CHAPTER SIX

Sixth Chapter (Version A)

Du tems ch. 6

1[109/114r/1] Les notions dutems etdel’espace ont beaucoup d’analogies entre elles,
come dans lespace on considere simple
ment l’ordre des coexistens entant
qu’ils coexistent, etdans ladurée
lordre des choses successives, en faisant
abstraction detoute autre qualité in
terne que dela seule succession.

2 On considere ordinairemt letems come l’espace sous une image produite
par des idées confuses, ainsi on sele
figure comme un etre composé departies
continuës, successives, qui coule uni
formement, et qui subsiste indepen
demment des choses qui Existent
dans Letems, qui a été dans A: Marginal note, later canceled: un autre mot a cause du ridicule une fluxion continuelle detoute Eternité, et
qui continuera dememe, mais
c’est decette idée quon se forme
dutems qu’est venu cette fameuse
question que mr. Clarke faisoit a mr. deleibnits, pourquoi dieu n’a pas crée l’univers six mil ans plutost
ou plus tard, il est Evident par cette question meme que cette notion dutems [114v/2] come d’un etre composé departies continuës etsuccessives qui coule uni
formemt une fois admise mene
dans les memes dificultés quecelle de
l’espace absolu, cest adire que selon
cette notion, letems seroit un etre necessaire,
immuable, Eternel, subsistant parlui
meme, et que parconsequent tous les
attributs de dieu lui conviendroient.

3 Mr. deleibnits n’eut pas depeine a detruire cette objection du
docteur anglois ni a renvers[er]
son opinion sur lanature dutems
par leprincipe dela raison sufisante.

4 Car si letems est un etre absolu
qui consiste dans une fluxus
uniforme, la question pourquoy
dieu na pas crée lemonde six mille
ans plutost ou plus tard devient
reelle, etforce areconnoitre
quil est arrivé quelque chose sans
raison sufisante, car lameme
succession des etres del’univers
etant conservée, on pouvoit faire comencer lemonde plutost ou
110[115r/3] plus tard sans y causer aucun derangement, or puisque tous
les instans sontegaux quand on
nefait attention qu’a lasimple succession
il ni arien qui puisse faire preferer
l’un a l’autre, et par consequent
neseroit provenuë dans lemonde
parce choix, un instant auroit
Eté choisi par dieu preferablemt
aun autre pr donner l’actualité
acemonde sans raison suffisante
cequ’on nepeut point admettre.

5 Mais ns allons voir deplus, par l’analise denos idées que letems n’est
qu’un etre abstrait, qui n’est rien
hors de choses, etqui n’est point par
consequent susceptible des proprietés
que l’imagination lui attribuë.

6 Lorsque ns faisons attention ala succession continuë deplusieurs
etres etque ns ns representons
l’existence du premier A distincte
decelle du second B etcelle du second [115v/4] B distincte decelle du troisieme C et ainsi de suite, etque ns remarquons
que deux n’existent jamais ensemble
mais que A ayant cessé d’exister, B lui
succede aussitost, que B ayant cessé, C lui
succede &cc ns ns formons une
notion d’un Etre que ns apellons
tems, etentant que ns raportons l’existence permanente d’un etre
a ces etres successifs, ns disons qu’il aduré uncertain tems, entant qu’on se represente que ce seul Etre coëxiste
aplusieurs autres qui se succedent.

7 Mille Exemples peuvent éclaircir ceque ie viens de dire, on
dit, P E, qu’un corps emploie
dutems aparcourir un chemin
par cequ’on distingue l’existence
dece corps dans un seul point, de
son Existence dans tout autre
point, eton remarque que ce corps
nesauroit Exister dans le second
point sans avoir cessé d’exister
dans lepremier, mais que cependant lexistence dans lesecond point suit
immediatement l’existence dans lepremier, etentant qu’on assemble [111/116r/5] ces diverses Existences et qu’on les considere come faisant un, ondit que cecorps emploie dutems pour
parcourir une ligne, mais quand
on consulte ses idées, et qu’on fait
attention ala chaine qui les amesne
on s’aperçoit qu’on ne considere,
dans cette notion dutems que les etres
en general, et quon fait abstraction
detoutes les determinations que ces etres
peuvent avoir on ajoute seulemt
acette idée generalle qu’on en aretenuë
celle deleur coexistence, c’est adire
que le premier etle second ne peuvent
point coexister ensemble, mais
que le second suit lepremier immedi
atemt, c’est a dire, sans que
i’en puisse faire Exister un autre
entre deux, faisant encore icy
abstraction des raisons internes, et
des causes qui les font se succeder
l’un l’autre, et decette maniere on se
forme un etre ideal, qui doit
consister dans une fluxion uniforme
et qui doit etre semblable dans
toutes ses parties puisque pr le former on emploie pr chaque
etre la meme notion abstraite sans rien determiner deleur nature, [116v/6] et leur Existence successive sans semettre en peine coment
l’existence del’un fait naitre celle
du suivant.

8 Cet Etre abstrait que ns ns somes ainsi formés doit ns paroitre
in de pendant des choses, et subsis
tant par lui meme, car puis
que ns pouvons distinguer la
maniere successive d’exister des Etres
deleurs determinations internes
et des causes qui font naitre la
succession, ns pouvons la representer
sans penser a ces autres realités
qui l’accompagnent, et par consequent
ns devons regarder letems come
un etre apart, constitué hors
des choses, et qui pouroit subsis
ter sans les choses reëlles successives
puis que ns pouvons encore penser
a cette Existence successive, aprés que
ns avons detruit par notre pensée
toutes les autres realités, cest adire
aprés que ns enavons fait abstraction.

9 Mais come ns pouvons aussi rendre a ces determinations generalles les determinations particulieres qui [112/117r/7] en font des etres d’une certaine espece, enapliquant notre attention
al’un et al’autre alafois, il ns
doit sembler come si ns faisions
Exister quelques choses dans cet
Etre successif qui n’existoit
point auparavant et que ns
pouvions denouveau oter sans
le detruire.

10 Le tems doit etre aussi consideré necessairement come continu
car si deux etres successifs A et
B nesont point concus come
continus dans leur succession on
en poura placer un ou plusieurs
entre deux qui Existent successive
ment aprés A: Canceled marginal note: a expliquer cest lememe endroit que ie nentens pas ds lespaceque A a existé, et avant que B Existe, or par la
meme on admet A: Read: du tem[p]s dutens entre A et B, ainsi on doit considerer
letems come continu.

11 Letems n’est donc autre chose que lordre des Etres successifs
entant qu’on ne considere que l’ordre de
leur succession, ainsi il ni a point de
tems sans detres veritables successifs
rangés dans une suite continuë, et il ya dutems aussitost qu’il Existe
detels etres successifs dans une suite continuë. [117v/8]

12 Mais come cette ressemblance des choses dans leur maniere
de se succeder cet ordre qui
nait deleur succession nest pas
les choses ellesmemes, come on a
vu ci dessus que lelieu n’est pas
les choses placées dans celieu,
mais que cest quelque chose de
different des choses elles memes
et deleur Existence, entant
que lun est une abstraction
il ne faut point setonner quele
tems paroisse subsister independant
des choses qui Existent dans letems.

13 Ondit qu’un etre dure lorsqu’il coexiste aplusieurs autres
etres successifs dans une suite continuë
ainsi laduration d’un etre devient
explicable etcommensurable par
l’existence successive deplusieurs autres
Etres, car on prend lexistence
d’un seul de ces etres successifs
pr un, celui de deux pr deux,
et ainsi des autres, et come l’etre
qui dure leur coexiste atous, son
Existence devient commensurable parlexistence detous les etres [113/118r/9] successifs, ainsi on se forme du tems unenotion imaginaire
en leconsiderant come un etre
composé departies successives,
continuës, sans A: Read: difference defference interne, auquel tous les etres successifs
coexistent et qui devient leur
mesure comune, etcette notion
peut avoir son usage quand il
ne sagit que de grandeur, et de
mesurer les durées enles comparant
ensemble etcome dans la geo
metrie on n’est occupé que
deces sortes deconsiderations, on
peut fort bien mettre lanotion
imaginaire alaplace dela reelle
mais il ne faut pas pretendre
dely subsituer par tout, car
A: Canceled marginal note: quelles sont ces dificultés alors ontomberoit dans les difficultés dont on vient defaire mention.

14 On nepeut point admettre de parties actuelles du tems que
celles que des Etres actuellemt
Existans designent, car letems
actuel netant qu’un ordre successif dans une suite continuë, [118v/10] on nepeut point admettre deportions detems qu’entant
quil ya eu des choses reelles
qui ont Existé, etcessé d’exister,
car lexistence successive fait le
tems, et un etre qui coexiste
au moindre changementactuel
dans lanature, aduré leplus petit
tems actuel, etces moindres
changemens, come, p E, A: Canceled marginal note: estce les plus petites parties absolues ou seulemt pr ns les mouvemens des plus petites animaux
designent les plus petites parties
actuelles du tems dont ns puissions
nous apercevoir.

15 On ne presente ordinairemt letems parce mouvemt uniforme
d’un point qui decrit une ligne
droite, parceque le point est la
l’etre successif, present successivemt
adifferens points, et engendrant
par sa fluxion une succession continuë
alaquelle ns attachons l’idée du
tems, ainsi ns mesurons aussi
letems par ce mouvemt uni forme
d’un objet, car puisque lemouvemt
est uniforme le mobile parcourera, P E, un pied dans lememe
tems qu’il parcourera un second pied, ainsi les choses qui coëxiste[nt] [114/119r/11] au mouvemt du mobile pendant quil parcourt A: Canceled marginal note: que veut dire par un pied un pied, etant prises pr un, celles qui coexisteront a son mouvemt pendant qu’il parcourera
deux pieds serant deux, et ainsi
desuite, en sorte que par lale
tems devient commensurable
puisqu’on peut assigner laraison
d’une durée auneautre durée
qu’on avoit pris pr un, ainsi
A: Canceled marginal note: que veut dire la dans un seul on fait les horloges leguille se meut uniformemt et la 24e partie dela peripherie fait un et l’on mesure le tems avec cette
unité en disant 2 heures, 3 heures,
&cc, dememe on prend une
année pr un, parceque les
revolutions A: Canceled marginal note: dusoleil et, apeu prés, sont ils bien dusoleil dans l’ecliptique sont apeu prés Egales et on sen sert pr mesurer d’autres
durées par raport acette
unité.

16 On connoit les efforts que les astronomes ont fait
pr trouver un mouvemt uniforme
qui les mit aportée demesurer
Exactemt les durées, etcest ceque mr. hughens atrouvé parce moien des pendules dont il est l’inventeur. [119v/12]

17 On voit partout ceque ie viens dedire que lidée dutems et
deladurée ne ns vient point
par laconsideration du mouvemt
des corps exterieurs, mais par
celle delexistence successive des
etres que ns regardons come hors
denous et par la succession de nos idées
le mouvemt est si loin dens
donner parlui meme lidée dela
durée come quelques philosophes
l’ont pretendu, que ns naquerons
meme l’idée du mouvemt que
parla reflexion que ns faisons
sur les idées successives que le corps
qui se meut excite dans notre
esprit parson Existence
successive aux diferens etres
qui l’environnent.

18 Voila pourquoi ns n’avons point lidée du mouvemt enregardant
lalune, ou l’aiguille d’une montre
quoique lune et lautre soient en mouvemt car cemouvemt est
si lent que lesprit a le tems de recevoir dautres idées entre deux [115/120r/13] et alors celle du mouvement deces corps n’est plus sensible pr
ns parceque lors qua pres un
certain tems lalune et cette aiguille
on fait un chemin considerable,
notre esprit joignant alors l’idée
du point ou il les alaissés cest
adire leur coexistence passée a dautres
Etres, a celle deleur coexistence
actuelle adautres Etres, il aquert
parce moien l’idée du mouvemt de
cecorps.

19 Lameme chose arrive lorsque le mouvemt est trop promt alors
ns ne distingons point les differens
Ebranlemens que le corps qui est
en mouvemt Excite dans notre
cerveau a chaque point
delespace qu’il parcourt etcela
A: Bracketed note in right margin: N[ota]B[ene] parla meme raison apeu prés que lorsque les impressions que chacune
des sept couleurs fait sur notre
retine sont trop promtes ns ne
distinguons point chaque couleur
enparticulier, mais ns en avons
une sensation comune detoutes
que ns avons nomée blancheur.
[120v/14]

20 Ie ne puis donc imaginer coment mr. crouzas apudire dans un memoire qui aremporte lepremier
prix delacademie des sciences (et
ou il ya dailleurs A: Before “de belles” we find canceled: dexc. Most likely Du Châtelet first wanted to write “dexcelentes choses.” de belles choses) que l’existence du mouvemt dans un corps est l’existence du mouvement dans ce corps, quece tems est lemouvemt d’un corps c’est la meme chose, et enfin que c’est un prejugé del’enfance decroire que letems est lamesure du mouvemt come celle du repos, car certainemt ie pourois nejamais
remuer dema place etavoir des
idées successives, or j’existerois pen
dant un certain tems, eti’aurois
une idée deladurée demonetre
par la succession demes idées, etie
pourois meme n’en avoir aucune
du mouvement, si ie nemetois jamais
remué, et que ie neusse jamais
vu decorps en mouvemt, ainsi
tant quil yaura des etres dont lexistence
se succedera, il yaura necessairemt untems soit que ces etres soient [116/121r/15] en mouvement, [ou] en repos.

21 Cequi fait quelon aconfondu lemouvemt etladurée, c’est
que l’on n’a point distingué avec
assés de soin ladurée deses mesures.

22 Les mesures deladurée prises des corps Exterieurs Etoient necessaires
pr mettre del’ordre dans les faits
passés, presens, etmeme a venir,
et pr pouvoir donner aux autres
une idée deceque ns entendons
par une telle portion dedurée et pr ns en rendre compte a
ns memes, car la succession de nos
idées ne peut ns servir a aucun
de ces usages, elle ne peut ns servir
deregle ans meme parceque rien ne
peut ns assurer qu’entre deux percep
tions qui paroissent se suivre
imediatemt, il nes’en est pas Ecoulé
une infinité dont j’ay perdu
le souvenir et que des tems
immenses separent.

23 Cette succession denos idées ne peut pas non plus [121v/16] ns servir demoyen pr faire comprendre aux autres ceque
ns entendons parune telle portion deduré car les idées se succedent plus vite, ou plus léntemt dans les
differentes tetes.

24 Voila pourquoi ns avons eté obligés deprendre les mesures dela
durée hors denous, pres que tous
les peuples se sont accordés a se servir
ducours du soleil pr mesurer letems,
etc’est aparemmt acause qu’il paroit
marcher sur nostetes queles homes
ont confondu ladurée etle mouve
ment, faute de distinguer le tems
des mesures Etablies pr mesurer ses
parties, car si lesoleil, P E, seteignoit
etse rallumoit ades intervales Egaux
il ns serviroit Egalemt demesure du
tems quoique laterre et lui fussent
immobiles.

25 Il ni apoint, etil nepeut point yavoir de mesure Exactemt juste deladurée, car
on ne peut apliquer une partie dela durée a elle meme pr lamesurer, come o[n] [117/122r/17] mesure letenduë pardes pieds et des toises qui sont ellesmemes
des portions detenduë, chaquun a
samesure propredutems dans la
promtitude oulalenteur avec laquelle
ses idées se succedent dans son esprit
cest de ces defferentes vitesses dont
les idées se succedent en diferentes
personne, et dans lameme persone
en different tems, quesont venuës
plusieurs façons de s’ex primer
come celleci par Exemple, j’ay trouvé letems bien long, car letems ns paroit long lors que les idees se
succedent léntemt dans notre esprit.

26 On sent aisemt que les mesures dela durée peuventetre diferentes
chés les diferens peuples, le cours annuel
etjournalier du soleil, les vibrations
du pendule (qui sont detoutes ces mesures
la plus juste) ns ont fourni celles
de minutes, dheures, et dejours, et d’années, mais il est tres possible que dautres choses ayent tenu lieu demesure adautres peuples A: Du Châtelet likely first wanted to continue withpour mesurer [pourvu] [122v/18] qui soit universelle cest celle quel’on apelle un instant car un instant Etant cette portion
dedurée qui secoule pendant
quune seule idée est dans notre
esprit, tous les homes doivent
necessairemt
A: Canceled marginal note: le paragraphe 54 et 55 sil veuttoutes les mesures deladurée nesont fondées quesur celle de
notre Etre

27 A: Canceled marginal note: coment trouvés vs cela Ainsi letems A: Canceled marginal note: paralelle de l’espace et deladurée nest point de reel dans les choses qui durent, mais c’est
un simple mode ou raport exterieur
qui depend uniquemt del’esprit qui
compare la durée des etres avec
lemouvemt du soleil, ou des corps
Exterieurs, ou avec la succession de
nos idées.

How to cite:

CHAPTER SIX, Version A. In: Du Châtelet, Émilie: Institutions de physique. The Paris Manuscript BnF Fr. 12265. A Critical and Historical Online Edition.
Edited by Ruth E. Hagengruber, Hanns-Peter Neumann, Aaron Wells, Pedro Pricladnitzky, with collaboration of Jil Muller. Center for the History of Women Philosophers and Scientists, Paderborn University, Paderborn. Version 1.0, April 4th 2024, URL: https://historyofwomenphilosophers.org/dcpm/documents/view/chapter_six/version/a/rev/1.0