d’un Etre consideré à l’égard de tous, & quoiqu’il soit différent des choses nombrées, cependant il n’existe actuellement qu’en tant qu’il existe des choses qu’on peut réduire comme des unités sous la même classe: ces choses posées, on pose un nombre; & quond on les ôte, il n’y en a plus. De même, le Tems qui n’est que l’ordre des successions continuës, ne sçauroit exister à moins qu’il n’existe des choses dans une suite continue: ainsi, il y a du Tems, H: dès qu’il y a des choses successives lorsque les choses sont, & on l’ôte, H: lors qu’on quand on ôte ces choses; & cependant il est, comme le nombre, différent de ces choses qui se suivent dans une suite continuë. Cette comparaison du Tems & du Nombre peut servir à se former la véritable notion du Tems; & à comprendre que le Tems, de même que l’Espace, n’est rien d’absolu hors des choses.

16 §. 104. G: Paragraph summary: Dieu n’est point dans le Tems, & toute succession est immuable pour lui. Quant à Dieu, on ne peut point dire qu’il est dans le Tems, car il n’y a point de succession dans lui, puisqu’il H: ne peut éprouver ne lui peut point arriver de changement. Ainsi, il est tou- [121] jours H: le même sans aucune variation le même, & ne varie point dans sa nature; & comme il est hors du monde, c’est-à-dire, qu’il n’est point lié avec les Etres dont l’union constituë le monde, il ne coéxiste point aux Etres successifs comme les créatures; ainsi, sa durée ne peut point se mesurer par celle des Etres successifs: car quoique Dieu continue d’exister pendant le Tems, comme le Tems n’est que l’ordre de la succession des Etres, & que cette succession est immuable par rapport à Dieu, auquel toutes les choses avec tous leurs changemens, sont présentes à la fois; Dieu n’existe point dans le H: Tems; car Dieu Tems. Dieu est à la fois tout ce qu’il peut être, au lieu que les créatures ne peuvent subir que successivement les états dont elles sont H: capablessusceptibles.

17 §. 105. On ne peut point admettre de parties actuelles du Tems, que celles que des Etres actuellement existans désignent; car le Tems actuel n’étant qu’un ordre successif dans une suite continuë, on ne peut point admettre de portions de Tems qu’en tant H: qu’il y a des choses qui se succèdent qu’il y a eu des choses réelles qui ont existé, & cessé d’exister; car l’existence successive fait le Tems, Not in H& un Etre qui coéxiste au moindre changement actuel dans la nature, a duré le plus petit tems actuel; & les moindres changemens, comme, par exemple, les mouvemens des plus petits animaux, désignent les plus petites parties ac- [122] tuelles du Tems dont nous puissions nous apercevoir.

18 §. 106. On represente ordinairement le Tems par le mouvement uniforme d’un point qui décrit une ligne droite, parce que le point est là l’Etre successif, present successivement à différens points, & engendrant par sa fluxion une succession continuë à laquelle nous attachons l’idée de Tems. Nous mesurons aussi le Tems par le mouvement uniforme d’un objet; car lorsque le mouvement est uniforme, le mobile parcourera, par exemple, H: un second pied un pied dans le même Tems dans lequel il a parcouru un premier pied. Ainsi, la durée des choses qui coéxistent au mouvement du mobile, pendant qu’il parcourt un pied, étant prise pour un, la durée de celles qui coéxisteront à son mouvement, pendant qu’il parcourera deux pieds, sera deux; & ainsi de suite: ensorte que par là, le Tems devient commensurable, puisqu’on peut assigner la raison d’une durée à une autre durée, qu’on avoit prise pour un. Ainsi, dans les horloges l’éguille se meut uniformément dans un cercle, & la vingt-quatriéme partie de la circonférence de ce cercle fait un; & l’on mesure le Tems avec cette unité, en disant deux heures, trois heures, &c.; de même, on prend une année pour un, parce que les révolutions du Soleil dans l’Ecliptique H: sont à peu près égales sont égales, & on s’en sert pour mesurer d’autres durées par rapport à cette unité. [123]

19 §. 107. On connoît les efforts que les Astronomes ont fait pour trouver un mouvement uniforme, qui H: pût les mît à portée de mesurer exactement le Tems, & c’est ce que M. H: Huyghens Hughens a trouvé par le moyen des H: horloges à pendule Pendules dont il est l’inventeur, & dont je parlerai dans la suite.

20 §. 108. G: Paragraph summary: C’est la succession de nos idées, & non le mouvement des Corps, qui nous fait naître l’idée du Tems. Nous avons vû que l’existence successive des Etres H: constituent le tems (§. 103) fait naître la notion du Tems; or comme ce sont nos idées qui nous représentent ces Etres, la notion du Tems naît de la succession de nos idées, & non du mouvement des Corps extérieurs; car nous aurions une notion du Tems, quand même il n’existeroit autre chose que notre Ame, & en tant que les choses qui éxistent hors de nous sont semblables aux idées de notre Ame qui les représentent, elles éxistent dans le Tems.

21 Le mouvement est si loin de nous donner par lui-même l’idée de la durée, comme quelques Philosophes l’ont prétendu, que nous n’acquérons même l’idée du mouvement, que par la réfléxion que nous faisons sur les idées successives, que le Corps qui se meut éxcite dans notre esprit par son éxistence successive aux différens Etres qui l’environnent.

22 G: Paragraph summary: Pourquoi nous ne nous appercevons point du mouvement, lorsqu’il est trop lent, ou trop prompt. Voilà pourquoi nous n’avons point l’idée du mouvement en regardant la Lune ou l’éguille d’une Montre, quoique l’une & l’autre soient en mouvement, car ce mouvement est si lent [124] que le Mobile paroît dans le même point, pendant que nous avons une longue succession d’idées; & parce que nous ne pouvons pas distinguer les parties de l’Espace que le Corps a parcouru dans cet intervalle, nous croyons que le Mobile est en repos: mais lorsqu’au bout d’un certain tems, la Lune & l’éguille de cette Montre ont fait un chemin considérable, alors notre esprit joignant l’idée du point où il les a laissés, c’est-à-dire, leur coéxistence passée à de certains Etres, à celle de leur coéxistence actuelle à d’autres Etres, il H: acquiert acquert par ce moyen l’idée du mouvement de ce Corps.

23 De même, quand le Mobile va avec tant de rapidité que nous n’avons eû aucune succession H: d’idées d’idée, pendant qu’il est allé d’un point à l’autre, nous disons que le Mobile a parcouru H: ce le chemin dans un instant, c’est-à-dire, qu’il n’y a employé aucun tems H: sensible; car alors nous n’avons point d’idée distincte de la coéxistance successive de ce corps aux divers points qu’il a parcourus, & nous ne nous représentons distinctement que sa coéxistance au point d’où il est parti, à celui ou nous le voyons arriver, ainsi les coéxistences intermédiaires nous échapent, de la même façon sensible: par la même raison à peu près, que lorsque les impressions, que chacune des sept couleurs fait sur notre retine, sont trop promtes, nous ne distinguons point chaque couleur en particulier; mais nous avons une sensation commune de toutes ces couleurs que nous avons nommée Blancheur.

24 §. 109. H: Ce Ainsi ce H: n’est donc que n’est que le mouvement médiocre qui peut nous H: donner faire naître la notion du Tems, parce qu’il a quelque proportion avec la succession de nos idées; mais il ne nous donne cette notion que, parce que l’Ame peut alors se [125] représenter distinctement les différens états du Mobile l’un après l’autre, sans en confondre plusieurs ensemble. Or le Tems qui est un Etre idéal, est fort différent du mouvement qui est quelque chose de réel.

25 §. 110. G: Paragraph summary: Méprise de M. de Crousas sur le Tems. Je ne puis donc imaginer comment on a pû dire dans un Mémoire qui a remporté le premier Prix de l’Académie des Sciences (& où H: il y a il a d’ailleurs des choses H: excellentes), excellentes, ) G: Marginal note: Pag. 50. que l’éxistence du mouvement dans un Corps, est l’éxistence du Tems dans F: Ce H: ce le Corps; que le Tems & le mouvement d’un Corps, c’est la même chose; & enfin, que c’est un préjugé de l’enfance de croire que le Tems est la mésure du repos, comme celle du mouvement. G: Paragraph summary: Il y auroit un Tems, quand même il n’y auroit point de mouvement. Car certainement je pourrois ne jamais remuer de ma place & avoir des idées successives; or j’existerois pendant un certain tems, & j’aurois une idée de la durée de mon H: Existence Etre, par la succession de mes idées, quand même je ne me serois jamais mû, & que je n’aurois jamais vû de Corps en H: mouvement, & que par conséquent je ne’eusse aucune idée du mouvement mouvement. Ainsi, tant qu’il y aura des Etres H: dont les idées se succéderont dont l’éxistence se succedera, il y aura nécessairement un Tems, soit que H: ces les Etres soient en mouvement, soit qu’ils soient en repos.

26 §. 111. G: Paragraph summary: Il faut distinguer avec soin le Tems de ses mesures. Ce qui fait que l’on a confondu le mouvement & le Tems, c’est que l’on n’a point distingué avec assez de soin le tems de ses mesures. [126]

27 §. 112. Les mesures du Tems prises des Corps extérieures nous étoient nécessaires pour mettre de l’ordre dans les faits passés, présens, & même à venir; & pour pouvoir donner aux autres une idée de ce que nous entendons par une telle portion de Tems, Not in H & pour nous en rendre compte à nous mêmes: car la succession de nos idées ne peut nous servir H: à cet usage, puisque à aucun de ces usages, elle ne peut nous servir de régle à nous-même, parce que rien ne peut nous assûrer qu’entre deux perceptions qui paroissent se suivre immédiatement, il ne s’en est pas écoulé une infinité dont nous avons perdu le souvenir, & que des tems immenses séparent.

28 Not in HCette succession de nos idées ne peut pas non plus nous servir de moyen, pour faire comprendre aux autres ce que nous entendons par une telle portion du Tems; car les idées se succedent plus vîte ou plus lentement dans les différentes têtes.

29 G: Paragraph summary: Pourquoi l’on mesure le Tems par le mouvement des Corps extérieurs. Voilà pourquoi nous avons été obligés de prendre les mesures du Tems hors de nous. Presque tous les Peuples se sont accordés à se servir du cours du Soleil pour mesurer le Tems & c’est apparemment à cause qu’il paroît marcher sur nos têtes que les hommes ont confondu le Tems & le mouvement, faute de distinguer le Tems des mesures établies pour mesurer ses parties: car si le Soleil, par exemple, s’éteignoit & se rallumoit à des intervales égaux, il nous serviroit également de mesure du Tems, quoique la Terre & lui fussent immobiles. [127]

30 §. 113. G: Paragraph summary: Il n’y a point de mesure du Tems exactement juste, & pourquoi. Il n’y a point, & il ne peut point y avoir de mesure exactement juste du Tems; car on ne peut appliquer une partie du Tems à lui-même pour le mesurer, comme on mesure l’Etenduë par des pieds & des toises qui sont elles-mêmes des portions d’Etenduë. Chacun à sa mesure propre du Tems dans la promptitude ou la lenteur avec laquelle ses idées H: se succèdent, car les idées se succèdent plus vite, ou plus lentement dans les différentes têtes, & c’est se succedent, & c’est de ces différentes vîtesses, dont les idées se succedent en différentes personnes, & dans la même personne en différent tems, que sont venuës plusieurs façons de s’exprimer, comme celle-ci, par exemple, j’ai trouvé le tems bien long; car le tems nous paroît long, lorsque les idées se succedent lentement dans notre esprit.

31 §. 114. On sent aisement que les mesures du Tems peuvent être différentes chez les différens H: Peuple Peuples, le cours annuel & journalier du Soleil, les vibrations H: d’un d’une Pendule (qui sont de toutes H: ces les mesures la plus juste) nous ont fourni celles de Minutes, d’Heures, de Jours, & d’Années: mais il est très-possible que d’autres choses ayent tenu lieu de mesures à d’autres Peuples. La seule qui soit universelle, c’est celle que l’on apelle un instant; car tous les hommes connoissent nécessairement cette portion de Tems, qui s’écoule pendant qu’une seule idée reste dans notre esprit.

32 §. 115. Toutes les mesures du Tems ne sont fondées que sur la durée de notre Etre, & sur [128] celle des Etres qui coéxistent avec nous, & dont nous rapportons l’éxistence à l’idée que nous avons de la nôtre: car ayant acquis l’idée de succession & de Tems, pendant que nous avions des idées successives, nous transportons cette idée au Tems, pendant lequel H: nous ne nous ressouvenons point d’en avoir eu nous n’en avons point eû, comme dans l’évanouissement, par exemple; & c’est ainsi, que nous acquérons l’idée de la durée du Monde & de l’Univers, en rapportant l’idée que nous avons de la durée de notre éxistence, au Tems qui s’est écoulé lorsque nous n’étions pas encore, & à celui qui s’écoulera quand nous ne serons plus.

33 §. 116. G: Paragraph summary: Comment nous acquerons l’idée de l’Eternité. Nous concevons dans la durée de tous les Etres finis un commencement & une fin; or si par abstraction nous ôtons de cette idée celle du commencement, alors la durée est l’Eternité à parte ante; si nous en ôtons la fin, cette espéce de durée s’appelle, l’Eternité à parte post, & c’est ainsi que l’Ame de l’homme est éternelle; enfin, si nous ôtons de l’idée que nous avons de la durée des Etres finis son commencement, & sa fin, la durée deviendra l’Eternité de Dieu, car il n’y a que Dieu qui puisse être Eternel à parte post, & à parte ante, c’est-à-dire, n’avoir ni commencement, ni fin. Ainsi, nous acquérons l’idée d’une durée infinie, comme toutes les autres idées de l’infini par des Additions & des Soustractions dont nous ne pouvons jamais voir la fin.

How to cite:

CHAPTER SIX, Version G. In: Du Châtelet, Émilie: Institutions de physique. The Paris Manuscript BnF Fr. 12265. A Critical and Historical Online Edition.
Edited by Ruth E. Hagengruber, Hanns-Peter Neumann, Aaron Wells, Pedro Pricladnitzky, with collaboration of Jil Muller. Center for the History of Women Philosophers and Scientists, Paderborn University, Paderborn. Version 1.0, April 4th 2024, URL: https://historyofwomenphilosophers.org/dcpm/documents/view/chapter_six/version/g/rev/1.0