CHAPTER FIVE

Fifth Chapter (Version F: First Printed Version, Paris 1740)

Chapitre V.

De l’Espace

§. 72.

1[90] LA question sur la nature de l’Espace est une des plus fameuses qui ait partagé les Philosophes anciens & modernes; aussi est-elle une des plus essentielles par l’influence qu’elle a sur les plus importantes vérités de Physique & de Métaphysique.

2F: Paragraph summary: Définitions de l’Espace très-opposées.; Définitions très-opposées de l’espace. EQuelques-uns ont dit: l’Espace n’est rien hors des choses, c’est une abstraction mentale, un Etre idéal, ce n’est que l’ordre des choses en tant qu’elles coéxistent, & il n’y a point d’Espace sans corps. D’autres au contraire ont soutenu, que [91] l’Espace est un Etre absolu, réel, & distinct des corps qui y sont placés, que c’est une étenduë impalpable, pénétrable, non solide, le vase universel qui reçoit les Corps qu’on y place; en un mot, une espéce de fluide immateriel & étendu à l’infini, dans lequel les Corps nagent. F: Paragraph summary: La moitié des Philosophes a crû, & croit encore l’espace vuide, & l’autre le croit rempli de matiére. Les premiers ont allégué plusieurs raisons Métaphysiques pour soutenir leur opinion, & les autres, l’idée que l’imagination se peut former de l’Espace, & ils ont appuyé cette idée, que l’imagination se forme, de beaucoup d’objections contre l’opinion contraire, tirées des Phenoménes, & sur-tout de la difficulté qu’il y a G: à concevoir que le mouvement puisse s’exécuter dans le plein absolueque les Corps se meuvent dans le plein absolu.

3 §. 73. Le sentiment d’un Espace distingué de la matiére a été autrefois soutenu par Epicure, Démocrite & Leucippe, qui regardoient l’Espace comme un Etre incorporel, impalpable, & incapable d’Action & de passion. Gassendi a renouvellé de nos jours cette opinion, & le célébre Locke dans son Livre de l’Entendement Humain, ne distingue l’Espace pur des Corps qui le remplissent, que par la pénétrabilité: ce Philosophe fait dériver la véritable notion de l’Espace, de la vûë & du contact, parce que, dit-il, on ne peut ni le voir ni le toucher, mais on voit & on touche les Corps.

4 M. Keill dans son Introduction à la véritable Physique, G: de même que aussi-bien que tous les Disciples du Livre de l’Entendement Humain, a sou-[92]tenu G: cette opinion la même opinion; il a même donné des Théoremes, par lesquels il prétend prouver que toute la matiére est parsemée de petits espaces ou interstices absolument vuides, & qu’il y a dans les Corps beaucoup plus de vuide que de matiére solide. G: Paragraph summary: Le principe de la raison suffisante bannit le vuide de l’Univers. Mais le vuide disseminé repugne aussi bien que les atomes, au principe de la raison suffisante, ainsi il ne peut-être admis; en effet si les petits atomes ou particules premieres de la matiére nageoient dans le vuide, leur grandeur & leur figure seroient sans raison suffisante; car la figure limite l’étendue, & l’actualité d’une figure quelconque devient compréhensible, lorsqu’on peut expliquer comment & pourquoi l’étenduë est limitée. Or l’on s’apperçoit bien que le vuide ne renferme point cette raison, parce qu’il ne contient rien par où l’on puisse comprendre pourquoi les particules ont une figure quelconque plûtôt que toute autre figure possible, & pourquoi elles sont d’une certaine grandeur. Il faut donc chercher cette raison dans les Corps extérieurs environans, car la figure est un mode de l’étenduë: G: ainsi on est obligé de remplir ces interstices vuides pour satisfaire au principe de la raison suffisante, & d’admettre une matière environnante qui limite les parties de l’étendue, & qui soit la raison de leurs différentes figures on est donc obligé d’admettre une matiére environante qui limite les parties de l’étenduë, & qui soit la raison de leurs différentes figures; ainsi il faut remplir les interstices vuides pour satisfaire au principe de la raison suffisante.

5 L’autorité de M. Newton a fait embrasser l’opinion du vuide absolu à plusieurs Mathematiciens. Ce grand homme croyoit, au rapport [93] de M. Locke, qu’on pouvoit expliquer F: Marginal note: Traduction de Locke pag. 521. Note 2. la création de la matiére par l’Espace, en se figurant que Dieu auroit rendu plusieurs parties de l’Espace impénétrables: on voit dans le Scholium generale qui est à la fin des principes de F: Paragraph summary: Opinion singuliére de M. Newton sur l’espace. Monsieur Newton, qu’il croyoit que l’Espace étoit l’immensité de Dieu, il l’appelle dans son Optique G: son Sensorium le Sensorium de Dieu; c’est-a-dire, ce, par le moyen de quoi Dieu est présent à toutes choses.

6 §. 74. F: Marginal note: Commercium Epistolicum. M. Clarke s’est donné beaucoup de peine pour soutenir les sentimens de M. Newton, & les siens propres sur l’Espace absolu, contre M. de Leibnits, qui prétendoit que l’Espace n’étoit que l’ordre des choses coéxistantes.

7 F: Paragraph summary: Dispute de M. de Leibnits, & du Docteur Clarke sur l’Espace. Il est certain que si, on consulte le principe de la raison suffisante que j’ai établi dans le premier Chapitre, on ne peut se dispenser d’avoüer que M. de Leibnits avoit raison de bannir l’Espace absolu de l’Univers, & de regarder l’idée que quelques Philosophes croyent en avoir, comme une illusion de l’imagination; car non-seulement il n’y auroit, G: comme vous venez de le voir comme on vient de le voir, aucune raison de la limitation de l’étenduë; mais, si l’Espace est un Etre réel & subsistant sans les Corps, & qu’on puisse les y placer; il est indifférent dans quel endroit de cet Espace similaire on les place, pourvû qu’ils conservent le même ordre entre eux: ainsi il n’y auroit point eû de raison suffisante pourquoi Dieu au-[94]roit placé l’Univers dans la place où il est maintenant, plûtôt que dans toute autre, puisqu’il pouvoit le placer dix mille lieuës plus loin, & mettre l’Orient où est l’Occident; G: ou bien enfin le renverser, en faisant ou bien il pouvoit le renverser, faisant garder aux choses la même situation entre elles.

8 M. Clarke sentit bien la force de ce raisonnement, & il ne put y G: répondre opposer autre chose, sinon, G: qu’il n’y a d’autre raison de la place de l’Univers dans l’espace, que la volonté de Dieu que la simple volonté de Dieu étoit la raison suffisante de la place de l’Univers dans l’Espace, & qu’il n’y en avoit point d’autre: mais on sent bien que cet aveu fait crouler son opinion, & découvre le G: faible foible de sa cause; car Dieu ne sauroit agir dans des raisons prises dans son Entendement, & sa volonté doit toujours se déterminer avec raison. Ainsi être obligé de recourir à une volonté arbitraire de Dieu, laquelle G: ne seroit point fondée n’est point fondée sur une raison suffiante, c’est être réduit à l’absurde. Not in G Ainsi, la raison de la place de l’Univers dans l’Espace, & celle E: des limites G: des limites du limite de l’étenduë n’étant ni dans les choses mêmes, ni dans la volonté de Dieu, on doit conclure que l’hipothése du vuide est fausse, & qu’il n’y en a point dans la Nature.

9 G: Ainsi le Le raisonnement de M. Leibnits contre l’Espace absolu est Not in Gdonc sans replique, & l’on est forcé d’abandonner cet Espace, G: ou de renoncer si l’on ne veut point renoncer au principe de la raison suffisante, c’est-à-dire, au fondement de toute vérité.

10 §. 75. F: Paragraph summary: Difficultés qui naissent de l’opinion de l’Espace pur. Il y a encore une grande absurdité à [95] dévorer dans l’opinion de l’Espace absolu, c’est que tous les attributs de Dieu lui conviennent; car cet Espace, s’il étoit possible, seroit réellement infini, immuable, incréé, nécessaire, incorporel, présent par tout. G: aussi s’est-il trouvé des Philosophes qui ont prétendu C’est en partant de cette supposition que M. Raphson à voulu démontrer géométriquement que l’Espace est un attribut de Dieu, & qu’il exprime son essence infinie & illimitée: & c’est effectivement ce qui suit Not in G très-naturellement de la supposition de l’Espace absolu, quand on l’a une fois admise.

11 §.76. F: Paragraph summary: Trois principales objections contre le plein, ausquelles il est facile de répondre. On fait trois objections principales, contre le plein absolu, ausquelles il est aisé de répondre; la premiere, roule sur l’impossibilité apparente du mouvement dans le plein; la seconde, sur la différente pésanteur des différens Corps; & la troisiéme, sur la résistance de la matiére par laquelle les Corps qui se meuvent dans le plein, doivent perdre leur mouvement en très-peu de tems.

12 On répond à la premiere Objection, que le mouvement est possible dans le plein à cause du mouvement circulaire, par lequel les parties environnantes succedent au Corps qui se meut en occupant la place qu’il abandonne: la seconde Objection, est fondée sur cette supposition, que toute matiére est pésante, mais c’est ce qui est entierement faux; G: car puisque tout est plein, suivant le principe de la raison suffisante, il faut que la pesanteur soit l’effet du choc d’une matière environnante : or cette matière ne doit pas être pesante, car par le principe de la raison suffisante, la pésanteur est l’effet du choc d’une matiére environnante: or cette matiére [96] n’est pas pésante; car si elle l’étoit, il faudroit recourir à une autre matiére qui la choquât, & remonter ainsi à l’infini, G: or comme il n’y a nulle contradiction à suposer de la matière non pesante, on ne peut abandonner pour cette objection, tirée de la différente pesanteur des corps, le principe de la raison suffisante qui bannit le vuide de l’Univers, & qui fait voir que la matière qui est la cause de la pesanteur ne doit pas être pesante. & ainsi cette Objection fondée sur la pesanteur générale de la matiére ne peut subsister. G: Here a new paragraph begins in G. Enfin, G: la troisième objection ne porte que sur la matière sans mouvement, & pour ainsi dire morte ; mais lorsqu’on dans la troisiéme, on ne considére que la matiére morte & sans mouvement, & alors les raisonnemens que l’on fait sur sa résistance sont très-solides: mais ils ne prouvent rien, si on considére la matiére vivifiée par le mouvement, telle qu’elle l’est en G: on voit que cette objection n’a pas plus de force que les deux autres; effet; car une matiére très-fine & muë en tout sens, peut se mouvoir avec une telle rapidité, qu’elle n’apportera aucune résistance sensible au mouvement des Corps placés dans cette matiére; ainsi, on aura un vuide physique, qui sera le Phenoméne qui résulte de la finesse & du mouvement très-rapide de cette matiére: or E: ce G: ce le vuide est tout ce que prouvent les expériences dont on fait des objections invincibles contre le plein.

13 §. 77. F: Paragraph summary: Comment nous nous formons l’idée de l’Espace, & de ses propriétés. Il ne sera pas inutile d’éxaminer ici comment nous venons à nous former les idées de l’étenduë, de l’Espace, & du continu; cet examen servira à vous découvrir la source des illusions que l’on s’est fait sur la nature de l’Espace, & à vous en préserver à l’avenir.

14 Nous sentons que, lorsque nous considérons deux choses comme différentes, & que nous les distinguons l’une de l’autre, nous les plaçons dans notre esprit l’une hors de l’autre; [97] ainsi, nous voyons comme hors de nous tout ce que nous regardons comme différent de nous, les exemples s’en presentent en foule. Si nous nous représentons dans notre imagination un édifice que nous n’aurons jamais vû, nous nous le représentons comme hors de nous, quoique nous sachions bien que l’idée que nous en avons éxiste en nous, & qu’il n’y a peut-être rien d’éxistant de cet édifice hors de notre idée; mais nous nous le représentons comme hors de nous, parce que nous savons qu’il est différent de nous; de même, si nous représentons idéalement deux hommes, ou que nous repétions dans notre esprit la représentation du même homme deux fois, nous les plaçons l’un hors de l’autre, parce que nous ne pouvons point forcer notre esprit à imaginer qu’ils sont un, & deux, en même tems.

15 Il suit de-là que nous ne pouvons point nous représenter plusieurs choses différentes comme faisant un, sans qu’il en résulte une notion attachée à cette diversité & à cette union des choses, & cette notion nous la nommons Etenduë; ainsi, nous donnons de l’étenduë à une ligne, en tant que nous faisons attention à plusieurs parties diverses que nous voyons comme éxistant les unes G: hors de autres hors des autres, qui sont unies ensemble, & qui font par cette raison un seul tout.

16 Il est si vrai que la diversité & l’union font naître en nous l’idée de l’étenduë, que quelques Philosophes ont voulu faire passer notre [98] ame pour quelque chose d’étendu, parce qu’ils y remarquoient plusieurs facultés différentes, qui cependant constituënt un seul sujet; en quoi ils se trompoient: c’est abuser de la notion de l’étenduë, que de regarder les attributs & les modes d’un Etre comme des Etres séparés, éxistans les uns hors des autres; car ces attributs & ces modes sont inséparables de l’Etre qu’ils modifient.

17 Puisque nous nous représentons dans l’étenduë plusieurs choses qui éxistent les unes hors des autres, & font un par leur union, toute étenduë a des parties qui éxistent les unes hors des autres & qui font un, & dès que nous nous représentons des parties G: Here in G a foonote is added: On ne doit pas entendre ici par des parties diverses, des parties differentes, mais des parties dont l’une n’est pas l’autre, car c’est tout ce que l’on considère dans la notion de l’étendue. diverses, & unies, nous avons la notion d’un Etre étendu.

18 §. 78. Pour peu que l’on fasse attention à cette notion de l’étenduë, on s’apperçoit que les parties de l’étenduë, considérées par abstraction, & sans faire attention ni à leurs limites, ni à leurs figures, ne doivent avoir aucune différence interne ; elles doivent être similaires, & ne différer que par le nombre: car puisque pour former l’idée de l’étenduë, on ne considére que la pluralité des choses & leur union, d’où naît leur éxistance l’une hors de l’autre, & que l’on exclut toute autre détermination, toutes les parties étant les mêmes quant à la pluralité & à l’union, G: on peut l’on peut substituer l’une à la place de l’autre, sans détruire ces deux déterminations [99] de la pluralité, & de l’union, G: auxquelles ausquelles seules on fait attention, & par conséquent deux parties quelconques d’étenduë ne peuvent différer G: qu’entant qu’en tant qu’elles sont deux & non pas une. Ainsi toute l’étenduë doit être conçûë comme étant uniforme, similaire, & n’ayant point de détermination interne, qui en distingue les parties les unes des autres; puisqu’étant posées comme l’on voudra, il en résultera toujours le même Etre, & c’est de-là que nous vient l’idée de l’Espace absolu que l’on regarde comme similaire, & indiscernable.

19 Cette notion de l’étenduë est encore celle du corps géométrique; car que l’on divise une ligne, comme & en autant de parties que l’on voudra, il en résultera toujours la même ligne en rassemblant ses parties, quelque transposition que l’on fasse entre elles: il en est de même des surfaces & des corps géométriques.

20 §. 79. Lorsque nous nous sommes ainsi formé dans notre imagination un Etre, de G: la pluralité des choses la diversité de l’éxistence de plusieurs choses & de leur union, l’étenduë, qui est cet Etre imaginaire, nous G: parait paroît distincte du tout réel, dont nous l’avons séparée par abstraction, & nous nous figurons qu’elle peut subsister par elle-même, parce que nous n’avons point besoin, pour la concevoir, des autres déterminations que les Etres, que l’on ne considére G: qu’entant qu’en tant qu’ils sont divers & unis, peuvent renfermer; car [100] notre esprit appercevant à part les déterminations, qui constituent cet Etre idéal que nous nommons étenduë, & concevant ensuite les autres qualités que nous en avons séparées mentalement, & qui ne font plus partie de l’idée que nous avons de cet Etre, il nous semble que nous portons toutes ces choses dans cet Etre idéal, que nous les y logeons, & que l’étenduë les reçoit & les contient, comme un vase reçoit la liqueur qu’on y verse. Ainsi, en tant que nous considérons la possibilité qu’il y a, que plusieurs choses différentes puissent éxister ensemble dans cet Etre abstrait, que nous nommons étenduë, nous nous formons la notion de l’Espace, G: comme du lieu qui contient tous les Etres, mais cette idée n’est en effet qui n’est en effet que celle de l’étenduë jointe à la possibilité de rendre aux Etres coëxistans & unis, dont elle est formée, les déterminations dont on les avoit d’abord dépoüillées par abstraction. Ainsi, l’on a raison de F: Paragraph summary: L’Espace est l’ordre des choses qui coëxistent. définir l’Espace, l’ordre des Coëxistans, c’est-à-dire, la ressemblance dans la maniére de coëxister des Etres: car l’idée de l’Espace naît de ce que l’on ne fait uniquement attention qu’à leur maniére d’éxister l’un hors de l’autre, & que l’on se représente que cette coëxistance de plusieurs Etres, produit un certain ordre ou ressemblance dans leur maniére d’éxister; ensorte qu’un de ces Etres étant pris pour le premier, un autre devient le second, un autre le troisiéme, &c. [101]

21 §. 80. On voit bien que cet Etre idéal d’étenduë, que nous nous formons de la pluralité & de l’union de tous ces Etres, doit nous paroître une substance: car, en tant que nous nous figurons plusieurs choses éxistantes ensemble, G: cet Etre que nous en avons formé nous & dépouillées de toutes déterminations internes, cet Etre nous paroît durable; & en tant qu’il est possible par un acte de l’entendement de rendre à ces Etres les déterminations dont nous les G: avons avions dépouillés par abstraction, il semble à l’imagination que nous y transportons quelque chose qui n’y étoit pas; & alors cet Etre nous paroît modifiable. (§. 52.) Ainsi, nous sommes portés à nous représenter l’Espace comme une substance indépendante des Etres qu’on y place.

22 §. 81. F: Paragraph summary: Ce que l’on appelle continu. Nous appellons un Etre continu lorsqu’il a des parties rangées les unes auprès des autres, ensorte qu’il soit impossible d’en ranger d’autres entre deux dans un autre ordre, & généralement on conçoit de la continuité par tout où on ne peut rien placer entre deux parties. Ainsi, nous disons que le poli d’une glace est continu, parce que nous ne voyons point de parties non polies entre celles de cette glace, qui en interrompent la continuité, & nous appellons le son d’une trompette continu, lorsqu’il ne cesse point, & qu’on ne peut point mettre d’autres sons entre deux: mais lorsque deux parties d’étenduë se touchent sim-[102]plement & ne sont point liées ensemble, ensorte qu’il n’y a point de raison interne, comme celle de la cohésion G: cohésion, par exemple, qui empêche de les séparer, & de mettre ou de la pression des Corps environnans, pourquoi one ne pourroit point les séparer, & mettre quelque’autre chose entre deux, alors on les nomme contigues. Ainsi, dans le contigu, la séparation des parties est actuelle, au lieu que dans le continu, elle n’est que possible; deux hémisphéres de plomb par exemple, sont deux parties actuelles de la boule dont ils sont les moitiés, & qui est actuellement séparée & divisée en deux parties qui deviendront contigues, si on les place l’une auprès de l’autre; ensorte qu’il n’ y ait rien entre deux: mais si on les réunissoit par la fusion en un seul tout, ce tout deviendroit un continu, & ses parties seroient alors simplement possibles, en tant que l’on conçoit qu’il est possible de séparer cette boule en deux hémisphéres, comme avant la fusion.

23 On comprend par-là que l’Espace doit nous paroître continu; car nous admettons de l’Espace en tant que nous nous représentons, qu’il est possible que plusieurs Corps ABC. coéxistent. Or si les Corps ne sont G: pas continus point contigus, on en pourra placer un ou plusieurs entre deux, & par là même on admet de l’Espace entre deux: ainsi, on doit G: se représenter l’espace considerer l’Espace comme continu, Not in G.soit que la coéxistence contigue des Corps ABC. soit actuelle, soit qu’elle soit simplement possible. [103]

24 G: mais le principe de la raison suffisante, nous faisant avoir qu’il ne peut y avoir aucun espace vide, il en résulte que la continuité des corps est actuelle, & que Le principe de la raison suffisante nous fait voir, comme je l’ai déja dit ci-dessus, que cette contiguité est actuelle, & qu’il ne peut y avoir aucun Espace vuide, ensorte que les Etres qui éxistent, coéxistent, de façon qu’il n’est pas possible de mettre rien de nouveau dans l’Univers.

25 §. 82. G: L’Espace doit aussi De même l’Espace doit nous paroître vuide & pénétrable: il nous paroît vuide en tant que nous faisons abstraction de toutes les déterminations internes des G: coéxistans coéxistences; car alors il nous semble qu’il ne reste rien dans cet Espace: & il nous paroît pénétrable, G: lorsque nous rendons aux Etres ces déterminations dont nous les avions dépouillés, car il est possible que nous appliquions notre esprit seulement à la manière de coéxister des Etres, & il est possible aussi que nous appliquions à la fois notre attention à cette manière de coéxister, & aux déterminations internes des Etres qui coéxistent, & alors nous appercevons, outre l’espace, qui est leur manière d’éxister les uns hors des autres, quelque chose que nous n’appercevions pas auparavant, lorsque nous considérons cet espace seul, & par conséquent il nous semble que ces choses y sont entrées, & y ont été placées par un agent externe à ces choses, voila comment l’espace nous parait pénétrable.parce que nous étant possible d’appliquer notre attention à la fois à la maniére d’éxister, & aux déterminations internes des Etres qui éxistent, nous appercevons alors, outre l’Espace qui est leur maniére d’éxister l’un hors de l’autre, quelques choses que nous n’appercevions pas auparavant lorsque nous considérions cet Espace seul, & par conséquent il doit nous paroître comme si ces choses y étoient entrées, & y avoient été placées par un Agent externe.

26 §. 83. G: Nous devons aussi nous représenter l’espace comme immuable L’Espace doit aussi nous paroître immuable; car nous sentons que nous pouvons G: toujours rendre rendre aux différens Coéxistans les déterminations dont nous les G: avons avions dépouillés, & nous sentons même que nous ne pouvons G: point jamais concevoir G: qu’il nous soit jamais impossible de les leur rendre que nous ne puissions point leur [104] rendre ces déterminations: donc nous ne pouvons point ôter l’Espace, puisqu’il faut toujours qu’il reste la même chose que nous aurions ôtée, c’est à dire, de l’Etendue capable de recevoir ces déterminations. Ainsi, lorsque nous avons dépouillé les Etres coéxistans de toutes leurs déterminations, nous ne pouvons plus faire d’abstraction, ni nous former un Etre idéal, qui renferme moins que celui que nous avons déja fait, en ne conservant que la coéxistence des Etres: car de considérer la maniére d’éxister, & rien que cela, c’est la moindre abstraction que l’on puisse faire, & il faut ou la garder, ou se représenter tout à fait rien. L’Espace doit donc nous paroître immuable: d’où il découle qu’il doit nous paroître éternel, puisqu’on ne peut jamais l’ôter.

27 §. 84. Il doit encore nous paroitre infini, car nous admettons autant d’Espace que nous concevons de possibilité d’éxister; or comme des Coéxistans dépouillés de toutes déterminations, tels qu’on le conçoit pour se former l’idée de l’Etendue & de l’Espace, ne renferment rien qui G: puisse nous empêcher de placer continuellement empêche qu’on puisse continuer de placer de ces Coéxistans les uns hors des autres, on en conçoit en effet à l’infini, & par cette raison l’Espace doit paroître une Etendue infinie, & illimitée.

28 §. 85. Voilà l’origine de toutes les proprié-[105]tés que l’on donne à l’Espace, quand on dit que c’est une Etendue similaire, uniforme, continue, qu’il est subsistant par lui-même, pénetrable, immuable, éternel, infini, &c. enfin, le vase universel qui contient toutes choses: mais avec un peu d’attention on voit que toutes ces prétenduës proprietés, ainsi que l’Etre dans lequel nous les supposons, n’ont de réalité que dans les abstractions de notre esprit, & qu’il n’éxiste ni ne peut éxister rien de semblable à cette G: In G, the paragraph continues: Cette explication, de la façon dont nous formons l’idée de l’espace & de ses prétendues propriétés, fait tomber tous les raisonnemens que l’on a coutume d’en tirer pour prouver la possibilité du vuide: le vuide, dit-on, est possible, puisqu’on en a une idée claire, car tout ce que l’on conçoit clairement, est possible. De plus, ajoute-t-on, le vuide a des propriétés, il est étendu, infini, immuable, pénétrable, &c. or ce qui est impossible n’a point de propriétés, donc le vuide est possible; mais je me flatte que vous voiez aisément que tous ces argumens roulent sut des suppositions que j’ai détruites en faisant voir, que l’idée du vuide n’est autre chose que celle de la matière dépouillée de toutes ses déterminations, hors de celle d’étendue, & que toutes ces prétendues propriétés du vuide ne sont fondées que sur les abstractions de notre esprit, ce qui doit vous faire sentir combien on est sujet à se tromper quand on prend pour possible tout ce dont on croit avoir une idée claire, & combien la définition que je vous ai donnée du possible, & de l’impossible (§. 5.), est préférable à toutes les autres.idée.

29 §. 86. F: Paragraph summary: Utilité des abstractions.G: Ce pouvoir qu’a notre espritNotre esprit a donc le pouvoira de se former par abstraction des Etres imaginaires, qui ne contiennent que les déterminationsque nous voulons examiner, & d’exclure de ces Etres toutes les autres déterminations, par le moyen desquelles ils peuvent être conçûs d’une autre G: manière, est d’une grande utilité dans la méditation, car maniére. Cette façon de méditer est très-utile; car alors l’imagination secourt l’Entendement, & lui aide à contempler son idée, il faut seulement prendre garde qu’elle ne l’égare pas; car les notions imaginaires, qui aident infiniment G: dans nos recherches, viennent très-dangereuses, lorsque nous les prenons pour des réalités dans la recherche des vérités qui dépendent des déterminations, qui constituent ces Etres que l’imagination a formés, deviennent très-dangereuses, lorsqu’on les prend pour des réalités. Ainsi, quand on veut mesurer une distance, on peut se la représenter comme une Ligne sans largeur ni épaisseur, & sans aucune détermination interne, on peut de même [106] considérer une largeur, une étenduë, sans épaisseur, quand on ne veut pas considérer le reste; & pourvû que l’on ne s’imagine pas qu’il éxiste rien de semblable à ces abstractions de notre esprit, ces fictions l’aident à trouver de nouvelles vérités & de nouveaux rapports; car il a rarement assez de force pour contempler les F: In the bottom margin, the corresponding footnote is as follows: On appelle Concret, le sujet dont on fait l’abstraction, & Abstrait, ce que l’on sépare de ce sujet par cette abstraction. Abstraits* dans les Concrets, sans être distrait par la multiplicité des choses qu’il faut qu’il se représente. Aussi toutes les Sciences, & surtout les Mathématiques, sont-elles pleines de ces sortes de fictions, qui sont un des plus grands secrets de l’art d’inventer, & une des plus grandes ressources pour la solution des Problêmes les plus difficiles, ausquels l’Entendement seul ne peut souvent G: atteindre; atteindre? Ainsi, il faut donner place à ces notions imaginaires, toutes les fois qu’on peut les substituer à la place des notions réelles sans préjudice de la verité, comme on se sert du sistême de Ptolomée pour resoudre plusieurs Problêmes d’Astronomie, dont la solution deviendroit beaucoup plus difficile par le sistême de Copernic, parce que l’on peut dans ces cas substituer une hipothese à l’autre, sans faire tort à la vérité.

30 §. 87. Quoique nous puissions considérer [107] l’Etenduë, sans faire attention aux déterminations des Etres qui la constituent, & que nous acquerions par ce moyen l’idée de l’Espace, cependant, comme l’Abstrait ne peut subsister sans un Concret, c’est-à-dire, sans un Etre réel & déterminé duquel on fait l’abstraction, il est certain qu’il n’y a d’Espace qu’en tant qu’il y a des choses réelles & coëxistantes; & sans ces choses il n’y auroit point d’Espace : cependant, l’Espace n’est pas les choses mêmes, c’est un Etre qu’on en a formé par abstraction, qui ne subsiste point hors des choses, mais qui n’est pourtant pas la même chose que les sujets, dont on a fait cette abstraction; car ces sujets renferment une infinité de choses qu’on a négligées en formant l’idée de l’Espace. F: Paragraph summary: L’Espace est aux Etres, comme le nombre aux choses nombrées. Ainsi, l’Espace est aux Etres réels, comme les Nombres aux choses nombrées, lesquelles choses deviennent semblables, & forment chacune une unité à l’égard du Nombre, parce qu’on fait abstraction des déterminations internes de ces choses, & qu’on ne les considére qu’en tant qu’elles peuvent faire une multitude, c’est-à-dire, plusieurs unités; car sans une multitude de choses qu’on compte, il n’y auroit point de Nombres réels & éxistants, mais seulement des Nombres possibles. Ainsi, de même qu’il n’y a pas plus d’unités réelles, qu’il n’y a de choses actuellement éxistantes, il n’y a pas non plus d’autres parties actuelles de l’Espace, que celles que les choses étenduës actuellement éxistantes désignent, & on ne peut ad-[108]mettre des parties dans l’Espace actuel qu’entant qu’il existe des Etres Not in G. réels qui coéxistent les uns avec les autres : ceux donc qui ont voulu appliquer à l’Espace actuel les démonstrations qu’ils avoient déduites de l’Espace imaginaire, ne pouvoient manquer de s’embarrasser dans des Labyrinthes d’erreurs dont G: il leur étoit impossible de ils ne pouvoient trouver l’issue.

31 §. 88.F: Paragraph summary: Définition du lieu On appelle G: le Lieu d’un le lieu ou la place d’un Etre, sa maniere déterminée de coéxister avec les autres Etres : ainsi, Not in G. lorsque nous faisons attention à la maniere dont une table existe dans une chambre avec le lit, les chaises, la porte, &c. G: détermine le lieu de cette table dans cette chambre, & nous disons que cette table a une place, & un autre Etre occupe G: le même lieu la même place que cette table lorsqu’il obtient la même maniere de coéxister qu’elle avoit avec tous les Etres.

32 Cette table change de G: lieu place, lorsqu’elle obtient une autre situation à l’égard de ces mêmes choses, qu’on regarde comme n’en ayant point changé. Ainsi, pour que l’on puisse assûrer qu’un Etre a changé de lieu, & pour qu’il en change réellement, il faut que la raison de son changement, c’est-à-dire, la force qui l’a produit, soit en lui dans le moment qu’il se rémue, & non dans les coéxistans; car si on ignore où est la véritable raison du changement, on ignore aussi lequel de ces Etres a changé de G: lieu place: c’est par cette raison que nous n’avons point de [109] démonstration proprement dite qui décide si c’est le Soleil qui tourne autour de la Terre, ou la Terre autour du Soleil; parce que les apparences sont les mêmes dans les deux suppositions.

33 §. 89. F: Paragraph summary: Du lieu absolu & du lieu relatif. On distingue ordinairement le lieu d’un corps, en lieu absolu, & lieu relatif; le lieu absolu est celui qui convient à un Etre, entant qu’on considere sa maniere d’exister avec l’univers entier considéré comme immobile; & son lieu relatif est sa maniere de coéxister avec quelques Etres particuliers. Ainsi, on peut concevoir que le lieu absolu change sans que le lieu relatif soit changé; & cela arrive lorsqu’une certaine quantité d’Etres changent leur lieu absolu sans changer leur situation les uns à l’égard des autres, comme un homme qui navigue dans un batteau, par exemple; car si cet homme, ni aucune chose de ce qui est dans le batteau ne remuë, tandis que le batteau s’éloigne du rivage, le lieu relatif de cet homme & de tout ce qui est dans le batteau ne change point; mais leur lieu absolu change à tout moment: car toutes les parties de ce batteau changent également leur maniere d’exister par rapport au rivage qu’on regarde comme immobile. Mais si cet homme se promenoit dans ce batteau, il changeroit son lieu relatif & son lieu absolu en même tems. [110]

34 Puisque le lieu n’est que la maniere d’exister d’un Etre avec plusieurs autres, on voit bien que le lieu n’est pas la chose placée elle-même; mais qu’il differe de la chose placée comme un abstrait de son concret; car lorsqu’on considere le lieu d’un Etre, on fait abstraction de toutes ses déterminations internes & de celles de ses coéxistants: & on ne considere alors que leur maniere présente de coéxister, & la possibilité qu’il y a qu’ils coéxistent de plusieurs autres manieres: on fait même abstraction de la figure & de la grandeur des Corps; & l’on considere leur lieu comme un point. Car puisque nous déterminons la maniere d’exister d’un Etre par sa distance à ses coéxistans, & que ces distances sont mesurées par des lignes droites, les extrémités des lignes étant des points, le lieu doit être consideré comme un point.

35 §. 90. F: Paragraph summary: Comment on détermine le lieu d’un Etre. On détermine un lieu par les distances d’un Etre à deux ou plusieurs Etres coéxistans; lesquelles distances ne peuvent convenir à aucun autre Etre dans le même moment. Ainsi, par exemple, on détermine un lieu sur la surface de la Terre, par l’intersection de la ligne de longitude, & de celle de latitude, parce qu’il n’y a qu’un seul point auquel cette distance des lieux que l’on a pris comme fixes pour en tirer ces lignes, puisse convenir: c’est de la même façon que dans l’Astronomie on dé-[111]termine les lieux des Etoiles par l’intersection de deux cercles.

36 §. 91. On s’apperçoit qu’un Etre a changé de lieu, lorsque sa distance à d’autres Etres immobiles, du moins pour nous, est G: changée changé. Ainsi, on a fait des catalogues des fixes pour sçavoir si une Etoile change de lieu, parce qu’on regarde les autres comme fixes, & qu’effectivement elles le sont par rapport à nous.

37 §. 92. F: Paragraph summary: Ce que l’on appelle place. On appelle place, l’assemblage de plusieurs lieux, c’est-à-dire tous les lieux des parties d’un Corps pris ensemble: ainsi, nous disons, la place d’un livre dans une bibliotheque d’où on le tire, parce que nous voyons que dans cette place toutes les parties de ce livre y peuvent exister ensemble; & nous disons: il n’y a pas assez de place pour ce livre, lorsque nous voyons que quelques parties de ce livre seulement y pourroient exister ensemble.

38 §. 93. F: Paragraph summary: Ce que c’est que situation. Enfin on appelle situation l’ordre que plusieurs coéxistans non contigus, observent dans leur coéxistance, ensorte que prenant l’un d’eux pour le premier, nous donnons G: une certaine une situation aux autres G: selon qu’ils en qui en sont éloignés Not in G. par rapport à celui-là: ainsi, prenant une maison dans une ville pour la premiere, toutes les autres obtiennent une situation à l’égard de cette [112] maison, parce qu’elles sont séparées les unes des autres, & qu’on peut déterminer leur situation par leur distance de celle qu’on a pris pour la premiere. Deux choses donc ont la même situation à l’égard d’une troisiéme lorsqu’elles en sont à la même distance; c’est par cette raison que l’on dit que tous les points d’une circonference ont la même situation à l’égard du centre, en tant qu’on peut mettre la même étendue G: entre-deuxentre deux.

How to cite:

CHAPTER FIVE, Version F. In: Du Châtelet, Émilie: Institutions de physique. The Paris Manuscript BnF Fr. 12265. A Critical and Historical Online Edition.
Edited by Ruth E. Hagengruber, Hanns-Peter Neumann, Aaron Wells, Pedro Pricladnitzky, with collaboration of Jil Muller. Center for the History of Women Philosophers and Scientists, Paderborn University, Paderborn. Version 1.0, April 4th 2024, URL: https://historyofwomenphilosophers.org/dcpm/documents/view/chapter_five/version/f/rev/1.0