CHAPTER EIGHT
Eighth Chapter (Version I: Second Printed Version, Amsterdam 1742)
CHAPITRE IX.
De la divisibilité de la Matière, & de la façon dont les Corps sensibles sont composés
§. 165.
1 [188] I: Marginal notre: Planche II. Fig. 6. 8. & 9. L’Etendue peut être considérée selon la longeur, la largeur, & la profondeur, ainsi la ligne A B. peut représenter l’étendue en longueur, la surface ABDE, l’étendue en largeur, & en longueur, & le cube ABCDEFGH l’etendue en longueur, largeur, & profondeur, ce sont là les trois dimensions de l’étendue. [189]
2 §. 166. Tout Corps a ces trois dimensions, & à parler avec exactitude, il n’y a que des solides dans la Nature; mais notre esprit ayant le pouvoir de faire des abstractions, nous pouvons considérer la longueur sans songer à la largeur ni à la profondeur; ou bien la longueur, & la largeur, sans faire attention à la profondeur; & c’est sur ces abstractions de notre esprit que la Géométrie est fondée: les superficies, les lignes & les points ne sont donc point matière; mais on les conçoit dans la matière par abstraction.
3 §. 167. I: Paragraph summary: Fig. 6. Comment nous pouvons nous former l’idée de la longueur, de la largeur, & de la profondeur. Cependant, on peut imaginer, pour aider l’imagination, & pour se former une idée distincte des trois dimensions de l’étendue, deux points A & B. distans l’un de l’autre, & supposer que le point A. allant trouver le point B. laisse, dans chaque partie de l’intervalle qui les sépare, une production de lui-même, il formera la ligne AB. que l’on suppose étendue en longueur seulement.
4 I: Marginal note: Fig. 7. On peut supposer ensuite que la ligne AD. coulant le long de la ligne AB. laisse une production d’elle-même dans tout le chemin, qu’elle parcourt pour arriver du point A. au point B. il s’en formera la surface ABDE. que l’on suppose étendue en longueur & en largeur.
5 I: Marginal note: Fig. 9. & 10. Enfin, si la ligne CE. coule le long de la surface ABCD. il s’en formera le solide [190] ABCDEFGH. lequel a les trois dimensions de la Nature, puisqu’il est étendu en longueur, largeur, & profondeur.
6 §. 168. I: Paragraph summary: De la divisibilité de l’étenduë. La plupart des Philosophes ayant confondu les abstractions de notre esprit avec le Corps Physique, ont voulu démontrer la divisibilité de la Matière à l’infini, par les raisonnemens des Géomètres sur la divisibilité des lignes qu’on pousse jusqu’à l’infini; mais ils se seroient épargné toutes les difficultés que cette divisibilité entraîne, s’ils avoient pris soin de ne jamais appliquer les raisonnemens que l’on fait sur la divisibilité du Corps Géométrique, aux corps naturels & Physiques.
7 §. 169. I: Paragraph summary: Il faut distinguer avec soin l’étendue géométrique, & l’étendue physique. Le Corps Géométrique n’est que la simple étendue, il n’a point de parties déterminées, & actuelles, il ne contient que des parties simplement possibles, qu’on peut augmenter tant qu’on veut à l’infini; car la notion de l’étendue ne renferme que des parties coéxistantes & unies, & le nombre de ces parties est absolument indéterminé, & n’entre point dans la notion de l’étendue. Ainsi l’on peut déterminer ce nombre comme on veut, c’est-à-dire, que l’on peut supposer qu’une étendue quelconque renferme dix mille, ou un million ou dix millions, &c. de parties, selon qu’on prend une partie quelconque pour un: ainsi, une ligne renfermera [191] deux parties, si on prend sa moitié pour une, & elle en aura ou dix, ou mille, si on prend sa dixiéme ou sa milliéme partie pour l’unité: ainsi, cette unité est absolument indéterminée, & dépend de la volonté de celui qui considère cette étendue.
8 §. 170. I: Paragraph summary: Toute étendue géométrique est divisible à l’infini. Chaque étendue abstraite & géométrique peut donc être exprimée par un nombre quelconque, mais il en est tout autrement dans la Nature; tout ce qui éxiste actuellement, doit être déterminé en toute manière, & il n’est point en notre pouvoir de le déterminer autrement. Une Montre, par exemple, a ses parties, mais ce ne sont point des parties simplement déterminables par l’imagination, ce sont des I: Paragraph summary: Mais il n’en est pas de même de l’étendue Physique, qui est à la fin composée d’Etres simples. parties réelles, actuellement éxistantes, & il n’est point libre de dire, cette Montre a dix, cent, ou un million de parties; car entant que Montre, elle en a un nombre fixe, & elle n’en peut avoir ni plus ni moins, tant qu’elle restera Montre: il en est de même de tous les Corps naturels, ce sont tous des machines qui ont leurs parties déterminées qu’il n’est point permis d’exprimer par un nombre quelconque.
9 §. 171. I: Paragraph summary: Origine des Sophismes des Anciens contre le mouvement. C’est en confondant l’étendue Géométrique, & l’étendue Physique, & en supposant que l’étendue Physique est toujours composée à l’infini de parties étendues, que [192] les Anciens avoient formé ces argumens si faux, & si spécieux contre la possibilité du mouvement.
10I: Paragraph summary: De l’Achille de Zenon. Le plus fameux de tous ces Sophismes étoit celui que Zenon avoit appellé l’Achille, pour marquer sa force invincible. Il supposoit Achille courant après une Tortue, & allant dix fois plus vite qu’elle, il donnoit une lieue d’avance à la Tortue, & il raisonnoit ainsi: tandis qu’Achille parcourt la lieue que la Tortue a d’avance sur lui, celle-ci parcourera un dixiéme de lieue; pendant qu’il parcourera ce dixième, la Tortue parcourra la centième partie d’une lieue; ainsi, de dixième en dixième, la Tortue dévancera toujours Achille, qui ne l’atteindra jamais.
11Prémierement, quand il seroit vrai qu’Achille n’attrapât jamais la Tortue, il ne s’ensuivroit pas pour cela que le mouvement fût impossible; car Achille & la Tortue se meuvent réellement, puisqu’Achille approche toujours de la Tortue, qui est supposée le devancer toujours, quoiqu’infiniment peu.
12 Mais secondement, cet ingénieux Sophisme étant fondé sur la divisibilité de l’étendue à l’infini, le principe de la raison suffisante le renverse facilement; car vous avez vu qu’il est prouvé par ce principe, que l’étendue Physique est à la fin composée d’Etres simples, & que par conséquent ses divisions, même possibles, ont des bornes positives & réelles. [193]
13 On a écrit des Traités entiers pour résoudre le Sophisme de Zenon, peut-être suffisoit-il de marcher en sa présence comme fit Diogene; mais outre cette réponse de fait, vous venez de voir qu’il étoit aisé d’en faire une de droit.
14 Grégoire de Saint Vincent fut le prémier qui en démontra la fausseté, & qui assigna le point précis, auquel Achille doit atteindre la Tortue, & ce point se trouve par le moyen des progressions Géométriques infinies, au bout d’une lieue & d’un neuvième de lieue: car la somme de toute progression Géométrique infinie decroissante est finie; & cela, parce qu’être infini, ou s’étendre à l’infini, sont deux choses très différentes. I: Paragraph summary: Différence entre la divisibilité, & l’extensibilité à l’infini. Ainsi un tout fini quelconque, un pied, par exemple, est un composé de fini, & d’infini: ce pied est fini, entant qu’il ne contient qu’un certain nombre d’Etres simples, mais je puis le supposer divisé en une infinité, ou plutôt en une quantité non-finie de parties, en considérant ce pied comme une étendue abstraite. Ainsi, si j’ai pris d’abord dans mon esprit la moitié de ce pied, & que je prenne ensuite la moitié de ce qui reste, ou un quart de pied, puis la moitié de ce quart ou un huitième de pied, je procéderai ainsi mentalement à l’infini, en prenant toujours de nouvelles moitiés décroissantes, qui toutes ensemble ne feront jamais que ce pied, lequel devient alors un corps [194] Géometrique, parce que de toutes ses propriétés je n’ai retenu dans mon esprit que celle d’étendue, sur laquelle ma division idéale s’est opérée. Ainsi, la divisibilité de l’étendue à l’infini est en même tems une vérité Géométrique, & une erreur physique, & tous les raisonnemens sur la divisibilité de la Matière à l’infini, tirés de la nature des Asymptotes, de l’incommensurabilité de la diagonale du quarré, des suites infinies & d’autres considérations Géometriques, sont absolument inapplicables aux Corps naturels, de même que les Théorèmes de Mr. Keill, par lesquels il prétend prouver qu’avec un grain de sable on pourroit remplir l’Univers entier; car on ne doit admettre dans la Physique, que des parties actuelles, dont l’éxistence peut être démontrée par l’expérience, ou par des raisonnemens incontestables.
15 §. 172. Ce n’est pas seulement l’application des raisonnemens géométriques aux Corps Physiques qui a fait conclure aux Philosophes que la matière étoit divisible à l’infini, leurs sens ont aussi contribué à cette erreur, car nous voions, que quelque loin que nous poussions nos divisions, il reste toujours de l’étendue, ainsi nous sommes naturellement portés à croire que si nous pouvions étendre nos divisions jusqu’à l’infini, nous trouverions toujours de quoi diviser, ce qui entraine [195] nécessairement dans ce labirinte de la composition, & de la division infinie du continu dans lequel on ne peut jamais trouver, ni le dernier terme de la division, ni le prémier terme de la composition, & dont les Etres simples peuvent seuls nous tirer, car lorsqu’on reconnoit que toute étendue est à la fin composée d’Etres simples, toutes ces difficultés s’évanouissent, puisque les petites parties dont les Corps sensibles sont composés ont à la fin la raison de leur composition dans les Etres simples.
16 §. 173. Les parties insensibles qui composent les corps s’appellent des corpuscules, & se divisent en corpuscules primitifs, & en corpuscules dérivés. On apelle corpuscules primitifs ceux qui ont la raison immédiate de leur composition dans les Elémens, & corpuscules dérivés ceux dont la raison immédiate se trouve dans d’autres corpuscules plus petits. Les expériences du microscope nous font voir qu’il y a plusieurs sortes de corpsucules dérivés.I: Paragraph summary: Des corpuscules primitifs, & des corpuscules dérivés.Mr. Wolf raporte avoir observé dans l’espace d’un grain de poussière cinq cens œufs, dont il est éclos des animaux semblables à des poissons, & dans lesquels il a remarqué une infinité de parties comme dans les plus grands animaux de la Mer.
17 Le même Auteur fait voir qu’un grain d’orge peut contenir vingt sept millions d’animaux [196] vivans, qui ont chacun vingt, ou vingt-quatre jambes, & que le moindre grain de sable peut servir de demeure à deux cens quatre-vingt quatorze millions d’animaux organisés qui propagent leur espèce, & qui ont des nerfs, des veines, & des fluides qui les remplissent, lesquels sont sans doute à la masse du corps de ces animaux, dans la même proportion que les fluides de notre corps sont à sa masse.
18 I: Paragraph summary: Observation singulière sur le sang. Quand on regarde notre sang avec un microscope, on s’aperçoit, lorsque les globules dont il est composé se dissolvent, que chaque globule rouge est composé de six petits globules séreux, tirans sur le jaune, & que chacun de I: Marginal note: Planche 3. Fig. 14. ces globules séreux est composé de six autres globules I: Read: limphatiquesimphatiques, & on ne fait point jusqu’où cette progression de petits globules se continue dans notre sang: or personne ne doute que ces globules de notre sang, & les corpuscules qui composent les Corps de ces petits animaux dont parle Mr. Wolf, ne soient eux-mêmes composés d’autres corpuscules plus petits encore, ainsi il est impossible de douter, après ces expériences, qu’il n’y ait différens ordres de corpuscules dérivés.
19I: Paragraph summary: Comment les différens Corps résultent des différens ordres de corpuscules dérivés.§. 174. Pour vous donner une idée de ces différens ordres de corpuscules dérivés, supposons par exemple, que, 3. 4. ou un nombre quelconque de corpuscules primitifs soient unis ensemble, & qu’ils composent une certaine masse, on peut appeller les corpuscules qui en [197] résulteront, corpuscules du prémier ordre; I: Marginal note: Planche 3. Fig. 11. 12. & 13. que plusieurs masses de ce prémier ordre s’unissent ensemble, elles composeront d’autres corpuscules, lesquels seront les corpuscules du second ordre: ces corpuscules du second ordre en s’unissant entr’eux composeront encore une nouvelle espèce de corpuscules, que je suppose être les corpuscules du troisième ordre, &c. On sent que cette progression ascendante de corpuscules dérivés, différens les uns des autres, nous conduira aux parties sensibles des corps, & que la descendante, si nous pouvons la suivre, nous meneroit jusques aux corpuscules primitifs, dont la composition est fondée dans les Etres simples, mais les mêmes.
20 §. 175. Les expériences du microscope qui nous découvrent, comme vous venez de voir, les différens ordres de corpuscules dérivés, nous assurent en même tems qu’il y en doit avoir une infinité qui se dérobent à nos sens, & que par conséquent nous ne pourrons jamais parvenir dans nos expériences jusques aux corpuscules primitifs qui sont eux-mêmes composés d’Etres simples.
21 §. 176. L’ouvrage des tireurs & bateurs d’or nous prouve encore cette impuissance dans laquelle nous sommes de découvrir jamais les corpuscules primitifs, ni même les corpuscules dérivés des prémiers ordres; car Mr. Boyle [198]I: Marginal note: Exemple de l'extrême subtilité des parties de la matière. assure qu’un seul grain d’or battu en feuille remplit l’espace de cent cinquante pouces quarrés, mesure géométrique.
22 Or si l’on divise le côté d’un de ces pouces en deux cent parties, ou la ligne en vingt, ce qui fait encore des parties visibles à l’œil sans microscope, chaque pouce quaré aura quarante mille parties d’or, & toute la feuille en aura deux millions visibles à l’œil seulement, mais l’argent est six fois moins épais que l’or, ainsi cette feuille d’or réduite à l’épaisseur d’une feuille d’argent seroit divisée en six, d’où il suit que chaque grain d’or renferme environ douze millions de parties visibles à la simple vue, & dans chacune desquelles, un microscope qui grossit trente mille fois (car il y en a) feroit voir encore 30 mille parties; mais personne ne doute que l’or ne soit un corps mixte; donc puisqu’après cette énorme division, I: Paragraph summary: Nous ne pouvons apercevoir que les corpuscules les plus composés. chacune des parties que le microscope découvre dans les petites parties de ce grain d’or, ne paroissent encore que de l’or, on est forcé de conclure de cette expérience, que les corpuscules dérivés, même les plus composés, peuvent seuls tomber sous nos sens.
23 §. 177. Ces corpuscules dérivés, de quelque ordre qu’ils soient, sont tous dissemblables, de même que les corpuscules primitifs, car je vous ai prouvé (§ 125.) que chaque Etre simple est différent de tout autre; or tout ce qui [199] I: Paragraph summary: Tous les corpuscules sont dissemblables. est dans les corpuscules dérivés, de quelque ordre qu’ils soient, a son fondement dans les corpuscules primitifs, & tout ce qui se trouve dans les corpuscules primitifs a le sien dans les Elémens, de l’aggrégat desquels ils sont composés, donc puisque les Etres simples sont tous différens les uns des autres, il n’y a aucun corpuscule, soit dérivé, soit primitif, qui soit semblable.
24 I: Paragraph summary: En quoi consiste leur dissemblance. Cette dissemblance des corpuscules qui composent les corps sensibles, ne doit pas être entendue d’une dissemblance entière, car il se peut faire que les mêmes déterminations se retrouvent dans quelques-uns de ces corpuscules, & c’est ce qui est même assez vraisemblable. Mais il suffit pour satisfaire à la loi des indiscernables (§. 12.) qu’ils diffèrent par quelques-unes de leurs déterminations, & même par une seule, & c’est ainsi que vous devez entendre tout ce que je vous ai dit sur les différences qui distinguent les moindres particules de matière les unes des autres.
25 §. 178. Vous avez vu (§. 21.) que le principe de la raison suffisante banit de l’Univers I: Paragraph summary: Les corpuscules dérivés ni les primitifs ne sont pas les Atomes Physiques. les Atomes, ou parties insécables de la matière dont Epicure, & en dernier lieu Gassendi composoient le monde, ainsi il est nécessaire de vous faire voir que les corpuscules primitifs, & les différens ordres de corpuscules dérivés, dont je viens de vous parler, sont fort [200] différens de ces atomes, afin qu’il ne vous arrive pas de les confondre.
26Les Atomes d’Epicure étoient indivisibles à toute puissance créée, mais les corpuscules dérivés étant composés d’autres corpuscules plus petits, il n’est point impossible qu’ils se résolvent dans ces plus petits corpuscules, ni que les forces de la nature suffisent à séparer ce qu’elles ont uni, & c’est aussi ce que l’analyse des mixtes nous prouve, car il n’y a aucune raison pour laquelle la division qui a lieu dans cette analyse, tant que nous pouvons la poursuivre, cesseroit d’être possible, lorsque les parties des mixtes se dérobent à nos sens par leur finesse.
27Les corpuscules primitifs n’étant plus résolubles par la décomposition que dans les Etres simples qui n’ont aucune étendue, ne peuvent être confondus avec les atomes d’Epicure qui sont composés de parties étendues, supposées indissolublement unies entre elles par la volonté du Créateur, ainsi les corpuscules dérivés, ni les corpuscules primitifs ne peuvent jamais se confondre avec les atomes d’Epicure.
28 §. 179. Les qualités sensibles de tous les corps ont une raison prochaine, une raison éloignée & une raison prémière. La raison prochaine est contenue dans les corpuscules dérivés qui peuvent tomber sous nos sens. La raison [201] éloignée se trouve dans ceux qui s’y dérobent, mais la raison prémière est dans les Elémens. I: Paragraph summary: Raison prochaine, raison éloignée, & raison prémière des phénomènes. Ainsi par exemple l’or est jaune, parce que cette couleur appartient à chacun des corpuscules que le microscope nous fait voir dans un morceau d’or, de même la ductilité d’un morceau d’or est le résultat de la figure des corpuscules dérivés que nos sens apperçoivent, & de la façon dont ils sont unis entre eux, pour le composer; mais dans chacun de ces corpuscules, la couleur jaune, & la ductilité, sont le résultat de la figure & de l’union des corpuscules qui les composent, & ainsi de suite, jusques aux Etres simples qui contiennent les raisons prémières de tout ce qui éxiste. La raison prochaine des phénomènes est la seule que nous puissions découvrir.
29 §. 180. On distingue dans les Corps les Principes Méchaniques, & les Principes Physiques, ainsi les phénomènes ont des raisons physiques, & des raisons méchaniques.
30 J’appelle principes méchaniques la grandeur, la figure, le mouvement, & la situation des parties, & j’appelle principes Physiques toutes les qualités dont on n’a point encore trouvé la raison méchanique, comme le ressort, l’électricité, &c. Car tous ces phénomènes ont une raison méchanique éloignée.
31 Les corpuscules dérivés que nous pouvons apercevoir, ont leurs qualités méchaniques qui résultent de leur figure, de leur mouvement, &c. [202] & leurs qualités physiques résultent de la figure, du mouvement, &c. des corpuscules qui les composent; &, comme les corpuscules qui les composent, peuvent être composés d’autres corpuscules qui le sont eux-mêmes, & ainsi de suite, jusqu’aux corpuscules primitifs, & aux Etres simples, il s’ensuit que les causes méchaniques des qualités Physiques sont souvent envelopées dans cette progression de corpuscules, de façon que nous ne pouvons les découvrir; car vous avez vu §. 176.) que les corpuscules qui composent les corps sensibles peuvent contenir plus, ou moins de corpuscules dérivés dans leur composition, ainsi il doit y en avoir une infinité que nos sens ne peuvent suivre dans leur décomposition, quand même elle n’iroit pas jusqu’aux corpuscules primitifs, il y a I: Paragraph summary: Toute qualité Physique a une raison méchanique donc une infinité de qualités Physiques dont nous ne connaitrons jamais les raisons méchaniques, parce que leurs raisons méchaniques, même les plus prochaines, sont contenues, ou dans les corpuscules primitifs, ou dans les corpuscules dérivés qui ne peuvent être apperçus par nos sens; ainsi quoique toute qualité physique ait une raison méchanique soit prochaine, soit éloignée, il n’y a rien de moins philosophique que de vouloir toujours donner cette raison; I: Paragraph summary: Mais nous ne pouvons pas toujours la connaitre. car puisque vous venez de voir qu’il doit y avoir un nombre infini de ces raisons, qui par leur nature doivent nous échaper, on ne peut [203] manquer, en voulant assigner ces raisons, de mettre les productions de son imagination à la place de la vérité.
32 §. 181. I: Paragraph summary: Ce que c’est qu’explication méchanique, & explication physique. Quand on explique un phénomène par la figure, la grandeur, la situation, &c. des parties, on en donne une explication méchanique, mais quand on emploie pour l’expliquer, les qualités physiques, comme l’élasticité, la chaleur, &c. sans rechercher si la cause méchanique de ces qualités est connue, ou non, alors l’explication qu’on donne de ce phénomène est une explication Physique.
33 Les principles physiques suffissent souvent pour l’explication d’un phénomène, quoique leur cause méchanique ne soit pas connue: ainsi, par exemple, l’élasticité de l’air explique très bien l’ascension de l’eau dans les pompes, quoique l’on n’ait pas encore découvert le principe méchanique de cette élasticité, & quand même on connaitroit ce principe, on ne s’en serviroit pas pour faire voir comment l’eau monte dans une pompe, car il suffit pour l’expliquer que l’on soit assuré par l’expérience que l’air est élastique, ainsi la cause méchanique de l’élasticité est une nouvelle question, qui n’est pas nécessaire pour expliquer l’effet des pompes, & dans laquelle par conséquent on ne doit pas entrer alors.
34 §. 182. Lorsqu’on cherche les raisons prochaines [204] d’un phénomène, on peut donc s’arrèter aux qualités physiques, de même que dans la Géométrie on ne remonte pas jusques aux définitions & aux axiomes pour démontrer chaque théorême, mais on les suppose, & on s’arrête aux propositions dont on peut tirer immédiatement ce qu’il agit de démontrer.
35 Ainsi pour rendre raison, par exemple, de l’inflammabilité de la poudre à canon, on se contente de savoir qu’elle est composée de charbon, de souffre, & de nitre, & que le charbon réduit en poudre prend feu par le contact de la moindre étincelle; que le souffre se liquéfie fort facilement par la chaleur, & qu’il s’enflamme dès qu’il est liquéfié, & qu’enfin les parties du nitre liquéfiées s’évaporent en fumée; & pour expliquer comment la poudre à canon peut s’enflammer si facilement, on s’en tient à ces qualités physiques, sans s’embarasser de leurs causes méchaniques.
36 Vous voyez que dans cet exemple, l’inflammabilité de la poudre, qu’on veut expliquer, répond à une proposition de Géométrie qu’il s’agiroit de démontrer, que les qualités des corpuscules qui composent la poudre, tiennent lieu des théorêmes par le moien desquels on démontreroit cette proposition, & qu’enfin les causes méchaniques de ces qualités physiques, réprésentent les définitions & les axiomes qu’on supposeroit dans la démonstration. [205]
37 On en use ainsi pour expliquer les effets d’une montre, car on ne s’attache qu’à montrer comment les roues, les pignons, le ressort, la chaine, &c. doivent produire les effets de cette montre qu’on s’est proposé d’expliquer, & l’on se contente de supposer la malléabilité, la ductilité, l’élasticité, &c. de la matière qui la compose, sans s’embarasser de rechercher les causes méchaniques de ces qualités. Ainsi vous voiez qu’il est souvent égal pour la certitude de l’explication d’un phénomène, que l’on connaisse les causes méchaniques des qualités physiques qu’on y suppose, ou que ces qualités soient simplement connues par l’expérience, & c’est ce qu’il est très utile de savoir, afin de vous garantir de ce sophisme, dont la paresse, & l’ignorance cherchent à s’autoriser, que puisqu’on ne peut jamais connaitre les prémiers principes, il n’y a rien de sûr dans les connaissances qu’on peut acquérir, &c. car notre état dans ce Monde est tel, que les raisons prochaines nous suffisent, & que nous n’avons presque jamais besoin de recourir aux raisons prémières; mais ces raisons prochaines sont encore assez compliquées pour éxercer la sagacité de notre esprit, & pour satisfaire le desir que nous avons de connaitre, quand nous saurons le regler.
38 §. 183. I: Paragraph summary: Les questions sur les élemens de la matière ont peu d’influence dans la Physique. Vous pouvez conclure de tout ce qui a été dit dans ce Chapitre, que bien qu’il [206] soit très important en Métaphysique de savoir qu’il ne peut y avoir d’atomes physiques, & que toute étendue est à la fin composée d’êtres simples, cependant ces questions n’ont qu’une influence très éloignée dans la Physique expérimentale, ainsi, le Physicien peut faire abstraction des différens sentimens des Philosophes sur les élémens de la matière, sans qu’il en résulte aucune erreur dans ses expériences, & dans ses explications, car nous ne parviendrons jamais ni aux Etres simples, ni aux atomes.
How to cite:
CHAPTER EIGHT, Version I. In: Du Châtelet, Émilie: Institutions de physique. The Paris Manuscript BnF Fr. 12265. A Critical and Historical Online Edition.
Edited by Ruth E. Hagengruber, Hanns-Peter Neumann, Aaron Wells, Pedro Pricladnitzky, with collaboration of Jil Muller. Center for the History of Women Philosophers and Scientists, Paderborn University, Paderborn.
Version 1.0, April 4th 2024, URL: https://historyofwomenphilosophers.org/dcpm/documents/view/chapter_eight/version/i/rev/1.0