CHAPTER NINE

Ninth Chapter (Version G: Second Printed Version, Amsterdam 1742)

CHAPITRE X.

De la figure, de la porosité, & de la solidité des Corps, & des causes de la cohésion, de la dureté, de la fluidité, & de la molesse.

§. 184.

1 [207] G: Paragraph summary: Toute étendue finie a une figure LA figure est un attribut nécessaire du Corps; car on entend par Corps une étendue qui a des bornes: or toute étendue terminée a nécessairement une Figure, & cette Figure a sa raison suffisante dans les Corps environans (§. 73). [208]

2 Nous ne pouvons pas connaitre la Figure des corpuscules qui se dérobent à nos sens, mais notre esprit n’en est pas moins assuré de l’éxistence de ces petits Corps, car le principe de la raison suffisante bannissant le vuide de l’Univers, il faut qu’une infinité de matières que nous n’appercevons point, remplissent les espaces vuides qui nous paroissent séparer les parties des Corps lorsque nous les regardons au microscope.

3 §. 185. G: Paragraph summary: Il y a deux sortes de matières dans les Corps, l’une qui pése & agit avec eux, l’autre qui n’agit, ni ne pese. Tous les Corps contiennent donc deux sortes de matière, la matière propre, & la matière étrangère.

4 La matière propre des Corps, peut être, ou constante, ou variable: la matière propre constante est celle sans laquelle le Corps ne subsisteroit point, & la matière propre variable est celle qui s’arrête quelquefois dans les pores des Corps, comme l’eau, par exemple, qui augmente leur poids, en s’arrêtant entre leurs parties.

5 Toute la matière propre d’un Corps repose, se meut, pese, résiste, & agit avec lui, & la matière étrangère ne se meut point avec le corps, & ne participe ni à ses actions, ni à ses passions, mais elle passe librement à travers ses pores, comme l’eau à travers d’une caisse percée de plusieurs trous.

6 §. 186. L’éxistence de ces deux matières [209] se démontre par plusieurs expériences qui nous font voir que les Corps ont différentes densités, & des poids différens, car il est certain que l’eau, par exemple, pese plus que l’air, & que l’or est plus dense que le bois, & pese davantage.

7 G: Paragraph summary: De l’extreme porosité des Corps. Les parties de tous les Corps, jusques à celles de l’or même, la plus dense de tous, paraissent arangées à peu près comme dans la Figure 15, lorsqu’on les regarde à travers un microscope; & ces nouveaux yeux que l’industrie humaine a su se procurer, nous ont fait voir qu’il n’y a aucun Corps qui ne contienne une infinité de pores.

8 The ‘§’ symbol is omitted from this printing. Read §. 187. 187. Plusieurs expériences s’accordent avec celles du Microscope pour prouver cette extrême porosité des Corps.

9 G: Paragraph summary: Expériences qui le prouvent. Le Mercure pénètre dans l’or, dans le cuivre, dans l’argent, enfin dans tous les métaux, aussi facilement que l’eau pénètre dans une éponge.

10 L’eau pénètre dans les membranes des animaux & des végétaux à qui elle va porter les parties nutritives.

11 L’or donne * G: Footnote: * Un globe creux d’or, rempli d’eau, & fermé hermétiquement, ayant été mis sous une presse, l’eau qui y étoit renfermée sortit par les pores de l’or comme une pluie très fine, Mr. Newton rapporte cette expérience dans son Traité d’Optique. passage à travers sa substance [210] à l’eau qui n’est que dix-neuf fois moins solide que lui (§. 194).

12 Les fluides se pénètrent l’un l’autre, ainsi si vous versez une certaine quantité d’eau sur de l’huile de vitriol, la mixtion commencera par s’élever, mais après que l’effervescence sera cessée, la liqueur descendra, & lorsque le mêlange sera en repos, il sera à la même hauteur qu’avant la mixtion.

13 §. 188. Les Corps les plus denses deviennent transparens, quand on les rèduit en lames très minces & qu’on les tient entre la lumière & l’œil, & cette transparence des Corps opaques vient en partie des pores qui séparent leur matière propre.

14 La fumée qui sort du souffre va percer plusieurs linges ou étofes pour aller noircir l’or ou l’argent qu’on en a envelopé, & la chimie est pleine d’exemples de cette pénétration des esprits à travers les pores des Corps.

15 Enfin les Corps font d’autant plus d’effet sur un obstacle quelconque, lorsque leur vitesse est égale, qu’ils ont plus de masse, c’est-à-dire, qu’ils pesent davantage.

16 Or puisque d’un côté, il est certain par toutes les expériences, que tous les Corps ont une infinité de pores, & que chacun pese & agit différemment selon sa masse, & que de l’autre G: Paragraph summary: Ces pores sont remplis d’une matière tres fine. le principe d’une raison suffisante bannit le vuide de l’Univers, il faut nécessairement admettre dans les pores des Corps une matière [211] très fine qui ne pese, & n’agisse point avec eux.

17 §. 189. Il suit encore de ceci que les pores des Corps qui nous paraissent vuides étant entierement remplis, tous les Corps de volume égal contiennent également de matière absolue, mais leur matière propre agissant, & résistant avec eux, & leur matière étrangère ne participant ni à leurs actions, ni à leurs résistances (§. 185), deux Corps de volume égal mus avec la même vitesse ne doivent pas faire le même effet, s’ils n’ont pas la même gravité spécifique, c’est-à-dire, la même quantité de matière propre.

18 §. 190. G: Paragraph summary: En quoi la solidité des Corps consiste. Un Corps est plus ou moins solide qu’un autre selon qu’il contient plus ou moins de matière propre, car c’est la matière propre des corps qui fait leur solidité, puisque c’est cette matière qui résiste dans les Corps (§. 185).

19 §. 191. G: Paragraph summary: Nous n’avons l’idée de la solidité que par le tact. Le tact est le seul sens qui nous donne l’idée de la solidité, ce sens est répandu par tout notre Corps, & les autres sens ne sont eux-mêmes qu’un tact diversifié, l’ébranlement des nerfs, quoiqu’insensible pour nous, étant la source de toutes nos sensations.

20 Il paroît singulier que tous nos sens n’étant que des modifications du tact, l’idée de la so[212]lidité qui en est l’objet propre, ne nous vienne cependant que par un seul sens, & Read: que ni nos que nos yeux, ni nos oreilles ne nous donnent point cette idée.

21 Il est vraisemblable que le Créateur qui a voulu que nos yeux jugeassent des couleurs & des figures, & Read: qu’ils qu’il servissent à nous conduire, & que nos oreilles jugeassent des sons, & nous servissent à la communication de nos pensées avec nos semblables, nous a caché l’ébranlement de la rétine & du timpan, pour éviter la confusion que tant d’ébranlemens différens auroient mis dans nos sensations.

22 Un Etre privé de toute faculté tactile, & qui n’auroit de sens que celui des oreilles, éprouveroit à la vérité une espèce de douleur, en entendant un bruit trop aigu; mais quoique cette douleur ne fût causée que par la façon trop forte dont les nerfs de son oreille auroient été frappés par l’air, cependant l’espèce de douleur qu’il ressentiroit par cet ébranlement, ne lui donneroit aucune des idées que nous avons lorsque quelque Corps nous résiste, ou nous frappe; ainsi quoique la source de nos sensations soit commune, quoique nos sens semblent se tenir, cependant rien n’est plus séparé que leurs objets, la main ne jugera jamais des sons, ni l’oreille des couleurs, & l’on peut leur appliquer ce beau Vers de Mr. Pope sur les différens Etres. [213]

23 For ever separate, and for ever near,

24Toujours près l’un de l’autre, & toujours séparés.

25 §. 192. Lorsque l’on compare la solidité d’un Corps à celle d’un autre Corps, on suppose toujours que ces Corps sont d’un égal volume, c’est-à-dire, que l’un peut être substitué à l’autre par rapport à leur étendue, quelle que soit la forme de ces deux Corps. G: Marginal note: Planche 3. Fig. 16. & 17. Ainsi, le Corps A. & le Corps B. par exemple, quoique de forme très différente, ont cependant le même volume, parce que le Corps B. regagne en longueur, ce que le Corps A. a de plus que lui en largeur.

26 §. 193. Quoique les Corps résistent plus ou moins, selon qu’ils contiennent plus ou moins de matière propre sous un même volume, cependant toute matière, par elle-même, & dans les mêmes circonstances, résiste également, ce qui est une suite nécessaire de ce que toute matière est douée de la force résistante, comme vous l’avez vu au Chapitre 8; mais la matière étrangère des Corps ne résiste point avec eux, parce que la finesse de ses parties, & le mouvement très rapide dans lequel elles sont, fait qu’elle échape au choc des Corps qui agissent sur la matière propre [214] avec laquelle cette matière étrangère ne cohère point.

27 Voila pourquoi l’air & les autres fluides nous paraissent sans résistance, & que même on seroit tenté, lorsqu’on n’a pas encore des idées bien nettes des choses, de les croire privés de cet attribut de la matière par lequel elle résiste; mais lorsque nous voulons les fendre avec force, comme il nous faut séparer alors un grand nombre de leurs parties à la fois, ils nous font sentir par la résistance qu’ils nous opposent, qu’ils possèdent aussi cette propriété de la matière.

28 G: Paragraph summary: Nous ne connaissons la solidité positive d’aucun Corps. §. 194. Si on connaissoit quelque Corps qui n’eût que de la matière propre, on pourroit connaitre combien les Corps contiennent de matiére propre, & de matière étrangère sous un volume déterminé; car si un Corps d’un pouce cubique, par exemple, ne contenoit que de la matière propre, & qu’il eût un poids quelconque, & qu’un autre Corps aussi d’un pouce cube ne pesât que la moitié du prémier, le second Corps contiendroit autant de matière étrangère que de matière propre.

29 G: Paragraph summary: L’or sert ordinairement de mesure comparative de la solidité des Corps. Mais comme nous ne connoissons point de telle portion de matière, on a choisi l’or, qui est un Corps très-dense, & cependant très-poreux, pour servir de commune mesure, & l’on a supposé que sous un volume quelcon[215]que, l’or contenoit autant de matière étrangère que de matière propre; ayant donc comparé la pesanteur des autres Corps à celle de l’or, & les faisant de même volume, on a déterminé leur gravité spécifique comparée à celle de l’or; ainsi, un volume d’eau quelconque pesant environ 19 fois ½ moins qu’un égal volume d’or, & ayant par conséquent 19 fois ½ moins de matière propre que l’or, qui est supposé n’en avoir que la moitié, on a conclu que la matière étrangère de l’eau étoit à sa matière propre comme 39 à 1, environ.

30 L’or est donc le Corps le plus dense que nous connaissions, cependant il a des pores: ainsi, il n’y a aucune portion de matière absolument dense, & la raison est sur cela d’accord avec l’expérience; car s’il y avoit quelque masse entierement dense, elle composeroit un Corps entierement dur & sans ressort, or il ne peut point y avoir dans la nature de Corps parfaitement durs, comme vous l’avez vu (§. 15).

31 §. 195. Si dans la superficie d’un Corps il y a des éminences, ou aspérités qui débordent les autres parties, ce Corps est brute, mais sa surface est unie lorsque l’une de ses parties ne déborde pas l’autre.

32 §. 196. Si la matière propre d’un Corps subit quelque changement, le composé est chan[216]gé & resolu dans ses principes: si les changemens n’arrivent qu’à la matière qui passe dans ses pores, ils ne sont qu’accidentels, & ce composé n’est point détruit.

33 §. 197. Les particules de matière propre G: Paragraph summary: Ce qu’on appelle un Corps dense & un Corps poreux. qui composent un Corps, peuvent être arrangées de façon que leurs superficies paraissent se toucher immédiatement dans tous leurs points, ou qu’elles ne se touchent que dans quelques points: si elles paraissent se toucher dans tous leurs points, le Corps est continu, & ses parties sont simplement possibles, & l’on appelle ce Corps, un Corps dense; dans le cas opposé, ce Corps est un Corps poreux.

34 Vous avez vu que les Corps que nous croyons les plus denses à la simple vue, & qui nous paraissent les plus continus dans leur surface paraissent comme les espèces de cribles quand on les regarde avec un microscope, ainsi il n’y a de Corps denses que par comparaison à des Corps plus poreux.

35 §. 198. Si les parties de matière propre qui composent un Corps, s’approchent l’une de l’autre, ensorte que ses pores deviennent plus petits, le volume de ce Corps diminue, & de poreux il devient dense; cet effet s’appelle condensation: si au contraire G: Paragraph summary: Causes de la raréfaction, & de la condensation. ses interstices ou pores deviennent plus grands, le volume de ce Corps augmente, & de dense, il de[217]vient poreux; & cela s’appelle raréfaction: ces deux effets sont causés par la quantité plus ou moins grande de la matière, qui passe dans les pores de ces Corps; quand cette matière y est en plus grande abondance, le corps est raréfié, quand sa quantité diminue, le Corps est condensé.

36 §. 199. G: Paragraph summary: Définition de la dureté, & de la molesse. Si les parties d’un Corps cedent difficilement, ensorte qu’on sente la résistance qu’elles font, quand on veut les séparer, on appelle ce corps, un Corps dur: mais si ses parties cedent facilement, & font très-peu de résistance, quand on veut les séparer, on appelle ce Corps, un Corps mou; & quand cette résistance est encore moindre, ce Corps devient fluide.

37 §. 200. La difficulté qu’on trouve à séparer les parties de certains Corps les unes des autres vient de leur inertie & de la force par laquelle les parties de ces Corps sont unies entr’elles, de façon que l’une ne peut se mouvoir sans que les autres se meuvent aussi: on appelle cohérence, ou cohésion, cette force par laquelle les parties d’un Corps sont unies entr’elles.

38 G: Paragraph summary: De la cohésion des Corps. La cohésion des parties des Corps est un des effets naturels dont l’explication a le plus embarassé les Philosophes: je vais vous [218] dire comment on doit l’expliquer selon le principe de la raison suffisante, & je vous parlerai ensuite des différentes explications que quelques Philosophes en ont données.

39 §. 201. Puisqu’il faut que toute matière soit en mouvement, afin qu’il n’y ait dans l’Univers aucune portion de matière semblable a une autre (§. 139), lorsque deux portions de matière paraissent en repos, il faut que leur mouvement tende vers des directions opposées avec la même force, & que par-là elles s’arrêtent dans la même place, ce qui fait la cohésion, car on sait par expérience que deux Corps fortement pressés l’un contre l’autre, semblent ne faire qu’un seul Corps, & ne peuvent alors être séparés que difficilement.

40 Vous avez vu que le dégré de vitesse avec lequel un Corps se meut, & la direction de son mouvement, sont toujours déterminés par le mouvement de quelques autres Corps qui en contiennent la raison suffisante (§.160); ainsi afin que les parties des Corps G: Paragraph summary: Les mouvemens conspirans, & la matière environante sont les véritables causes de la cohésion. se meuvent dans les directions opposées avec des vitesses égales, & qu’elles cohèrent par ce moien, il est nécessaire que le mouvement d’une matière externe, détermine leur direction, & leur vitesse; la matière qui environne les Corps contient donc la raison suffisante de leur cohésion.

41 Puisque la cohésion des parties des Corps [219] vient des mouvemens conspirans de leurs parties, les Corps seront plus ou moins cohérens, selon que leurs parties seront plus ou moins éxactement appliquées l’une contre l’autre, c’est-à-dire selon qu’elles se toucheront en plus ou moins de points, & que leurs mouvemens conspireront plus ou moins; & voilà d’où naissent les différentes espèces de cohésions qui rendent de certains Corps sécables, d’autres friables, d’autres cassans, &c.

42 §. 202. Vous voiez facilement comment la force dinertie, jointe à la cohésion des Corps, doit opérer leur dureté; car puisque les Corps résistent par leur force dinertie à toute changement dans leur état présent, quand cet état présent est l’union de leur parties par la cohésion, la force d’inertie fait qu’on ne peut séparer ces parties sans effort, & que par conséquent les Corps qu’elles composent sont durs, (§. 199); d’où il est aisé de voir que les différentes cohésions sont les différens dégrés de dureté.

43§. 203. G: Paragraph summary: Descartes n’a pas distingué la cohésion des Corps de leur dureté. Il parait que c’est pour n’avoir pas distingué la dureté des Corps de leur cohésion, que Descartes a attribué la cohérence des Corps au repos de leurs parties; car, par cette force qu’il attribuoit aux corps en repos, Descartes entendoit ce que l’on exprime aujourdhui par force dinertie: or il est certain [220] que les Corps nous résistent par leur force dinertie, & que par conséquent cette force est la cause de leur dureté; mais cette force par laquelle ils nous résistent n’est pas la même qui unit leurs parties entr’elles, desorte qu’elles ne peuvent plus se mouvoir que d’un mouvement commun.

44§. 204. Quand on cherche la cause de la cohésion, on ne cherche donc pas pourquoi les parties des corps supposées en repos les unes auprès des autres, persistent dans cette contiguité, mais pourquoi elles sont contigues, & paraissent en repos, c’est-à-dire, pourquoi elles cohèrent; ainsi, Descartes avoit raison d’attribuer la dureté des Corps à la force qu’ils ont tous pour conserver leur état actuel, mais il ne pouvoit se servir de cette force pour expliquer leur cohésion, dont il devoit chercher la cause dans un autre principe, & vous venez de voir qu’il l’auroit trouvée dans la matière qui environne les Corps, & dans les mouvemens conspirans de leurs parties.

45§. 205. Le Père Mallebranche à combattu l’explication que Descartes donnoit de la cohésion, en niant qu’il y eût aucune force dans les Corps en repos, & cela, dit-il, G: Marginal note: Recherche de la Verité. Livre 6. ch. 9. parce qu’il ne faut point de force pour ne rien faire; ainsi ce Philosophe n’admettoit point de force résistante dans la matière, en quoi il se trom[221]poit, car vous avez vu (§. 142), que sans la force résistante, qu’on appelle force dinertie, il n’y auroit point de raison suffistante de la communication du mouvement, aussi tous les Philosophes reconnaissent-ils aujourdhui que cette force appartient à toute la matière.

46 Le Père Mallebranche après avoir refusé, par la raison que je viens de dire d’admettre le repos des Corps pour la cause de leur cohésion, l’attribue à la pression de la matière qui les environne, ainsi l’erreur le conduisit à la vérité.

47 Les Newtoniens expliquent la cohésion & la dureté des Corps par l’attraction mutuelle qu’ils supposent entre leurs parties: je vous dirai dans le Chapitre 16, comment ces Philosophes font opérer à l’attraction la plupart des phénomènes, & je vous y expliquerai les raisons qui doivent faire rejetter cette cause; mais vous voiez déja que le principe de la raison suffisante ne vous permet pas de l’admettre ici pour expliquer la cohésion des Corps, avant que l’on vous ait prouvé son éxistence.

48§. 206. Lorsque le contact des parties des Corps, & par conséquent leur cohésion diminue, les Corps deviennent mous, & si ce G: Paragraph summary: Comment un corps devient fluide. contact cesse entierement, les Corps deviennent fluides; ainsi lorsque les particules de matière constante qui composent un Corps, viennent à être séparées l’une de l’autre par [222] une matière qui se meuve à travers avec rapidité, ensorte qu’il n’y ait plus aucun contact entre ces particules, ce Corps devient fluide; & lorsque ces parties commencent à se rapprocher, & que leur contact immédiat recommence, le Corps devient un Corps solide: le plomb subit successivement ces deux états, lorsqu’on l’expose au feu, & qu’on le laisse refroidir ensuite.

49 Quoique les corpuscules qui composent les Corps fluides, soient réellement séparés, cependant ils paraissent continus à l’œil, à cause de leur extrême subtilité, & de celle de la matière qui se meut entre leurs parties, qui fait que l’œil ne peut distinguer ces petites parties les unes des autres, d’ou nait leur continuité.

50 §. 207. Les Corps deviennent mous avant de devenir fluides, car le contact de leurs parties diminue peu à peu, avant de cesser entierement.

51 Cette séparation des parties qui composent les Corps, se fait par la matière variable qui passe dans leurs pores, laquelle se fraie de nouveaux chemins dans ces Corps, & rompt ainsi le contact de leurs parties.

52 Lorsque ce contact est entierement rompu, & qu’il n’y a plus aucune cohésion entre elles, ce Corps devient fluide, ainsi la cohésion cesse où la fluidité commence. [223]

53§. 208. Lorsqu’il ne peut s’introduire entre ces parties qu’une certaine quantité de cette matière, les Corps restent mous, & ne deviennent point fluides; mais ces Corps redeviennent durs, si cette matière se retire d’entre leurs parties, soit par l’action du feu, soit par l’évaporation de cette matière, soit par la compression du Corps dans les pores duquel elle s’est introduite.

54§. 209. La cohésion, la molesse, la fluidité, enfin toutes les qualités des Corps dont je vous ai parlé dans ce Chapitre, nous prouvent invinciblement que des matières très fines & très rapidement mues, opèrent presque tous les effets qui tombent sous nos sens, telles sont celles qui font la pesanteur, l’électricité, le magnétisme, &c. dont vous verrez dans la suite qu’on ne peut nier l’éxistence, quoiqu’elles échapent à nos sens, & qu’il soit souvent impossible à notre esprit de deviner le méchanisme qui opère tous ces effets, car bien qu’il n’arrive rien dans la Nature qui n’ait une raison méchanique, c’est-à-dire qui ne soit explicable par la matière, & le mouvement, cependant rien n’est souvent plus difficile que d’appliquer ces principes méchaniques aux effets physiques, & de les expliquer par leur moien.

55 Mais quelque difficile que soit cette explication, il faut, ou renoncer à rendre raison [224] des phénomènes, ou le faire par ces principes, puisque ce sont les seuls par lesquels on puisse les expliquer d’une manière intelligible.

56 On ne doit pas sans doute en abuser, & pour expliquer méchaniquement les effets naturels, supposer des mouvemens, & des matières à son gré, sans s’embarasser de prouver leur éxistence, comme ont fait plusieurs Philosophes, & en particulier Mr. Hartsoeker, qui avoit supposé deux sortes délemens, l’un parfaitement dur, & l’autre parfaitement fluide, par le moien desquels il prétendoit expliquer tous les phénomènes; mais Mr. de Leibnits lui fit voir, que ces deux matières dont il composoit le Monde, n’étoient qu’une fiction contraire au principe de la raison suffisante, car ce principe est la pierre de touche qui distingue la vérité de l’erreur. Ceux qui connaissent la diversité qui regne dans la Nature, & de quel méchanisme admirable elle se sert pour les effets qui nous paraissent les plus simples, ne fixent point ainsi par une hypothèse téméraire le nombre & les qualités des ressorts quelle emploie, mais ils ne reçoivent que ceux dont l’expérience, ou des raisonnemens inébranlables démontrent l’éxistence.

57 §. 210. La raison prémière de tout ce que nous observons dans les Corps, se trouvant à la fin dans les élemens (§. 125), toutes les proprié[225]tés des Corps y sont originairement fondées, ainsi l’union des élémens est la raison prémière de la cohésion des Corps, G: Paragraph summary: Nécessité d’admettre les Etres simples pour trouver la raison prémière des phénoménes ce qui fait sentir la nécessité d’admettre les Etres simples, car dans tous les autres Systêmes, lorsqu’on cherche la raison prémière des phénomènes, on ne peut se garantir de l’un de ces deux écueils, ou de remonter à l’infini par une gradation de causes enchainées les unes aux autres, ou d’avoir recours à une volonté arbitraire du Créateur, ce qui est également embarassant. (§. 49); ainsi les êtres simples, dont je vous ait prouvé l’existence a priori dans le Chapitre 7, le sont encore a posteriori, par le besoin qu’on a de ces élémens, pour éviter les difficultés insolubles dans lesquelles on s’embarasse dans les autres Systêmes, lorsqu’on veut trouver la source prémière des effets qui nous entourent.